FORUM (Salle de la Nation) - Mercredi 20 novembre 2019 - 16h00 à 17h30

Lutte contre les dépôts sauvages : quels outils pour les maires ?

Elus et experts ont passé en revue les outils et procédures auxquels les maires peuvent recourir alors que le législateur prévoit d’alourdir les sanctions.  

L

e décès de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes (83), l’été dernier, alors qu’il interdisait le dépôt sauvage de déchets sur sa commune, était présent dans toutes les têtes lors du forum, co-présidé par Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien (89), co-président du groupe de travail Déchets de l’AMF et Pascal Thévenot, maire de Vélizy-Villacoublay (78). En préambule, quelques données ont été rappelées sur ce fléau. Selon les dernières estimations, 70 % des dépôts sauvages seraient issus du secteur du bâtiment – qui génère à lui seul plus de 40 millions de tonnes de déchets par an –, une partie d’entre eux étant dus à des « entreprises » illégales. Résultat : une facture pour les collectivités, bloc communal en tête, estimée entre 340 et 420 millions d’euros par an. Pourtant, depuis le 1er janvier 2017, les distributeurs de matériaux du bâtiment (dits « négoces ») ont l’obligation de reprendre les déchets de chantier issus des produits vendus.  Une mesure qui, près de trois ans après son entrée en vigueur, n’a pas vraiment trouvé son public… 

Méthode musclée 

Devant une salle comble et particulièrement réactive, Pascal Thévenot a d’abord évoqué sa méthode musclée pour éradiquer le phénomène sur sa commune. Exaspéré de retrouver systématiquement des déchets de chantier sous une dalle dans un quartier en rénovation urbaine, le maire de Vélizy a un jour demandé à ses services techniques de l’aider à « rendre » à l’auteur des déchets – un artisan identifié par une caméra de surveillance mobile – en lui déversant « ce qu’il avait oublié » dans son jardin. Sous les applaudissements admiratifs de la salle, l’élu a néanmoins précisé que ce coup de sang lui avait valu une plainte au correctionnel pour… dépôt sauvage ! Mais s’il a été relaxé en appel, Maître Laura Picavez, avocate au cabinet Gossement, a néanmoins rappelé qu’il s’agissait là d’une « bonne fortune » sur le plan juridique car la pratique du i est toujours sanctionnée.

Nicolas SORET, président de la communauté de commune du Jovinien (89).

Pascal THEVENOT, maire de Vélizy Villacoublay (78).

 

Police administrative et voie pénale

Pour ne pas risquer un contentieux, les maires disposent d’un panel d’outils juridiques – renforcés par la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement. Le maire peut ainsi, au titre de son pouvoir de police administrative, engager une procédure sur le fondement de l’article L. 541-3 du code de l’environnement – modifié par la loi du 24 juillet 2019 –, en respectant certaines étapes.  Le manquement doit d’abord être constaté, et faire l’objet d’un rapport. Puis, le maire « avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt », l’informe « de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours » – au lieu d’un mois auparavant. Passé ce délai, le maire peut alors mettre en demeure l’auteur du dépôt et prendre un arrêté fixant un délai dans lequel il devra être éliminé. Si rien n’est encore fait, le maire peut alors prendre des sanctions allant de l’obligation de consignation des sommes correspondantes aux mesures prescrites, à l’exécution d’office des travaux, en passant par une astreinte pouvant aller jusqu’à 1500 euros par jour, ou/et une amende administrative (150 000 euros maximum). 

Mais le temps du droit n’est pas toujours adapté au quotidien des maires. « Nous ne sommes pas juristes ! », se sont exclamés plusieurs élus dans la salle. « A la mairie, nous sommes deux, moi et ma secrétaire de mairie, pour tout gérer », a renchéri un autre maire. Pour autant, en tant qu’officier de police judiciaire, le maire dispose d’une autre carte en main, a précisé le Major Gérard Valle de l’Office central de lutte contre les atteintes a? l’environnement et à la santé publique (OCLAESP). En effet, l’article R. 633-6 du code pénal punit d’une amende prévue pour les contraventions de 3èmeclasse (68 euros) les abandons ou dépôts de déchets « le fait de déposer, d'abandonner, de jeter ou de déverser, en lieu public ou privé, à l'exception des emplacements désignés à cet effet par l'autorité administrative compétente, des ordures, déchets, déjections, matériaux, liquides insalubres ou tout autre objet de quelque nature qu'il soit, y compris en urinant sur la voie publique, si ces faits ne sont pas accomplis par la personne ayant la jouissance du lieu ou avec son autorisation. » Des sanctions plus lourdes sont prévues par l’article R. 635-8 du code pénal lorsque les déchets ont été transportés « avec l’aide d’un véhicule » (1500 euros d’amende et confiscation du véhicule). Quant aux entreprises se livrant à des dépôts sauvages, l’article L. 541-46 du Code de l’environnement prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d'amende. 

Sanctions : ce que prévoit le projet de loi « Économie circulaire » 

Dans sa version adoptée par le Sénat et transmise à l’Assemblée nationale le 30 septembre, le texte porté par Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, prévoit notamment de simplifier la procédure de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, et de l’inscrire dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT). En l’état, la phase contradictoire de dix jours avec le contrevenant passerait à 48 heures. Une fois ce délai écoulé, le maire pourrait prononcer une amende et mettre en demeure l’auteur du dépôt de remettre le site en état, dans un délai qu’il fixerait. Pour que la procédure s’interrompe, l’auteur devra produire un justificatif attestant de la réalisation des mesures prescrites par la mise en demeure. Enfin, si un « trouble du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité » apparaît, le maire pourrait faire « procéder à l’exécution d’office des opérations prescrites par la mise en demeure, aux frais du contrevenant ». Des frais que la collectivité devra avancer avant de les recouvrer en émettant un titre de recette auprès du comptable public. 

 

 

Avec une bonne coordination entre les acteurs, la voie pénale peut aboutir, comme a pu le confirmer Jean-Marie Chabane, chef de l’unité départementale du Val-de-Marne à la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’écologie (DRIEE) Ile-de-France. Encore faut-il avoir identifié la personne responsable des dépôts, ou… ne pas être en proximité directe avec l’auteur avéré. Un maire d’une petite commune, « où tout le monde se connaît », rapporte avoir retrouvé une enveloppe contenant une balle dans sa boîte aux lettres, après avoir demandé au responsable d’un dépôt sauvage – un artisan voisin – d’éliminer ses déchets. 

Evolution législative

« Faut-il étendre les pouvoirs du maire en la matière ? Non, il faut les former », a résumé Nicolas Soret, co-pre?sident du groupe de travail De?chets de l’AMF, qui prépare un nouveau guide complet et didactique sur le sujet. Dans le cadre des travaux de préparation de la future loi Economie circulaire, en cours de discussion au parlement, l’AMF a fait valoir la responsabilité de la filière du bâtiment sur cette question, tout en pointant un problème de maillage des déchetteries (4 643 sur tout le territoire) et des lieux d’accueil des professionnels (500). Sur ce point, le projet de loi prévoit de créer une nouvelle filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour le secteur du bâtiment au 1er janvier 2022, mais aussi d’augmenter le nombre de « centres d’accueil pour les déchets du bâtiment ». Le gouvernement prévoit également la création d’un système de traçabilité des déchets et celle d’un observatoire national de la gestion des déchets. 

Caroline SAINT-ANDRE