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Compte rendu du Colloque franco allemand

L’Association des Maires de France et l’Association des villes allemandes, l’Association des villes et des communes allemandes et l’Association des Kreis (districts) allemands ont organisé une journée d’échanges, le 21 octobre 2004 au Sénat, pour débattre de l’avenir de la coopération entre les collectivités territoriales des deux pays, dans l’Europe des 25.

Les Associations se sont engagées solennellement à renforcer la coopération entre communes, en plus des actions déjà mises en ½uvre aux niveaux national et régional.

Claudie HAIGNERE, ministre des affaires européennes et secrétaire générale pour la coopération franco-allemande a soutenu cette initiative Selon elle, la « coopération franco allemande doit aller encore plus loin, avec une amélioration de la gestion de proximité, notamment aux frontières avec l’émergence du district européen, mais aussi en s’appuyant encore sur le jumelage, cadre pertinent et indispensable ayant fait ses preuves ».

Daniel HOEFFEL, alors président de l’AMF, a pour sa part insisté sur la nouvelle impulsion qu’il fallait donner aux jumelages, compte tenu de l’influence croissante de la législation européenne sur la gestion locale et de l’élargissement. Dans ce cadre, il ne faut pas oublier le principe essentiel de l’autonomie locale des communes : la commune reste en effet l’échelon le plus pertinent pour favoriser des relations plus étroites.

Précisant que la libre administration des communes est ancrée dans la Loi fédérale allemande, Peter WINTER, représentant de l’Association des Kreise allemands, membre du Comité des Régions, a présenté, tout d’abord, l’organisation de l’échelon local et les compétences des communes en Allemagne. Au niveau européen, le nouvel objectif 3 de la politique régionale proposé par la Commission créé de nouvelles possibilités de coopération. Malgré l’existence du Comité des Régions, l’Europe des Régions n’est toutefois pas assez développée, a regretté M. Winter qui a mis en exergue les avancées de la future constitution européenne en faveur des communes et les nouvelles possibilités de participation des collectivités territoriales sur la scène européenne (par exemple, le « dialogue structuré » instauré par la Commission européenne suite à la publication du Livre Blanc sur la gouvernance en 2001).
Enfin, l’intervenant a énuméré les trois sujets d’actualité européenne intéressant les communes : la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur, les services d’intérêt général et la transposition du Protocole sur la subsidiarité au niveau national. Sur ce point, il s’est interrogé sur l’opportunité d’établir une position commune des collectivités locales françaises et allemandes.

Citant l’écrivain hongrois Peter Esterhazy (« La haine contre les allemands fut le fondement de l’Europe de l’après-guerre »), le Professeur Alfred GROSSER, professeur et écrivain spécialiste des questions franco-allemandes, a estimé que l’intégration des nouveaux Etats membres n’était pas encore acceptée dans les esprits.
Dressant un panorama de la relation franco-allemande dans le cadre du processus d’intégration européenne, l’intervenant s’est référé plusieurs fois à Jean Monnet, que le chancelier Willy Brandt décrivait comme « un des pères de l’unité allemandes ». En effet, l’Europe a joué un rôle primordial dans la réunification de l’Allemagne. « Rien ne se créé sans les hommes, rien ne dure sans les institutions » disait Jean Monnet. La sentence est encore valable aujourd’hui, alors que l’Europe s’élargit sans s’approfondir et que la future constitution européenne est « un jusqu’ici mais pas plus loin ».
Le professeur Grosser s’est félicité de l’anniversaire du traité l’Elysée - dont le contenu lui semble faible au demeurant – qui fut l’occasion de réunir les deux assemblées parlementaires à Versailles. Ce fut « un grand moment dans l’histoire » car le Président Jacques Chirac a reconnu que la paix de Versailles a été imposée. En revanche, M. Grosser s’est inquiété du devenir de l’OFAJ, qu’il a décrit comme une structure transnationale unique au rôle essentiel.
En outre, la France et Allemagne sont deux mauvais élèves de l’Europe en ce qui concerne la transposition des directives européennes et la rigueur de leur budget, alors qu’elles ont des exigences envers les nouveaux Etats membres. Il en va de même dans le domaine de la politique étrangère de l’Union : les deux pays ont tendance à agir en dehors de la diplomatie européenne. Au lieu que l’Allemagne réclame un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, il faudrait exiger un siège pour l’UE. L’intervenant est persuadé que « la relation franco-allemande est en panne : s’il y a un moteur, il n’y plus d’essence ». Actuellement, il y a peu d’initiatives communes et de compréhension réciproque des deux côtés du Rhin.


Dans le cadre du premier forum, les débats ont porté sur les défis auxquels sont confrontés les jumelages et sur la nécessité de réformer la coopération décentralisée, voire de suggérer des formes inédites de coopération.


Werner SPEC, maire de Ludwigsburg, qui est historiquement la première commune à s’être jumelée avec une commune française, Montbéliard, a inauguré le premier forum avec optimisme. Les jumelages conservent leur actualité : des défis et des nouvelles chances s’offrent à eux et éviteront à l’Europe de dégénérer. Les jumelages franco-allemands furent l’un des fondements de la réconciliation franco-allemande, ils jouent un rôle non négligeable en tant qu’outil d’exportation européen aidant à la compréhension des peuples dans les endroits du monde en conflit.

Louis SOUVET, Sénateur maire de Montbéliard, a donné des exemples concrets et multiples du contenu du jumelage de la ville de Montbéliard avec Ludwigsburg. Pratiquement tous les services de la municipalité ont des contacts avec les villes partenaires.

Daniel GROSCOLAS, président de la Commission franco-allemande de l’Association française du conseil des communes et régions d’Europe, a insisté sur le fait que les jumelages connaissent actuellement une profonde mutation. La réconciliation n’est plus l’objet de la nouvelle génération de jumelages. L’objectif assigné à la coopération franco-allemande est précisément de « faire ensemble », des sujets qui posent problème sont abordés, ce qui n’était pas le cas précédemment. Mais attention, si le bilan est globalement positif, la banalisation pèse sur les relations franco-allemandes. Ainsi, si les jeunes français considèrent leurs voisins allemands comme des amis, force est de constater que ce sentiment d’amitié n’empêche pas la régression considérable de l’enseignement de la langue allemande à l’école. Il faut donc se battre pour changer le cours des choses.

Klaus –Eckhard WALKER, maire de Rastatt et président de la Commission franco-allemande de la section allemande du CCRE, partage cet avis, mais il ne faut pas perdre de vue le rôle pionnier du moteur franco-allemand. A ce titre, les enjeux nouveaux soulevés par les perspectives de partenariats avec l’Europe de l’Est ou des projets de développement avec l’Afrique sub-saharienne, ou encore des sujets brûlants tels que l’adhésion de la Turquie, sont autant de sujets qui mériteraient d’être partagés avec la société civile des communes et des villes. En effet, bien souvent, les principaux intéressés sont plus avancés que les politiques et l’administration. Pour que la coopération franco-allemande soit concrète, il faut la nourrir en ouvrant le débat à la société civile. Ainsi, les jumelages permettront de faire progresser l’idée européenne.

« On parle de l’Europe des régions, mais il ne faut pas oublier les départements en France, dont les compétences augmentent avec les lois sur la décentralisation ». Du fait de la similitude de la configuration des départements français avec les Kreise allemands, Jean-Louis DESTANS, président du Conseil général de l’Eure et président de la Commission Europe de l’ADF, a exprimé, au nom de l’ADF, la volonté de renouer les relations avec l’Association des Kreise allemands. Tout comme les intervenants précédents, il pense qu’il faut effectivement nourrir la coopération franco allemande en plaçant le débat démocratique au sein des collectivités territoriales. La coopération en sera renforcée.

Selon Jean-Marie BOCKEL, président de l’Association des maires des grandes villes : « les jumelages doivent être vivifiés avec un autre contenu, à trouver par les maires » qui se trouverait dans la coopération transfrontalière « située aux avant-postes de la coopération franco-allemande », notamment « en inventant quelque chose de nouveau – sur la base de la notion de l’Eurodistrict – pour s’investir conjointement en matière de transports, d’économie et de développement durable mais aussi faire en sorte qu’il y ait une démarche d’appropriation des citoyens ».

Günther PETRY, maire de Kehl, a insisté sur les raisons d’être de l’eurodistrict. Au départ, il s’agit de partir d’une structure intercommunale pour déboucher sur une collectivité territoriale transfrontalière, dont la finalité serait de résoudre des problèmes transfrontaliers comme celui du marché de l’emploi, ou des communications téléphoniques.

Allant plus loin, Pascal MANGIN, vice-président de la Communauté d’agglomération de Strasbourg, s’est prononcé en faveur d’une intégration transfrontalière. L’Eurodistrict est une nécessité, « on ne peut se cantonner à un territoire de projets, il faut passer à un territoire de vie ». Cet eurodistrict avec un droit et une fiscalité identiques de part et d’autre de la frontière représente un levier de développement et d’aménagement. Or, pour aller au delà de la simple coopération transfrontalière, un accord des Etats concernés reste nécessaire.


Le deuxième forum était consacré à l’enjeu de la construction européenne pour les collectivités locales françaises et allemandes.



Selon Herbert SCHMALSTIEG, maire de Hanovre et vice-président de l’Association des Villes allemandes, l’intégration européenne place les communes devant deux grands défis : d’une part, elles sont concernées par les décisions prises au niveau européen (i.e. la dimension communale de la politique européenne), d’autre part, elles participent à la création d’une Europe des villes et des communes proche des citoyens (i.e. la dimension européenne de la politique locale). Si l’Europe a de plus en plus d’influence sur la gestion communale en Allemagne, la Loi fondamentale allemande ne prévoit pas pour autant la participation et la prise en compte des revendications des communes concernant les questions européennes. Une réflexion sur la réforme du fédéralisme allemand est actuellement en cours. Les associations représentatives des communes participent activement à la commission parlementaire mise en place à cet effet. Peut-être y a-t-il là une occasion pour l’échelon local de défendre se marge de man½uvre et de décision sur des questions européennes qui le concerne.

L’influence de la législation européenne sur les collectivités locales ne cesse de s’accroître sous l’effet de deux processus : d’une part, l’approfondissement de l’intégration européenne et le développement du droit communautaire et, d’autre part, l’avènement d’une nouvelle étape de la décentralisation en France qui consacre un transfert de compétences supplémentaire au profit des collectivités territoriales. Après avoir esquissé les principales caractéristiques du processus de décentralisation en France, Antoine RUFENACHT, maire du Havre, et président de la Commission Europe de l’AMF a cité les principaux champs de compétence des communes influencés par la législation communautaire, par exemple, l’environnement ou la passation des marchés publics et la délégation de services publics locaux.
Pour que l’Europe devienne une chance et non une contrainte pour la gestion publique locale, il semble indispensable de mieux prendre en compte le point de vue des communes et de les associer pleinement au processus législatif communautaire, de son élaboration à Bruxelles, en passant par son intégration au droit français, jusqu’à sa mise en ½uvre, au plus proche du citoyen.
Pour finir, M. Rufenacht a souligné le rôle des associations de collectivités territoriales et l’importance de la coopération pour unir et catalyser les efforts des communes françaises et allemandes afin de valoriser le rôle des collectivités locales en Europe. La similitude des défis européens auxquels la gestion publique locale, en France comme en Allemagne, est confrontée, justifie une démarche commune.

Michel BARNIER, ministre des affaires étrangères, a salué l’initiative exemplaire de l’AMF en coopération avec les associations d’élus locaux allemandes de réfléchir aux dimensions bilatérales et européennes de la coopération entre communes de part et d’autre du Rhin. L’Europe doit affronter de nombreux défis, fragilisant le « projet européen dont on est copropriétaire et coresponsable ». Ces défis sont à la fois internes (solidarité avec les nouveaux Etats membres, la gouvernance économique, le fonctionnement des institutions…) et externes, notamment le défi de la politique étrangère et de défense. Or, un autre défi, « urgent et difficile », reste à relever : le défi démocratique. « Le projet européen est le plus beau des projets politiques, mais attention au décalage avec les citoyens, à qui il faut expliquer ce projet, et qu’il faut associer » a rappelé le ministre. Pour éviter ce décalage, Michel Barnier a appelé « les élus locaux à renforcer la coopération de ce réseau unique de proximité que constituent les jumelages et la coopération entre les villes et les communes ». La future Constitution est dans ce cadre un outil au service du projet européen que les femmes et les hommes politiques doivent exprimer. « Si nous n’y arrivons pas, alors tout ce que nous avons déjà fait sera fragile et mis en cause ».
Le Ministre a également exprimé son attachement à la coopération franco-allemande à laquelle la construction européenne est liée. Cette coopération est personnalisée par des liens amicaux au plus haut niveau, mais aussi au niveau communal. Il faut faire vivre cette « parole franco-allemande », mais elle doit être ouverte à d’autres pays.
Le Ministre a souhaité prévenir les élus quant à l’avenir de la politique régionale, « clé du projet européen », qu’il faut défendre, surtout si elle bénéficiera de moyens financiers moins élevés qu’aujourd’hui. Pour cela, il faut une vraie volonté politique et aussi faire preuve de beaucoup de vigilance.
Revenant sur le texte constitutionnel, le ministre a souligné la reconnaissance du principe des autonomies régionale et locale. L’association des collectivités territoriales au contrôle de la subsidiarité représente enfin une avancée importante.

Bruno BOURG-BROC, député-maire de Châlons-en-Champagne, président de la Fédération des maires des Villes moyennes a approuvé les propos et l’analyse du ministre des affaires étrangères français. Etant donné la fragilité du projet européen, il faut exploiter les relations de proximité et encourager l’apprentissage réciproque des langues.

Louis LE PENSEC, président de l’AFCCRE, s’est félicité de cette « journée qui en appellera d’autres ». Il appelle à la promotion de la citoyenneté dans la coopération franco-allemande pour les temps qui viennent.

Martin PATZELT, maire de Francfort sur l’Oder, a parlé des jumelages de sa ville, notamment avec la ville polonaise de Slubice. Depuis 1992, la coopération a été exemplaire. En effet, depuis cette date, les deux conseils municipaux se souvent réunis, les décisions ont été préparées à cette occasion pour être prises concomitamment. Des projets locaux d’urbanisme élaborés en commun ont aussi bien fonctionné. Des choses concrètes ont été réalisées en matière sociale et sportive. Cependant, il reste le problème du logement, qui n’est pas encore résolu. M. Patzelt est clairement convaincu que les projets de coopération doivent porter concrètement des projets d’intégration. Les jeunes, bien sûr, sont sollicités pour participer à ce processus, mais aussi des hommes et des femmes inspirés et motivés, parce que « ce ne sont pas que les fonctionnaires municipaux qui feront les jumelages ».Les tâches et les missions doivent être concrètes, on ne peut se contenter que de célébrations !


Le troisième forum du colloque a porté sur les services d’intérêt général autour de la question suivante : gestion propre ou mise en concurrence ?


Michael SCHÖNEICH, secrétaire général de l’Association allemande des Entreprises communales, est parti du constat suivant : « ne nous méprenons pas, l’Europe a tendance à ne pas accorder aux collectivités territoriales le droit de décider si un service d’intérêt général est économique ou non. De même, il n’y a pas de définition du service économique d’intérêt général, on laisse le Marché décider ». La gamme des services d’intérêt général de nature économique a tendance aujourd’hui à s’accroître considérablement, et relèvent des attributions traditionnelles des communes. Mais le problème, c’est que la Commission leur applique une logique concurrentielle, avec l’obligation d’appel d’offre pour les marchés publics, ce qui entraîne une situation de conflit avec l’autonomie de gestion des communes. En appliquant le principe de subsidiarité, les collectivités territoriales doivent pouvoir revendiquer une autonomie de décision dans la gestion de ces services. Trois options de gestion s’offrent alors : gérer le service en régie, mettre en place un partenariat d’économie mixte (PPP) ou sous traiter à un tiers. Et, dans le cas où le service serait confié à un prestataire extérieur, les règles relatives aux marchés publics trouvent à s’appliquer.
Michael Schöneich a conclu avec les propositions suivantes :
- En matière de SIG, un équilibre est nécessaire entre les règles de la concurrence et l’autonomie des communes
- L’autonomie communale doit être respectée au regard du marché intérieur : la commune doit pouvoir choisir librement entre les modalités de gestion du service donné,
- Si la commune choisit la gestion propre, elle n’a pas à recourir à la procédure d’appel d’offres
- La définition de la gestion propre mériterait d’être éclaircie.

Brigitte BAREGES, députée-maire de Montauban, et membre de la Commission Europe de l’AMF, a rappelé que les collectivités locales françaises gèrent au nom de l’intérêt général des services publics pour lesquels le principe d’égalité d’accès et de traitement des citoyens doit être respecté. Avec la mise en concurrence du service, le danger est d’aboutir à une libéralisation totale basée sur une concurrence oligopolistique. Mais il ne faut pas non plus oublier la liberté de choix dans la prestation des services pour laquelle l’AMF milite. Il faut donc mettre des garde-fous à la libéralisation. Selon Mme Barèges, la solution passe par la construction d’un équilibre évolutif entre les règles de la concurrence et des services publics gérés selon des normes de qualité, tout en maintenant une nécessaire liberté de choix des élus locaux quant à la nature des prestations de service public.

Roland SCHÄFER, maire de Bergkamen, premier vice-président de l’Association des Villes et des Communes allemandes, a fait part de ses inquiétudes concernant les conséquences d’une libéralisation totale du service de l’eau.


A l’issue du colloque, une Déclaration solennelle a été prononcée.

Pour aller plus loin
Référence : BW7104
Date : 3 Déc 2004
Auteur : AMF


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