FORUM (Salle de la Démocratie locale) - Mercredi 20 novembre 2019 - 9h30 à 12h30

Les maires ne veulent pas jouer « les potiches » à l’hôpital

Les élus restent mobilisés pour défendre la présence hospitalière sur leur territoire. Et entendent s’impliquer dans la gouvernance des structures. 

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ifficile d'être plus dans l'actualité que ne l'a été le forum sur les hôpitaux, le 20 novembre. Hasard du calendrier, le Premier ministre présentait au même moment un « plan d'urgence » pour répondre à la crise des hôpitaux. Cela a expliqué l'absence de la ministre des Solidarités et de la Santé, qui aurait dû intervenir lors du forum. La directrice adjointe de l'offre de soins au ministère de la Santé, Stéphanie Decoopman, a représenté l'État. Rude tâche car les maires se sont montrés déterminés, fermes, volontaires. « Les maires ont alerté depuis très longtemps déjà car si la santé n'est pas de leur compétence, ils ont essayé de pallier les carences de nos territoires », a rappelé Isabelle Maincion, maire de La Ville-aux-Clercs (41), rapporteure de la commission santé de l’AMF et coprésidente du forum. Aujourd'hui « on a besoin de remailler tout le territoire. Ce ne sont pas les maires qui peuvent le faire, mais ils peuvent y aider ». 

Le label de proximité ne convainc pas

Si Bernard Vauriac, maire de Saint-Jory-de-Chalais (24), président de la commission Santé de l'AMF et co président du forum, a plusieurs fois mis les formes pour « parler gentiment », ses collègues n'ont pas toujours retenu leur colère ou leur impatience. Ce fut le cas du maire de Saint-Claude, dans le Jura, encore choqué de la « brutalité » avec laquelle les décisions de fermetures de services de l'hôpital (maternité, pédiatrie, chirurgie) lui ont été imposées pour des « raisons uniquement financières ». « Depuis, tout dégringole, a résumé Jean-Louis Millet. Nous avons l'impression d'être revenus au Moyen-âge sanitaire », a-t-il déploré évoquant l'accouchement ces derniers six mois de deux jeunes mamans sur le bas-côté de la route de montagne menant, à deux heures de là, au nouvel hôpital. « Nous restons vent debout », tonne l'élu qui évoque les conséquences en chaîne, comme « la crise des pompiers volontaires car ils sont sans cesse en intervention et les entreprises ne veulent plus les recruter ».  

A Vierzon (18), la fermeture de la maternité a été évitée de justesse. Son maire, Nicolas Sansu, « subodorait que le projet était de transformer l'hôpital en hôpital de proximité. Pour cela, il fallait fermer la maternité ». Également référent relations ville-hôpital de l’AMF, il reste circonspect vis-à-vis de ce nouveau label d'« hôpital de proximité », prévu par la loi santé du 24 juillet 2019. Le gouvernement a obtenu de légiférer par ordonnances. Ordonnances que l'on attend encore. Nicolas Sansu a rappelé à ses collègues le décompte initial : « 250 hôpitaux locaux peuvent être aujourd’hui transformés en hôpitaux de proximité. Le ministre parlait au départ d'un objectif de 600 hôpitaux de proximité. 350 hôpitaux devaient donc être déclassés car ils ont des services de chirurgie et d’obstétrique qui ne sont pas dans le cahier des charges des hôpitaux de proximité ». Visiblement, la pression s'est un peu relâchée comme l'a précisé Isabelle Maincion, rapportant le fait que le ministère a récemment indiqué aux élus qu’il n’avait pas d’objectif chiffré au-delà des 250 hôpitaux repérés comme pouvant être labellisés. Les maires n'osent pour autant pas crier victoire. « On sait qu’on aura malheureusement quelques dégradations », temporise l'élue. Le message des maires ne varie pas, synthétisé en une phrase par le maire de Vierzon : « Il ne s'agit pas de proposer de la neurochirurgie partout, mais de préserver ce qu'on sait faire, car l'hôpital est le nœud gordien de l'accès aux soins dans nos communes ». 

L’État ne rassure pas les élus 

La directrice adjointe de la DGOS a tenté de déminer le débat, comme elle l'avait fait au printemps lors d'une réunion de la commission Santé à l'AMF. Stéphanie Decoopman a défendu la loi et confirmé qu'il n'y a pas d'objectif chiffré, que l'adhésion des hôpitaux sera volontaire et qu'ils y gagneront « un modèle financier stabilisé » tandis que les projets tiendront compte du contexte. La parole de l’État n’a pas suffi à rassurer les élus. Les maires étaient également impatients de connaître les mesures promises par le gouvernement concernant le plan d'urgence pour les hôpitaux. Ils ne se sont pas privés de les commenter à chaud, sitôt celles-ci apparues sur les écrans de leurs téléphones portables… La reprise par l’Etat de 10 milliards d'euros de la dette des hôpitaux sur trois ans afin d'aider à « restaurer l'équilibre financier des établissements » a été jugée « une très bonne idée » par Nicolas Sansu et Benoit Arrivé, maire de Cherbourg-en-Cotentin (Manche). Le coup de pouce budgétaire d'1,5 milliard d'euros sur trois ans pour l’hôpital public, dont 300 millions dès 2020, a en revanche laissé les élus plutôt dubitatifs, parce que « largement insuffisant ». D'autres mesures concernent le personnel soignant. « Ce sont des annonces fortes », a estimé Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, de retour de la conférence du Premier ministre. « Mais je ne sais pas si elles suffiront pour l'hôpital public ». Quant à l'hospitalisation privée qu'il représente, elle ne demande qu'à « jouer un rôle de complémentarité majeur », a-t-il souligné.  

Les maires tentent de reprendre le pouvoir

Pour les maires, l'enjeu immédiat est aussi de reconquérir un peu de pouvoir, puisqu’ils l'ont « perdu » au sein des conseils d'administration des hôpitaux, transformés en conseils de surveillance, sans pouvoir budgétaire. « Nous sommes devenus des potiches », a décrit Nicolas Sansu en forçant le trait. Ce rôle ne leur plait pas du tout. Surtout aux plus jeunes. Comme Eric Delhaye, maire de Laon (02), « propulsé président du conseil de surveillance de l'hôpital de Laon dans un groupement hospitalier de territoire (GHT) de 11 établissements avec l'hôpital de Saint-Quentin comme hôpital support. Très vite, on m'a fait comprendre que j'avais très peu de choses à dire ou à faire ». D'ailleurs les conseils sont annulés faute de point mis à l'ordre du jour par le directeur. Lorsque le maire demande à parler stratégie, pour enrayer « la spirale du déclin » dans laquelle sombre l'hôpital, le directeur lui oppose un refus catégorique. Eric Delhaye a donc organisé une réunion avec le comité médical d'établissement mais en mairie. « Et je peux vous dire que les médecins en étaient très heureux », a-t-il expliqué à l'assistance. 

Isabelle MAINCION, maire de La Ville-aux-Clercs (41), rapporteur de la commission Santé de l’AMF.

Bernard VAURIAC, maire de Saint-Jory-de-Chalais (24), président de la communauté de communes Périgord-Limousin, président de la commission Santé de l’AMF.

Nicolas SANSU, maire de Vierzon (18), référent relations ville-hôpital de l’AMF.

 

Dans la salle, le maire d'Avranches (50) indique avoir cédé la présidence du conseil de surveillance à la représentante des usagers, et préféré s'investir dans le « comité territorial des élus locaux » « car il permet d'instituer un dialogue avec les agences régionales de santé, les médecins, etc., et de construire un projet de santé territorial».

« On y croit », a-t-il lancé. Autre exemple plutôt dynamique, celui de la ville de Douai (59). Son maire, Frédéric Chéreau, a « la chance de bien s'entendre avec le directeur d'hôpital ». Visiblement, cela change tout. Cela a permis de « travailler à une relation ville-hôpital » et sur la « responsabilité populationnelle ». Douai est l'un des cinq territoires à anticiper ce travail où la logique est inversée. « On travaille sur deux pathologies chroniques élevées chez nous, insuffisance cardiaque et diabète, et on mobilise tous les acteurs de santé pour aller au-devant des gens et éviter que le patient ne consulte trop tard ». Par son expérience, il confirme que le maire « peut être le catalyseur, le facilitateur »

Cela donne d'autant plus de regrets aux élus qui n'arrivent pas à se faire entendre de leurs agences régionales de santé (ARS). Le manque de dialogue et de retours est vécu comme une marque de mépris. « Dois-je me faire hara-kiri pour qu'on m'entende ? », s’est interrogé un élu du Lubéron qui attend depuis mars une réponse à son courrier. La déception est d’autant plus douloureuse que les directeurs d’ARS avaient promis le contraire lors d’une réunion à l’AMF au printemps dernier.

Les médecins recherchés mais aussi critiqués

« Aucun médecin n'accepte de s'installer dans notre village ». « Le médecin est parti en retraite sans avoir trouvé de remplaçant ». L'urgence est là pour un certain nombre de communes et de quartiers qui voient partir le dernier médecin avant qu'un nouveau ne l'ait remplacé. La situation sera pire dans dix ans car le problème n'est pas le nombre de médecins mais leur répartition, a prévenu Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé. Les communes peuvent jouer un rôle, comme à Cherbourg-en-Cotentin (50) où l'expérience « des paradis de Cherbourg » mise sur la venue de jeunes internes en formation. Car la répartition des médecins s'améliorera à mesure que leur profil évoluera. C'est ce qu'affirment Patrice Diot et Léonard Corti, secrétaire général de l’Intersyndicale nationale des Internes. Un espoir donc. Pour l'heure, les élus dénoncent encore ces médecins « mercenaires » qui « réclament 1400 euros par jour à l'hôpital » ou « 3500 euros pour assurer les urgences », comme le symptôme d'un système qui tourne à l'envers. 

 

Fatigués mais pas fatalistes, les maires ne lâchent pas. « Nos territoires ne veulent pas crever », s’est exclamé Bernard Vauriac, appelant à la mobilisation de ses collègues à tous les niveaux : « revenez au centre du débat » et « saisissez-vous d'outils comme le contrat local de santé ».

Emmanuelle STROESSER