FORUM (Salle Marianne) - Mercredi 20 novembre 2019 - 14h00 à 15h30

La lutte contre l’habitat indigne : enjeux et perspectives d’évolution

Les élus locaux demandent une simplification des outils juridiques

Leurs actions contre l’habitat indigne nécessitent également une meilleure coordination entre niveaux de collectivités et avec l’Etat. 

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rès d’un an après le drame de la rue d’Aubagne à Marseille, et alors qu’un volet de la loi Élan du 23 novembre 2018 a fait évoluer les règles en matière d’habitat indigne – l’ordonnance devant simplifier les procédures étant attendue pour début 2020 – le forum du 20 novembre a permis aux élus d’échanger autour de cette problématique brûlante mais aussi récurrente. Co-présidé par Pierre Jarlier, maire de Saint-Flour (15) et président de la commission Aménagement et urbanisme de l’AMF, et Frédéric Chéreau, maire de Douai (59), vice-président de la communauté d’agglomération du Douaisis, les débats se sont déroulés en présence de Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement auprès de la ministre de la Cohésion des territoires.

Dédiée aux enjeux de la politique locale de résorption de l’habitat indigne, la première table-ronde a mis en exergue les immenses défis à relever en la matière. Premier constat : l’habitat indigne est un chantier titanesque – entre 600 000 et 800 000 logements seraient concernés, selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre. Plusieurs élus ont illustré la complexité du chantier, notamment Mathilde Caroly, adjointe au maire de Saint-Denis (93) en charge de l'habitat et du logement. Avec l’EPCI Plaine Commune, la ville de Saint-Denis déploie une politique volontariste, avec un partage efficace des missions entre répression et prévention. La commune gère les arrêtés de péril et les demandes de permis de louer, l’intercommunalité pilotant l’opération publique d'amélioration de l'habitat (Opah) et les aides afférentes. Pour autant, Saint-Denis compte 2 300 logements indignes dans son centre-ville – soit un taux de 38% de parc privé potentiellement indigne (PPPI), contre 27 % sur l’ensemble de la commune. Pour y remédier, elle dispose d’un pôle dédié à la lutte contre l’habitat indigne au sein de son service communal d'hygiène et de salubrité (SCHS). Mais si cette problématique est prise à bras-le-corps par l’équipe municipale, la saturation de l’hébergement d’urgence complique encore l’efficacité de leur politique volontariste.  Pourtant, un protocole a été signé le 9 avril 2019 avec l’Etat pour accompagner la ville sur la question du relogement et des hôtels meublés, a indiqué Mathilde Caroly. Mais l’élue a appelé à un soutien (encore) plus actif de l’Etat à l’égard des communes, en proposant notamment de sortir les dépenses liées à la lutte contre l'habitat insalubre du budget de fonctionnement des communes dans le cadre du calcul de leur déficit (contrat 1,2% avec l’Etat).

Un autre territoire « d’exception » a été évoqué lors des débats : la ville de Saint-Laurent du Maroni en Guyane, à 7000 kilomètres de Paris, dont la maire Sophie Charles, a exposé les spécificités : 44 000 habitants (200 000 prévus en 2030) et 50 % de bâti « informel ». Des installations sauvages construites « entre le vendredi soir et le lundi matin » qui laissent l’élue et ses équipes démunies. « Notre ville grandit trop vite pour nous », a-t-elle déploré. Une solution consisterait, selon l’élue, à encadrer l’auto-construction : « les habitants pourraient ainsi devenir propriétaires de terrains viabilisés, qui seront alors à même de recevoir ces logements auto-construits ».

Pierre JARLIER, maire de Saint-Flour (15), président de Saint-Flour communauté, président de la commission Aménagement et urbanisme de l’AMF.

Frédéric CHEREAU, maire de Douai (59), vice-président de la communauté d’agglomération du Douaisis.

Un casse-tête pour les maires

Comment rendre plus efficace la politique de lutte contre l’habitat indigne ? Celle-ci est un véritable « casse-tête » pour les maires, selon les termes de Pierre Jarlier. Depuis trois ans, l’AMF travaille avec la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) – dont le délégué, Sylvain Mathieu, participait au forum – en vue d’établir un mode d’emploi de la lutte contre l’habitat indigne, qui relève d’un maquis juridique particulièrement complexe pour les élus. « Nous sommes à un moment clé, a estimé Sylvain Mathieu. Jamais il n’y a eu autant de sensibilité sur le sujet. Nous pouvons construire la politique de résorption de l’habitat indigne pour les 20 ans à venir », a-t-il résumé.  Jusqu’ici, cette politique s’est construite par l’empilement de strates au gré des besoins pour aboutir à une boîte à outils complète mais toujours trop complexe. « Nous n’étions pas très loin d’inventer un marteau pour chaque clou », reconnaît le Délégué. Quatre enjeux principaux se dégagent selon lui : le repérage de l’habitat indigne, l’efficacité de l’action publique, la prévention, mais aussi les moyens qui y sont consacrés. 
Pour Sylvain Mathieu, « des marges de progression existent sur la bonne articulation entre les différents échelons institutionnels », s’agissant d’une « politique à territorialiser ». Une circulaire de mars 2019 appelle en ce sens à une meilleure articulation avec la justice, a précisé le DIHAL. Sur la répartition des compétences au sein du bloc communal, Pierre Jarlier, président de la commission Aménagement et urbanisme de l’AMF, estime qu’il faut « rester en proximité » sur ces sujets, même si l’intercommunalité est « bienvenue »

Coordination au sein du bloc local

Pour le maire de Douai Frédéric Chéreau, s’il revient à chaque territoire de décider, un « vrai travail commun du bloc communal » est indispensable. « Poissons-pilotes » de la lutte contre l’habitat indigne, les villes sont les mieux placées pour identifier les propriétaires des logements indignes, a-t-il estimé. L’intercommunalité peut alors jouer un « rôle d’observatoire » grâce aux différentes données autour du sujet (conventionnements sans travaux, programmes d’intérêt général, OPAH, ANRU, CAF, etc.) Objectif, à terme : dresser une cartographie la plus fine possible du phénomène. Les déclarations d’intention d’aliéner (DIA) sont également des données à disposition des maires qui pourraient être utilisées en amont pour prévenir l’habitat indigne. Car si le bloc communal forme un « pool d’ingénierie » suffisant, la complexité des textes et des procédures ne sera plus un problème, estime Frédéric Chéreau. 
Quant aux outils à disposition des maires, le maire de Douai a estimé que le « permis de louer », issu de la loi Alur du 24 mars 2014 et revu par la loi Élan, est un dispositif « très intéressant », tout en militant pour « un droit de timbre » qui serait appliqué à chaque demande de permis de louer pour permettre aux communes de financer l’emploi de cet outil. 

Simplifier les outils juridiques

La loi Élan du 23 novembre 2018 a renforcé l’arsenal de sanctions à l’encontre des marchands de sommeil (lire ci-contre) – un numéro vert, le 0826 706 706(ANIL), ayant même été lancé pour signaler les habitats indignes.Cependant, il demeure pour l’heure 21 procédures et 23 polices différentes pour réguler le phénomène, avec des compétences partagées entre le maire et le préfet. C’est tout l’objet du rapport intitulé « Promouvoir l’habitabilité durable pour tous », et visant à simplifier les polices de l’habitat indigne (1), remis par le député du Val d’Oise Guillaume Vuilletet – intervenant au forum –, le 8 octobre, au gouvernement. Objectif : éclairer la rédaction de l’ordonnance prévue par l'article 198 de la loi Élan, qui devrait s’appliquer à compter du 1er janvier 2021. Le rapport prévoit notamment de passer de 23 polices différentes à une police unique en fonction de la situation du bâti. Autre proposition : permettre d’enclencher plus tôt la procédure d’expropriation lorsque le propriétaire refuse de réaliser les travaux.  « La volonté politique existe désormais », a indiqué le député. Et « La peur a changé de camp », a-t-il affirmé au vu des récentes condamnations prononcées à l’encontre des marchands de sommeil. 

Répondant aux questions de la salle, Julien Denormandie a voulu rassurer les maires en indiquant que les pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne avaient été « reboostés ». A la question d’une maire ayant relevé que les propriétaires de logements insalubres continuaient parfois à recevoir les allocations de la Caisse d’allocations familiales (CAF), le ministre a concédé qu’il existait effectivement un « problème de transmission des données fiscales », un « travail (étant) mené sur le sujet avec Bercy », tout en concédant l’impossibilité de « généraliser cette transmission ». Mais, a-t-il rappelé, « le droit dit que dès lors qu’un logement est indécent, le versement des allocations familiales doit être stoppé ». 

Loi Élan et habitat indigne : des sanctions renforcées

La loi Élan du 23 novembre 2018 corse l’arsenal de sanctions contre les marchands de sommeil (1). En particulier, l’administration fiscale peut saisir les loyers illégalement perçus. Autre nouveauté : les syndics de copropriété et les agents immobiliers sont désormais tenus de signaler au procureur de la République les faits susceptibles de constituer une activité de marchand de sommeil.  La loi Élan généralise également la procédure d’astreinte administrative issue de la loi Alur de 2014 à l’ensemble des procédures de police spéciale de lutte contre l’habitat indigne.

Julien Denormandie a également évoqué le dispositif prévu par la loi Élan pour sanctionner plus durement les marchands de sommeil – à l’instar de « trafiquants de drogue », bien souvent « connus » des acteurs, et qu’il appelle à « dénoncer ». Depuis la loi Élan, les syndics de copropriété et les agents immobiliers sont tenus de signaler au procureur de la République les faits susceptibles de constituer une activité de marchand de sommeil. Idem pour les notaires, qui doivent désormais informer le maire qu’une personne condamnée à l’interdiction d’acheter un bien immobilier a tenté de se rendre acquéreur d’un bien situé sur sa commune. Le ministre chargé du Logement est aussi revenu sur le drame de la rue d’Aubagne, à Marseille, le 5 novembre 2018, le département des Bouches-du-Rhône ayant depuis été désigné « territoire prioritaire » de la lutte contre l’habitat indigne. « Il n’y a pas de fatalité », selon lui : « on ne peut pas laisser périr nos centre-villes », a-t-il conclu.

Caroline SAINT-ANDRE