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Interview de Jacques Pélissard, président de l’AMF, dans la revue « Terre sauvage » de février 2006 sur les changements climatiques

Interview de Jacques Pélissard, président de l’AMF, dans la revue « terre sauvage » de février 2006 sur les changements climatiques

 

QUESTION DE TERRE SAUVAGE (TS) : Par rapport aux différentes hypothèses concernant les évolutions climatiques pour les 50 prochaines années, êtes-vous personnellement optimiste ou pessimiste ? Pour quelle(s) raison(s) ?

REPONSE DE JACQUES PELISSARD (JP) : Je suis optimiste et attentif.

Optimiste, puisque nous pouvons agir sur les émissions de CO2. Celles-ci se sont globalement stabilisés pour les pays signataires du protocole de Kyoto depuis 1990. Ce constat provient du secrétariat de la Convention cadre sur les changements climatiques qui a publié un rapport sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 1990 - l’année de référence de Kyoto – et 2003. Certains pays présentent d’excellents résultats climatiques, comme la Lituanie (-66,2 %), l’Allemagne (-8,2 %) ou le Royaume-Uni (-13 %). La France ne fait pas trop mauvaise figure en réduisant les siens de 1,9 %.

Attentif, puisqu’il reste beaucoup à faire, en France et dans le monde, pour diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, tel que le prévoit le protocole de Kyoto. La même étude montre que les émissions de GES de pays tels que le Canada (+24,2 %), l’Australie (+ 23,3 %) ou les Etats-Unis (+13 %) ont augmenté.

De plus, les scientifiques ont prouvé que la température moyenne annuelle à la surface du globe a augmenté de 0,6°C depuis le début du 20ième. En France, l’augmentation de température de 1°C a été observée pour la même période, avec à la fois moins de gelées et des vagues de chaleur importantes (comme la « canicule » de 2003). Les prévisions indiquent que ces évolutions vont encore s’aggraver et s’accompagner des conséquences que nous connaissons (montée du niveau des océans, blanchissement des récifs de coraux dans les DOM-TOM, etc.) ou pas encore.

Bref, de nombreuses actions restent à mettre en place pour continuer à limiter l’ampleur du changement climatique et ses conséquences les plus graves.

(TS) : Quel(s) enseignement(s) tirez-vous des conclusions de la récente conférence de Montréal ?

(JP) : Comme l’indiquait M. Denys GAUER, ambassadeur à l’Environnement au Quai d’Orsay (Rendez-vous Climat 2005 à Paris le 14 novembre 2005), cette 11ème conférence des parties de la Convention climat de l’ONU (première conférence des signataires du protocole de Kyoto depuis son entrée en vigueur le 16 février 2005) montre son caractère « révolutionnaire et insuffisant ».

« Révolutionnaire », puisque, pour la première fois dans l’histoire des relations internationales, des pays ont signé un accord les contraignant à contenir leur émission de gaz à effet de serre. Cette conférence a enfin permis d’adopter les modalités de fonctionnement du protocole de Kyoto. Il est maintenant pleinement opérationnel. D’autres mesures ont été prises, notamment sur la mise en place du premier « round » de négociations sur les réductions pour la phase deux qui prendra place de 2013 à 2017, et l’adoption d’un plan d’action de cinq ans sur l’Adaptation, en appui aux pays en développement afin qu’ils puissant gérer les changements climatiques. L’ensemble de ces mesures vont dans le bon sens, celui qui permettra de répondre aux objectifs de Kyoto pour les pays signataires et surtout, de pérenniser les projets en cours.

« Insuffisant », puisque cette limitation n’engage que les pays industrialisés, à l’exception notable des Etats-Unis principaux émetteurs des gaz à effet de serre dans le monde.

(TS) : Y a-t-il une mesure collective que vous adopteriez toutes affaires cessantes si vous en aviez le pouvoir ? Laquelle et pourquoi ?

(JP) : Une mesure qui aurait un fort impact sur les émissions de gaz à effet de serre pourrait porter sur le logement. En effet, le secteur du logement est le deuxième émetteur de GES (20 %), derrière celui des transports (30 %). En rendant obligatoire la construction et la réhabilitation de bâtiments écologiques, par exemple en étant aux normes HQE (Haute Qualité Energétiques) ou du moins HPE (Haute Performance Energétique), nous réaliserions une économie de 8 % par an d’émissions de GES. Bien sur, ce genre de construction génère un surcoût d’environ 6 % par rapport aux coûts de construction ne répondant pas à ces normes mais, comme l’a indiqué la Ministre de l’Ecologie et du Développement Durable lors du dernier Congrès des Maires, « si la construction aux normes est inscrite dans le cahier des charges dès l’origine du projet, il n’y a plus de surcoût ».

Les actions des collectivités sur les SCOT, les schéma de cohérence territoriale, est souvent méconnue. C’est un bon outil, qui va permettre je l’espère, de lutter contre l’étalement urbain qui représente, à mon sens, un risque considérable de pollution, de GES et de consommation d’énergie.

D’autres mesures, plus incitatives que réglementaires, permettrait de diminuer la consommation énergétique des bâtiments, et donc leurs émissions de GES. Par exemple, la coïncidence du temps de chauffage des bâtiments avec leurs horaires d’occupation (écoles, gymnases, etc.) devrait se généraliser. Cette démarche permet d’alléger les charges d’électricité des bâtiments et services concernés. L’AMF a fait des points réguliers avec les collectivités sur les démarches qu’elles pourraient entreprendre : j’en veux pour preuve la présence d’un « Point info Energie » lors du dernier Congrès des Maires.

(TS) :  En terme de prévention du réchauffement climatique, pensez-vous que la France fait partie des « bons » ou des « mauvais » élèves parmi les Etats occidentaux ?

(JP) :Si j’avais à juger la France de cette façon je dirai : « élève en net progrès, continuer ainsi ».

Comme je vous l’indiquais auparavant, la France a réduit ses émissions de CO2 de près de 2 % entre 1990 et 2003, ce qui n’est qu’un premier pas en vue des engagements pris à Kyoto (la France s’est engagée, pour la période allant de 2008 à 2012, à maintenir ses émissions de GES au niveau de ce qu’elles étaient en 1990. A plus long terme (d’ici 2050), une réduction par 4 (appelé facteur 4) des émissions de GES des pays industrialisés est nécessaire. La France y s’est engagée avec son Plan Climat 2004).

Ce constat résulte des actions menées par France dans la réduction de ses émissions de GES. Les collectivités locales, responsables de 12 % des émissions de GES en France, ont répondu à cet appel et n’ont pas attendu pour mettre en place des actions concrètes sur l’énergie, les déchets, l’habitat, les transports.

Depuis 2004, la France s’est doté d’un Plan Climat, plan d’actions gouvernemental du protocole de Kyoto, qui permettra d’accentuer la lutte contre le changement climatique. Ce plan se décline également au niveau local avec la mise en place des Plans Climat Territoriaux. L’AMF parraine avec l’ADEME, l’association Energie Cités et le Ministère en charge de l’Environnement le guide « un plan climat à l’échelle de mon territoire ». Ce guide est un véritable outil d’aide à la décision pour les collectivités désireuses de mettre en place un Plan Climat Territorial.

(TS) : Comment peut-on concilier la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre et le développement économique des Etats du sud ?

(JP) : Ces deux notions ne sont pas incompatibles. La lutte contre le changement climatique est planétaire : Le protocole de Kyoto prévoit pour les pays du sud un accroissement maîtrisé de leur émission de gaz à effet de serre, en prévision de leur développement économique, à contrario des pays industrialisés qui, pour la plupart, doivent stabiliser leurs émissions ou les diminuer. Les pays industrialisés doivent aider les pays du sud à se développer. Les pays industrialisés peuvent agir en tant qu’exemple, des erreurs à ne plus commettre et qui sont responsables des émissions de GES anthropiques, des solutions à développer pour assurer un développement durable de ces pays.

Beaucoup de collectivités ont également mis en place des coopérations avec les Pays du Sud. Par exemple, le Syndicat départemental du Jura a eu des contacts et des partenariats, pour une durée de quatre ou cinq ans, avec des villes du Sud, comme Antalya, Izmir et d’autres au Maroc.

(TS) : Dans la vie quotidienne, quelle est (quelles sont) la (les) négligence(s) que vous traquez le plus vigoureusement pour vous-même ou vos proches ?

(JP) : Enormément de gestes au quotidien permettent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Tout d’abord, en utilisant, à chaque fois que cela est possible les transports en commun, le vélo ou la marche à pied plutôt que l’usage de la voiture particulière, ou en utilisant des sources d’énergies renouvelables comme le bois, le solaire pour le chauffage domestique, etc.

A ce propos, la fondation Nicolas HULOT a publié, lors du dernier congrès des Maires, un petit guide nommé « Le Petit Livre Vert pour la Terre ». Ce guide, très complet, présente l’ensemble de mesures que chaque eco-citoyen peut prendre pour limiter son impact sur l’environnement et ses émissions de GES.

(TS) : Comment les entreprises peuvent-elles prendre leur part à la lutte contre le réchauffement climatique ? Peuvent-elles y parvenir de leur propre initiative ou faut-il un dispositif légal pour les y inciter ?

(JP) : De nombreuses entreprises ont déjà intégré la lutte contre le changement climatique dans leur politique de développement. Les dispositifs légaux et incitatifs doivent accompagner les entreprises.

Par exemple, la récente mise en place du marché du carbone, fondé sur les quotas d’émission de CO2 attribués aux entreprises, concerne aujourd’hui 1100 sites industriels en France. Cette réglementation européenne permet d’impliquer les entreprises dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, à partir d’un principe qu’elles connaissent bien : la loi du marché.

Des démarches volontaires et encadrées existent, comme les PDE (Plan de Déplacements d’Entreprise), et de nombreuses entreprises y font appel. Les plans de déplacements d’entreprise tentent de mieux organiser l’ensemble des déplacements liés au travail. Ils comprennent l’étude, la mise en œuvre et le suivi, au niveau d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, de mesures destinées à promouvoir une gestion durable des déplacements liés à l’activité de cette ou ces entreprises.

(TS) : Airbus vient d’annoncer la vente de 150 A 320 à la Chine. Estimez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

(JP) : C’est une bonne nouvelle pour l’économie française : tout d’abord parce que cette mesure va pérenniser et créer des emplois en France, à Toulouse, et même en Chine, ensuite parce que nous allons exporter des avions qui répondent aux normes environnementales françaises et européennes. Ces normes sont les plus restrictives au monde.

Il reste aux Chinois à agir, comme nous le faisons en France, sur leurs infrastructures et sur le vol de ces avions pour limiter les nuisances (bruits, etc.) qu’engendre ce secteur.

(TS) : Dans cette lutte contre le réchauffement, quelle est la marge de manœuvre des collectivités territoriales ?

(JP) : Les décisions prises par les collectivités en matière d'aménagement de leur territoire – les modes de transports, les types d'habitat par exemple – influencent pour de longues années le volume des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elles détiennent directement un pouvoir d'actions sur les émissions résultant de la gestion de leur patrimoine (flottes de véhicules, bâtiments publics, etc.) et de l’exercice de leurs compétences (transports, déchets, chauffage urbain, etc.), soit 12 % du total des émissions de gaz à effet de serre.

La prise en compte de la dimension « effet de serre » au sein des politiques communales contribue à améliorer le cadre de vie (développement des transports publics, diminution du trafic automobile et des nuisances qui l’accompagnent, sensibilisation et responsabilisation des habitants à la problématique environnementale, etc.)

S’engager dés à présent dans la lutte contre l’effet de serre est un moyen pour les villes d’anticiper sur l’entrée en vigueur prochaine d’une réglementation coûteuse et inévitable (transports, énergies renouvelables, urbanisme, etc.).

Ce choix politique prospectif nécessite de travailler à l’intégration des politiques de changement climatique dans les politiques urbaines, ce qui ne peut s’envisager qu’au travers de l’élaboration de politiques urbaines globales, transversales et non plus sectorielles. Ce travail d’intégration constitue par ailleurs un bon moyen pour relier et mettre en cohérence l’ensemble des politiques urbaines sectorielles.

De nombreuses collectivités ont déjà lancé des démarches (Chalon-sur-Saône, Nantes Métropole, Rennes, Grenoble-Alpes Métropole, Conseil général des Hauts-de-Seine, Région Poitou-Charentes etc.) telles que des Plans Climat Territoriaux, des contrats ATEnEE (Actions Territoriales pour l’Environnement et l’Efficacité énergétique), des actions dans le cadre des Agendas 21 locaux, des « Défi climat » et encore d’autres démarches volontaires.

(TS) : Estimez-vous que les Français sont suffisamment informés sur le réchauffement climatique, ses causes et ses effets ?

(JP) : Les collectivités locales ont un devoir d’informer les Français sur le réchauffement climatique, notamment  quand elles entreprennent des actions de lutte allant dans ce sens :

- par la participation des citoyens à la rédaction et à la mise en place de ces actions

- par la communication (site Internet, revues, etc.).

On peut par exemple compter à l'heure actuelle quelque 200 initiatives pour des politiques intégrées de développement durable, dont 80 sont des Agenda 21 qui intègrent souvent des actions contre le changement climatique. Les actions de ce type ont toujours un volet pédagogique de sensibilisation, de participation et de communication envers les citoyens.

(TS) : Que préconisez-vous pour accélérer leur prise de conscience ?

(JP) : Une campagne de réduction des GES d’une collectivité locale passe nécessairement par la sensibilisation du personnel, qui diffusera hors de son cadre de travail les gestes éco-responsables à la population.

En communiquant sur les actions qu’elles ont menées en faveur de la lutte contre les GES et sur les résultats environnementaux et financiers qui ont découlé de ces actions, les collectivités contribuent à la diffusion de bonnes pratiques. A ce propos, je tiens à ajouter que l’AMF, la Fondation Nicolas HULOT et l’ADEME se sont associées pour lancer, lors du dernier Congrès des Maires, un concours ouvert à toutes les communes et groupements de communes (Métropole et DOM-TOM) du 25 novembre 2005 au 1er septembre 2006  nommé « un défi pour la Terre des collectivités ». Ce défi propose de récompenser, au prochain Congrès des Maires (2006), les collectivités qui auront mis en place des actions originales de sensibilisation des citoyens sur l’environnement.

Référence : BW8085
Date : 25 Jan 2006
Auteur : Jacques Pélissard, président de l’AMF


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