FORUM (Salle de la Nation) - Mercredi 20 novembre 2019 - 14H00 À 16H00

Les élus demandent des actions urgentes pour les ressources des communes ultramarines

Frappés par des iniquités, tant en terme de produits fiscaux que de niveau des dotations, les territoires d’Outre-Mer ont besoin d’actions correctives rapides.

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epuis des années, les maires d’Outre-Mer alertent sur les difficultés financières de leurs communes. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France (Martinique) et coprésident du forum, parle d’un « sous-financement structurel » et appelle à un réexamen des modalités de financement de ces communes. Ce constat a été largement partagé par les élus au terme de ce forum axé sur les actions à amplifier pour l’amélioration des bases de la fiscalité locale et sur les adaptations souhaitables des dotations pour ces territoires.

Les échanges se sont appuyés sur les propositions formulées par le Comité des finances locales (CFL), en juillet 2019, sur les dotations et la fiscalité locale ultramarines. Mais également sur les travaux actuellement menés par la mission sur les finances locales en Outre-Mer, confiée par le gouvernement à Georges Patient, sénateur de la Guyane, et Jean-René Cazeneuve, député du Gers et président de la délégation de l’Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui doivent remettre leur rapport au Premier Ministre à la mi-décembre 2019. Et enfin, sur une étude de l’AMF venant de paraître, qui analyse la situation financière des communes et intercommunalités de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion (1).

Faiblesse de la fiscalité locale

La première problématique abordée lors du forum, la faiblesse de la fiscalité locale directe en Outre-Mer, est liée à l’insuffisance des bases cadastrales, à des difficultés d’adressage et de recouvrement. Le phénomène impacte tous les territoires ultramarins, certains plus gravement que d’autres. Il génère un manque à gagner pour les communes. Roland Loe-Mie, conseiller municipal délégué aux finances à Cayenne (Guyane), a pointé qu’il n’y a que deux géomètres du cadastre pour toute la Guyane (soit 83 000 km2, à 90 % non cadastrés). Il a relaté les efforts de la ville pour aider à la mise à jour des bases, « avec des résultats relativement concluants, jusqu’à ce que les services fiscaux nous disent que cette action de terrain, s’appuyant sur des agents rentrant chez les habitants, était illégale ». A Mayotte, la situation est aussi très mauvaise. « L’Etat doit faire le nécessaire pour garantir l’égalité républicaine en matière fiscale, réclame Said Omar Oili, président de l’Association des maires de Mayotte, maire de Dzaoudzi Labattoir. Sur une île de 374 km2, on ne peut pas comprendre que l’on ne soit pas en capacité de régler ce problème ».

« Des progrès ont eu lieu, mais le compte n’y est pas, confirme Antoine Homé, rapporteur de la Commission des finances et de la fiscalité locale de l’AMF. L’Etat doit mettre les moyens pour aller au bout ce chantier capital. » Un avis partagé par Georges Patient, qui rappelle la nécessité d’une « collaboration » entre les services fiscaux et les collectivités pour avancer. Il précise que le rapport bientôt remis au Premier Ministre proposera la mise en place d’un groupe de travail par territoire pour traiter des effets particuliers de la réforme de la taxe d’habitation. « Compenser la disparition de la taxe d’habitation sur la base de l’année 2017, dans un contexte de bases fiscales très fragmentaires, constituerait une injustice supplémentaire », témoigne en effet Said Omar Oili.

Didier LAGUERRE, maire de Fort-de-France (971)

Philippe LAURENT, maire de Sceaux, secrétaire général de l’AMF, président de la commission des finances et de la fiscalité locale de l’AMF

Dotations de péréquation

La 2ème problématique de ce forum concernait le rattrapage de dotations de péréquation. Des simulations effectuées dans le cadre du CFL ont en effet montré que l’application du droit commun aux communes des cinq départements d’Outre-Mer les aurait conduits à percevoir, en 2019, 55 millions d’€ de dotations de plus que ce qu’elles ont reçu (selon un calcul intégrant l’octroi de mer dans le potentiel financier des collectivités concernées). La logique est la même au titre du FPIC (Fond national de péréquation des ressources intercommunales et communales), avec un décalage au regard du droit commun évalué par le CFL à près de 30 millions d’€ au détriment des ensembles intercommunaux des départements d’Outre-Mer. Le diagnostic est donc sans appel, pointant des sous-dotations. Didier Laguerre a rappelé que, pour couronner le tout, ces collectivités ont été lourdement impactées par la contribution à la réduction des déficits publics (CRFP). « Pour les communes de métropole dites “en situation difficile”, cette CRFP a été neutralisée. Mais pas pour celles d’Outre-Mer, alors qu’elles entrent toutes dans la catégorie des communes les plus fragiles. Sur la période 2012-2017, cela a représenté 284 millions d’€ de pertes de financement », précise-t-il. 

Après avoir posé le constat, le CFL a acté la nécessité de rattraper les écarts et fait des propositions. Trouver une solution corrective n’était pas simple, car l’application des dotations de péréquation métropolitaines provoquerait des bouleversements considérables. Le gouvernement a suivi les positions du CFL et inscrit dans le projet de loi de finances 2020 une première étape de rattrapage : une dotation de péréquation spécifique d’un montant de 17 à 18 millions d’€ au bénéfice des communes des cinq départements d’Outre-Mer. Le montant est à peu près arrêté, même s’il y a encore débat, notamment sur les critères de répartition de ce montant entre collectivités. « La solution n’est pas parfaite, mais elle est pragmatique et permet d’amorcer un rattrapage sans plus attendre. Personnellement, je préfère des solutions imparfaites qu’une perfection qui ne se réalise jamais », a souligné Antoine Homé. Il a suggéré de « faire ce qui peut être fait cette année, puis de peaufiner le dispositif l’année prochaine et préparer en parallèle les réformes profondes qui sont à mener ». Il met cependant le doigt sur le sujet qui fâche : « le CFL avait demandé que ce dispositif de rattrapage soit financé par des crédits budgétaires de l’Etat, car il relève de la solidarité nationale. Or, ce qui est prévu, c’est un financement par l’enveloppe de la DGF, donc en clair, par les communes de métropole. »

Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF, président de la commission des finances et de la fiscalité locale de l’AMF

« Gérer l’urgence et le long terme »

« Il convient d’accélérer et d’amplifier le processus de rattrapage qui est aujourd’hui amorcé sur les dotations de péréquation pour l’Outre-mer. Pour cela, la solidarité nationale doit être mobilisée, l’Etat doit mettre la main à la poche. Objectivement, les sommes en question ne représentent pas grand-chose par rapport au budget de l’Etat, on est dans l’épaisseur du trait. Parallèlement, pour ne pas se retrouver de manière permanente dans des situations de ce type, dans une perspective à plus long terme, il faut mettre sur pied pour l’Outre-mer un plan de développement qui appelle des investissements générant réellement de la valeur localement. Celui-ci doit s’accompagner, bien sûr, d’un système fiscal capable de prélever effectivement, pour le financement du fonctionnement local, une partie des ressources générées par ce développement économique. »

Rattrapage sur cinq ans

Après la première tranche de revalorisation de 2020, le rattrapage devrait s’étaler sur 5 ans, le président de la République s’étant engagé lors d'un grand débat avec les maires ultramarins, à augmenter sur cette durée de 85 millions d’€ la péréquation à destination des communes ultramarines. « La baisse des dotations a constitué une saignée de 11 milliards d’€ pour toutes les collectivités locales. Depuis deux ans, les dotations sont globalement stabilisées, ce qui fait qu’avec la dynamique de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions d’Outre-Mer (DACOM), malgré tous les défauts de celle-ci, la DGF qui va vers ces communes augmente. C’est une situation dont on ne peut cependant pas se contenter, a résumé Jean-René Cazeneuve. Il faut combler le retard, sur 5 ans, comme promis par le président de la République, et se rapprocher le plus possible, d’année en année, du droit commun. Ce n’est pas une tâche facile, mais il y a des mesures concrètes envisageables pour aller dans ce sens. »

En dehors de ces deux grands thèmes, le forum a abordé deux autres aspects des finances locales. L’un touche à l’octroi de mer, dont l’avenir inquiète les élus ultramarins. Comme l’a précisé Georges Patient, le rapport des deux parlementaires proposera « des pistes pour le pérenniser et introduire une part de péréquation de cette ressource entre collectivités ultramarines ». L’autre concerne la réduction des dépenses de ces collectivités, un sujet que les élus n’ont pas éludé, bien au contraire. Yves Ferrières, adjoint au maire de Sainte-Marie et vice-président de la CINOR (Communauté intercommunale du nord de La Réunion), a témoigné de l’expérience d’un EPCI « bon élève » (baisse significative des dépenses de fonctionnement et poursuite d’un objectif de qualité de gestion), mais paradoxalement «mal récompensé » (pénalité à verser l’an prochain pour dépassement de plafond de budget). Les témoignages sur le sujet ont d’ailleurs conduit le sénateur Georges Patient à rappeler « que l’image de mauvaise gestion souvent accolée aux collectivités d’Outre-Mer est injuste », affirmation d’ailleurs corroborée par l’analyse de l’AMF. Et à rendre hommage à la qualité et à la compétence des élus et des cadres de ces collectivités.

Fabienne NEDEY

(1)www.amf.asso.fr (réf. BW39706)