Rencontre des élus des Outre-mer – lundi 18 novembre 2019

Les maires ultramarins au cœur du 102ème Congrès

Le 102è Congrès s’est ouvert, le 18 novembre, par la rencontre des élus des Outre-mer, à la Maison de la Mutualité, à Paris. Les élus ont aussi participé à plusieurs débats Porte de Versailles dont l’un a traité, le 20 novembre, de la fiscalité et des dotations des collectivités ultramarines.

L

e premier jour du 102ème Congrès, lundi 18 novembre, s’est ouvert, comme c’est la tradition, par une rencontre des élus des Outre-mer, à la Maison de la Mutualité. En introduction de ce temps dédié, François Baroin a rappelé la nécessité « de politiques publiques adaptées et de mesures dérogatoires au droit commun » pour les collectivités ultramarines, évoquant entre autres les problématiques spécifiques, environnementales, de logement, de coût de la vie, de chômage… Le président de l’AMF a plaidé en faveur d’une 3ème vague de décentralisation. « La décentralisation, en Outre-Mer, ce n’est pas que de la différenciation, c’est plus de libertés locales et plus d’adaptation aux problèmes du quotidien de nos administrés », a-t-il souligné, se félicitant que le gouvernement ait prévu, en 2020, une nouvelle loi de décentralisation dite « loi 3D » (pour « décentralisation, différenciation et déconcentration »), l’AMF devant formuler des propositions sur ce sujet après les élections municipales. Entre les interventions des présidents d’associations départementales de maires ultramarins et la table ronde qui s’est ensuivi, de très nombreux sujets ont été évoqués. 

Finances et fiscalité

Sur les finances et la fiscalité, les élus ultramarins ont exprimé leurs appréhensions sur les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation, à l’instar de Stéphane Fouassin, président de l’Association française des maires de La Réunion, maire de Salazie, qui regrette que la solution du dégrèvement ait été écartée et craint que « la compensation soit rognée au fil du temps ». La suppression devant être compensée sur la base des taux de 2017, « nous craignons une nouvelle injustice pour Mayotte, où les services fiscaux ne sont toujours pas parvenus à constituer des bases fiscales fiables et exhaustives », a ajouté Saïd Omar Oili, président de l’association des maires de Mayotte et maire de Dzaoudzi. 

L’avenir de l’octroi de mer a lui aussi été maintes fois soulevé. Maurice Bonté, président de l’Association des maires de la Martinique, maire de L’Ajoupa-Bouillon, a insisté sur la « nécessité de conserver et de pérenniser le champ du dispositif actuel ». Stéphane Fouassin a rappelé « qu’aucune dotation de l’Etat ne saurait le remplacer ». De son côté, Jean-Claude Pioche, président de l’Association des maires de Guadeloupe, maire de La Désirade, a mis l’accent sur l’autonomie financière, « épine dorsale de la décentralisation ». « Une condition essentielle du développement économique est la pacification sociale », a-t-il rappelé, ajoutant que « priver de moyens financiers les collectivités d’Outre-Mer risque d’entraîner le chaos ».

La situation financière des communes et intercommunalités de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion a fait l’objet d’un focus, avec la publication récente d’une étude de l’AMF (1). André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF, a, en tant que président du Comité des finances locales (CFL), engagé une évaluation de l’écart existant, au regard du droit commun, en matière de dotations pour le bloc local dans ces cinq départements d’Outre-Mer. Le CFL a proposé des solutions pragmatiques pour corriger cet écart.

« Nous avons été entendus sur tous les points sauf celui du financement », a déploré André Laignel, qui rappelle que la demande était de faire jouer la solidarité nationale en finançant le rattrapage (17 millions d’euros en 2020 au titre de la péréquation) sur les crédits de l’Etat.


André LAIGNEL,
premier vice-président délégué de l’AMF, président du Comité des finances locales.

Philippe LAURENT,
secrétaire général de l’AMF, président de la commission des finances.

« Mais ce sera pris sur la DGF, ce qui signifie, comme l’an passé pour la reconstruction des territoires dévastés par l’ouragan Irma, que la solidarité s’exerce des collectivités métropolitaines vers celles d’Outre-Mer, sans que l’Etat contribue. C’est là une vision de la solidarité nationale qui m’échappe », s’est-il agacé.

L’accent a par ailleurs été mis sur la sous-consommation des crédits budgétaires pour l’Outre-Mer. Olivier Serva, député de Guadeloupe, président de la Délégation aux Outre-Mer à l’Assemblée nationale, a listé les pistes pour y remédier. « On ne peut pas se satisfaire d’entériner, comme cela a été le cas pour le budget 2020, une baisse des crédits de paiement, constatant la difficulté de certains territoires à consommer le budget qui leur est alloué », a affirmé avec force le député. Pour Philippe Laurent, président de la commission des finances et de la fiscalité locale de l’AMF, « on ne peut pas considérer les programmes d’investissements comme des crédits annuels, il faut absolument qu’il y ait une démarche pluriannuelle avec un engagement à long terme sur ces questions. »

Changement climatique et environnement

De nombreuses autres interventions se sont focalisées sur les effets du changement climatique et l’urgence environnementale, avec notamment un plaidoyer de Maurice Bonté pour « des actions urgentes et ambitieuses de réduction des émissions et d’adaptation ». Il a dénoncé « le coût démesuré de l’inaction » pour les territoires ultramarins insulaires « qui ne sont pas les plus émetteurs mais sont les plus durement touchés par les dégâts sur les infrastructures et le revenu des activités économiques ». Saïd Omar Oili a cité, au nombre des épreuves que Mayotte a traversé récemment, les risques naturels majeurs (tremblement de terre, naissance d’un volcan sous-marin). Le gouvernement s’est engagé à proposer, au premier semestre 2020, un projet de loi sur les risques majeurs qui devrait fortement concerner les ultramarins. 

Sylviane Terroatea, présidente de l’ACCD’OM a mis en exergue « l’apport exceptionnel des Outre-Mer à la biodiversité nationale et planétaire ». David Riché, président de l’Association des maires de Guyane, maire de Roura, a rappellé les dégâts de l’orpaillage illégal en terme de pollution au mercure. Il a estimé que la Guyane est d’une certaine façon, pénalisée économiquement par sa richesse en ressources naturelles en citant à ce titre une succession de grands projets pourvoyeurs d’emplois avortés au nom de l’environnement.

« Il faudrait que l’on travaille sur des compensations : donnez-moi 200 € par arbre et je vous trouverai des centaines de volontaires pour protéger la forêt moyennant un salaire décent. Tout le monde sera content », a-t-il proposé. Fréderix Teriiatetoofa, vice-président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie Française, conseiller municipal de la commune de Rangiroa, est revenu sur la difficulté de mise en œuvre des compétences environnementales en Polynésie et a soulevé des interrogations sur la suite du contrat de projet de la Polynésie Française (portant le financement d’investissements stratégiques en matière d’eau, d’assainissement et de déchets) après 2020.

Annick Girardin, ministre des Outre-mer

« La solidarité ne peut pas venir que de l’Etat »

A la remarque d’André Laignel sur l’absence de la solidarité nationale dans le financement d’une péréquation plus équitable, dès 2020, la ministre a rétorqué que la « solidarité ne peut pas venir que de l’Etat ».

Reconnaissant la situation fragile des finances locales des collectivités ultramarines, elle s’est félicitée des mesures leur redonnant des marges de manœuvre, telle que le transfert, l’an dernier, d’une part de l’octroi de mer aux communes de Guyane et de Mayotte, et la dotation supplémentaire de péréquation à compter de 2020. Le reste de ses priorités dans le cadre du budget 2020 ciblent l’amélioration du quotidien des ultramarins. Elle a évoqué le Fonds exceptionnel d’investissement (FEI), les postes supplémentaires de policiers dans le cadre de la police de sécurité du quotidien (PSQ), le soutien à l’emploi, l’aide aux entreprises, l’éducation, la formation, le logement… Elle a souligné que le PLF pour 2020 prévoit « le rétablissement, pour l’Outre-mer, d’une allocation pour l’accession à la propriété et la rénovation », répondant ainsi à une demande exprimée quelques minutes plus tôt par un élu. 

 

Décentralisation

Autre sujet suscitant beaucoup d’attention : les transferts de compétences. David Riché a estimé que les « maires sont aujourd’hui dépouillés », invoquant la loi Notre qui a « décliné un modèle unique d’organisation ». Stéphane Fouassin a réclamé la liberté pour les communes de décider librement, s’agissant en particulier de l’eau et de l’assainissement. Il a déploré que le gouvernement maintienne contre vents et marées le transfert obligatoire de ces compétences à l’intercommunalité. Mikidache Houmadi, président d’Interco’Outre-Mer, a observé que les transferts de compétences soulèvent des soucis particuliers dans les territoires ultramarins. Il a pointé « le manque d’évaluation préalable », en citant comme exemple « la Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), imposée sans audit financier ni concertation », qui met de nombreuses intercommunalités ultramarines en difficulté. Au-delà de la question du transfert de l’eau et de l’assainissement, les élus ont abordé les mesures du projet de loi engagement et proximité concernant le statut de l’élu et le renforcement des pouvoirs de police du maire.

L’enjeu d’égalité réelle pour les territoires d’Outre-Mer a fait l’objet de plusieurs mises au point. Ainsi, Saïd Omar Oili a évoqué la faiblesse des retraites à Mayotte et rappelé « qu’il n’est pas acceptable que les mahorais doivent attendre 2036 pour avoir la même retraite que les métropolitains », faisant référence à la longue période d’alignement du régime particulier de Mayotte. De son côté, Stéphane Fouassin a mis un coup de projecteur sur l’avis « conforme » de la CDPENAF (Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) en Outre-Mer, alors que cet avis est « simple » sur le territoire métropolitain. Il a appelé la ministre des Outre-mer, Brigitte Girardin, à porter rapidement l’évolution législative à laquelle elle s’est engagée. « Nous attendons tous ce changement, qui redonnera enfin la décision aux maires d’Outre-Mer et les alignera sur la situation de leurs collègues de métropole ».

Inégalités territoriales

Il a naturellement été question au cours des discussions du retard en terme d’infrastructures. Sportives, par exemple : ces territoires, souvent considérés comme des « usines à champions », comptent un tiers d’infrastructures sportives en moins par rapport à la moyenne métropolitaine, et certaines sont en très mauvais état. L’économie a également été au cœur des échanges. Sylviane Terroatea, soulignant le défi de l’emploi, compte tenu des taux de chômage dépassant souvent 30 %, en a appelé « au rôle de l’Etat pour favoriser la création d’entreprise ». Georges Naturel, président de l’Association française des maires de Nouvelle-Calédonie, maire de Dumbéa, a mis en lumière, au-delà des enjeux économiques, environnementaux et sociaux de ce territoire, les suites du référendum d’autodétermination de novembre dernier. « Nous avons vécu un moment démocratique extraordinaire, dont le résultat a été très clair, a-t-il rappelé. Mais le territoire en sort clivé au plan communautaire et géographique. La société mélanésienne a exprimé par ce vote sa forte volonté de reconnaissance identitaire. Le rôle des maires est capital pour continuer à construire notre avenir, le dialogue étant la clé, face aux échéances qui se présentent. Après les municipales, viendra l’organisation d’un second référendum le 6 septembre 2020. »

Risques majeurs en Outre-Mer : le Sénat se mobilise

À l’occasion de leur venue à Paris pour le Congrès des maires, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a souhaité organiser, le 18 novembre, une matinée de travail avec les maires d’outre-mer. A la suite du traumatisme causé par l’ouragan Irma à Saint-Barthélémy et Saint-Martin, en septembre 2017, la Délégation a conduit, pendant deux ans, une étude sur les risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins. 
Le premier volet de ce travail, publié en juillet 2018, était consacré à la prévention et à la gestion de l’urgence. Le second, remis en novembre 2019, se focalise sur la reconstruction et la résilience des territoires (1). Le bilan dressé deux ans après Irma est très insatisfaisant, la reconstruction n’étant pas achevée : en août 2019, Saint-Martin était en effet reconstruite à 49 %, contre 87 % pour Saint-Barthélémy. Les rapporteurs ont formulé des recommandations pour, dans de telles circonstances, favoriser une reconstruction efficace et durable. Le rapport s’intéresse aussi aux algues Sargasses aux Antilles et au volcan naissant à Mayotte. Il propose la création d’un réel fonds vert pour soutenir les actions en faveur de la résilience des territoires face au changement climatique. 
Au terme de ses travaux, la Délégation appelle le Gouvernement à engager, avec les collectivités, une politique ambitieuse et durable de prévention et de gestion des risques naturels majeurs

 

Parmi les autres sujets abordés, le 18 novembre, ceux concernant l’éducation et la jeunesse méritent une mention spéciale. « Les défis ne se posent pas partout dans les mêmes termes, compte tenu de la réalité démographique des territoires. La scolarisation obligatoire des enfants à l’âge de 3 ans par exemple, est inaccessible dans le contexte de la Guyane ou de Mayotte, où les enjeux et les priorités en termes d’école sont prosaïquement ailleurs », a relevé Agnès Le Brun, vice-présidente de l’AMF. Plaidant en faveur d’une adaptation aux conditions locales, elle a indiqué que beaucoup de sujets « soulèvent un enjeu d’équité, qui demande de la broderie au petit point plutôt que des promesses verticales ». Il faudrait mentionner encore bien d’autres points soulevés par les élus, s’agissant de culture, de numérique, de logement, de la maîtrise du foncier, de la problématique d’autosuffisance alimentaire, d’accès aux soins et à la santé, de fonds de cohésion européens … Autant de sujets qui ont souvent étaient traités, au cours des jours suivants, lors des autres débats et forums du Congrès, Porte de Versailles. 

Fabienne NEDEY

(1) www.amf.asso.fr (réf. BW39706)