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La motivation d'un acte administratif.

Un arrêté du maire portant interdiction de stationnement sur une voie communale, pour des raisons de sécurité, a été récemment annulé par le Tribunal Administratif pour vice de forme : motivation insuffisante. Le maire s'élève contre ce type de jugement, estime excessives les exigences des textes et de la jurisprudence en matière de formalisme des actes administratifs et demande quelles suites il peut donner à cette décision de justice. Le dossier communiqué appelle quelques explications concernant la distinction entre motifs et motivation d'une décision (I), le champ d'application de la motivation obligatoire (II), la situation des mesures de police par rapport à ce champ (III), le contenu de la motivation (IV) avant d'aborder le cas qui était soumis à l'AMF (V). I - Motifs et motivation Lorsqu'elle prend un acte administratif, l'autorité administrative doit observer un certain nombre de règles concernant
  • d'une part la procédure à suivre pour le prendre et la forme, les mentions, que l'acte devra comporter (éléments de "légalité externe" de l'acte),
  • d'autre part le contenu de la mesure, le fond de l'acte (éléments de "légalité interne" qui, en résumé, sont les suivants : l'autorité administrative doit s'appuyer sur des faits réels, les avoir appréciés avec justesse, appliquer correctement le droit en vigueur ainsi que les textes et principes auxquels est soumise la décision à prendre, poursuivre un but conforme à celui pour lesquels les pouvoirs dont dispose cette autorité lui ont été conférés). Les motifs pour lesquels un acte administratif est pris font partie des éléments de "légalité interne". Tout acte administratif doit reposer sur des motifs. A défaut, il aurait un caractère arbitraire inadmissible, donc illégal. Cependant la formalisation écrite de ces motifs - la motivation - est une règle de pure forme qui n'est pas obligatoire pour tous les actes administratifs. Le principe est en effet que la motivation est facultative, sauf texte (ou règle jurisprudentielle) l'imposant. Si elle est obligatoire, son absence retentira sur la légalité externe de l'acte. S'agissant d'un vice de forme "substantiel", cela conduira à l'annulation de l'acte s'il est attaqué. Mais il sera aisé de reprendre le même acte (en s'abstenant bien sûr de lui donner un caractère rétroactif) en corrigeant ce vice de forme, pour le voir appliqué légalement (ce qui est beaucoup plus difficile pour les vices affectant la légalité interne comme par exemple la régularité des motifs qui ont conduit l'autorité à prendre l'acte). Mieux vaut toutefois, lorsque la motivation est obligatoire, attacher dès l'abord un soin particulier à sa rédaction. Dans quel cas y a t-il obligation de motivation ? II - Champ d'application de l'obligation de motivation Si le principe était, et demeure, la motivation facultative, il a cependant subi une forte érosion, de très nombreux textes spéciaux étant venus rendre la motivation obligatoire dans tel ou tel cas ou domaine ponctuel. Au surplus est intervenu également un texte général apportant un grand nombre d'exclusions : la loi du 11 juillet 1979. 1 - Les textes spéciaux instaurant l'obligation de motivation. Ils sont d'une grande variété : (certains textes de réglementation du travail, entrée et séjour des étrangers, décision de droit de préemption de l'article L 210-1 du Code Urbanisme,…une tentative de recensement des textes de ce type a été expérimentée il y a plus de 25 ans - AJDA 1974, p 349-). Ces exceptions conservent leur importance dans la mesure où un texte général ne saurait déroger à un texte spécial, si bien que la loi du 11 juillet 1979, de portée générale, ne se substitue pas à ces textes spéciaux, et que même si cette loi écarte dans telle hypothèse l'obligation de motivation, celle-ci demeurera si elle se trouve imposée par ailleurs par un texte spécial. 2 - La loi n°97-587 du 11 juillet 1979 modifiée, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public. Elle soumet à une motivation obligatoire les décisions administratives (donc les actes ayant un caractère normatif) individuelles (par opposition aux actes réglementaires) ayant un caractère défavorable ou dérogatoire, mais, entrant dans l'une des catégories limitativement énumérées par cette loi, à savoir : des décisions individuelles qui
  • restreignent l'exercice des libertés publiques, ou constituent une mesure de police ;
  • infligent une sanction ;
  • subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou qui imposent des sujétions ;
  • retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;
  • refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ;
  • refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte au secret ou à un intérêt protégé par les dispositions des 2° à 7° alinéas de l'article 6-I modifié de la loi du 17 juillet 1978 (relative à l'accès aux documents administratifs). III - Les mesures de police On vient de voir que les décisions administratives individuelles de police ayant un caractère défavorable entrent, par l'effet de la loi de 1979, dans le cadre des actes soumis à une obligation de motivation (sauf cas d'urgence absolue - notion à manier avec prudence - ou décision implicite tel un refus implicite d'autorisation de police). On pourrait donc penser que les autres décisions de police, en particulier celles à caractère réglementaire, ne sont pas soumises à l'obligation de motivation. Tel est bien le cas, mais sous réserve, on l'a dit, que d'autres textes particuliers ne viennent pas les y soumettre. Or, tel est le cas du code général des collectivités territoriales en matière de circulation et de stationnement sur les voies publiques. Les articles L 2213-2 (interdictions d'accès de certaines voies à certaines heures, réglementation du stationnement - interdit, unilatéral, limité dans le temps, payant, toléré, de livraison, poids lourds, réservé aux invalides …), L2213-3 (réservation d'emplacement sur les voies publiques aux services publics, taxis, transports en commun, couloirs de bus), L 2213-4 (interdiction d'accès de certaines voies à des véhicules susceptibles de troubler la tranquillité publique), L 2213-5 (interdictions liées au transport de matières dangereuses) précisent expressément ("le maire peut, par arrêté motivé, interdire…") que les actes réglementaires pris par le maire sur ce fondement doivent être motivés. IV - La motivation La motivation doit être écrite et exposer clairement les raisons de fait et de droit qui ont conduit à prendre cette décision ainsi que le raisonnement permettant de faire le lien entre ces raisons et la décision. Les considérations de fait qui justifient la décision doivent être circonstanciées, précises, et exactes. Par exemple, après avoir porté en visa les différents textes concernés, une motivation pourrait être exprimée comme suit :
  • Considérant que la rue "untel", voie communale, à sens unique d'une centaine de mètres de longueur située en centre ville fait l'objet d'une circulation particulièrement importante, notamment du fait qu'elle dessert la gare SNCF, le centre commercial, et l'hôpital "untel";
  • Considérant que la chaussée de cette voie ne fait que 2m50 de large,
  • Considérant que l'intensité du trafic et l'étroitesse de la voie créent des difficultés de circulation, en particulier chaque fois qu'une automobile stationne plus de quelques minutes sur un bas-côté, ainsi qu'ont pu le constater les services de police ou de gendarmerie à plusieurs reprise et notamment : "Monsieur …, gendarme, dans son rapport dressé le …. ;
  • Considérant par ailleurs que, dans son courrier au maire en date du …, Monsieur…, responsable des services d'incendie et de secours signale avoir constaté le …. (ou à plusieurs reprises) que, le long de cette rue, un stationnement prolongé faisait obstacle à ce que, en cas de sinistre, les véhicules de pompiers, compte tenu de leur gabarit et de l'étroitesse de la voie, puissent avoir accès aux immeubles situés au delà d'un véhicule en stationnement" ;
  • Considérant que les difficultés évoquées apportent un trouble grave à la sécurité et à la commodité de la circulation ; que seule une interdiction de stationner sur toute la longueur de la voie tous les jours, à toute heure - si ce n'est un stationnement de quelques minutes nécessaires à la desserte des immeubles riverains - apparaît de nature à remédier aux troubles précités ;
  • Considérant qu'en vertu de l'article L 2213-1 du CGCT le maire exerce la police de la circulation sur les voies de communication à l'intérieur de l'agglomération, et qu'en application de l'article L 2213-2-2° il peut, eu égard aux nécessités de la circulation, réglementer l'arrêt et le stationnement des véhicules ; Arrête : Article 1 - le stationnement de tout véhicule automobile est interdit tous les jours, à toute heure, sur toute la longueur de la rue "untel"…. (On notera que l'exemple ci-dessus est à manier avec une extrême prudence compte tenu du caractère très général de l'interdiction édictée. En effet, dans la plupart des cas, le juge estime excessives les interdictions générales et absolues ; il est en effet souvent possible de prendre une mesure moins contraignante (plus limitée dans le temps et l'espace : stationnement alternatif, en journée seulement, sur une partie de la voie etc …) permettant cependant d'obtenir le résultat recherché et, dans ce cas, la mesure trop excessive est illégale. Pour autant, dans des circonstances locales particulières répondant aux critères précités, une telle mesure générale a été jugée légale [CE, 14 mars 1973, sieur Almelan Lebon p 213]). La motivation par référence à un autre document n'est valable que si elle est suffisamment éclairante. Il ne suffit pas de rappeler que dans telle pièce, par exemple, tel organisme a constaté un danger. Dans cette hypothèse, il convient de s'approprier expressément les considérations figurant dans la pièce en question et de s'assurer qu'en soi elles sont suffisantes, qu'elles expliquent précisément pourquoi il y a danger en l'occurrence dans le lieu concerné. Par exemple, une mise en demeure du maire de se conformer aux prescriptions imposées à une installation classée renvoyant simplement aux études de danger et à un rapport de l'inspection des installations classées sans que celui-ci soit même joint, a été jugée insuffisamment motivée [CAA Lyon, 8 mars 1994, Sté Elf-France, Lebon T. p. 749]. René Chapus, dans son traité de droit administratif général, résume bien les avantages de la motivation, mais aussi ses inconvénients qui expliquent que le principe demeure celui d'une motivation non obligatoire sauf texte l'imposant :
    L'obligation en cause est importante. La motivation est propre en effet à satisfaire à trois exigences : celle de la démocratie, car il est conforme à ses principes que les administrateurs rendent compte aux administrés des raisons pour lesquelles il se sont déterminés ; celle d'une bonne administration, car l'obligation de motiver contraint les autorités administratives à examiner attentivement le bien fondé des décisions qu'elles projettent et est ainsi susceptible de prévenir des décisions insuffisamment étudiées ou difficiles à justifier ; celle enfin d'un bon contrôle de l'administration : la connaissance des motifs des décisions permet aux intéressés de mieux apprécier s'il y a pour eux matière à réclamation ou à recours, tandis que le travail du juge, s'il est saisi, est facilité, de même que, le cas échéant, celui du supérieur hiérarchique ou du Médiateur.
    Mais l'obligation de motiver n'a pas que des avantages. Elle soumet l'administration à des sujétions qui peuvent ralentir ou embrasser le fonctionnement des services ; elle peut être à l'origine, quand elle est mal observée, d'annulations de décisions dont la légalité interne est sans reproche ; elle est de nature à inciter les autorités administratives à s'abstenir de décider explicitement sur les demandes dont elles sont saisies. Sensible à cet aspect négatif de l'obligation de motiver, le Conseil d'Etat ne s'est jamais départi de la jurisprudence très ferme (et souvent critiquée) selon laquelle "en principe, les décisions des autorités administratives n'ont pas à être motivées". Mais l'évolution du droit écrit (et sur un point, du droit jurisprudentiel) est allée dans le sens de l'accroissement des cas de motivation obligatoire. Finalement, une étape importante de cette évolution a été accomplie par la loi du 11 juillet 1979... V - Que faire en cas d'annulation d'un arrêté municipal insuffisamment motivé ? Un appel du jugement ayant annulé l'arrêté pour ce motif paraît avoir très peu de chances de succès. Toutefois, s'agissant d'un simple vice de forme, il peut être envisagé de reprendre le même arrêté en le motivant de façon circonstanciée en fait et en droit, sans rétro- activité (c'est-à-dire avec une date d'effet postérieure à la date à laquelle ce nouvel arrêté deviendra exécutoire). On rappellera au passage que pour être opposables aux tiers les arrêtés de police de la circulation ou du stationnement doivent non seulement être exécutoires mais encore remplir l'exigence spécifique de signalisation posée par l'article R 44 du code de la route.
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    mots-clés : stationnement ; acte administratif ; arrete municipal ; vice de forme ; motivation
  • Référence : BW7764
    Date : 8 Fév 2002
    Auteur : Patrick Belguedj


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