FORUM (Salle de la Citoyenneté) - Jeudi 21 novembre 2019 - 11h30 à 13h

L’avenir incertain de la gouvernance territoriale du sport

Lors du débat consacré à l’Agence nationale du sport (ANS), installée au printemps dernier, les élus ont fait part de leurs inquiétudes sur la déclinaison territoriale de son modèle de gouvernance, en 2020, ainsi que sur les moyens qui lui sont alloués.

L

ors du 101è Congrès de l’AMF, les élus s’inquiétaient de pouvoir trouver leur place dans la gouvernance de l’Agence nationale du sport (ANS). A présent que celle-ci est acquise, depuis son inauguration en avril, et la loi du 1er août 2019 qui formalise son fonctionnement, les élus cherchent à présent à garder la main dans ses déclinaisons territoriales, qui vont être structurées en 2020. Comme le processus qui a porté l’Agence, cette deuxième étape risque d’être compliquée, car de nombreux acteurs – État, mouvement sportif, entreprises et différentes strates de collectivités – sont impliqués. Et tous ne sont pas d’accord sur la répartition des rôles, qui doivent être précisés dans deux décrets d’application de la loi.

Comme l’a rappelé David Lazarus, maire de Chambly (60) et co-président du groupe de travail Sport de l’AMF, le modèle de l’ANS, qui est un groupement d’intérêt public (GIP), constitue une « nouveauté » autant qu’un « pari courageux, difficile, de se mettre autour de la même table, à rang égal ». Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, est revenu sur le mode de fonctionnement du conseil d’administration, qui comporte quatre collèges, avec 30 % des droits de vote pour les collectivités territoriales, 30 % pour le mouvement sportif, 30 % pour l’État et 10 % pour le monde économique. Pour Denis Masseglia, président du Comité national olympique du sport français (CNOSF), cette répartition est idéale : « À partir du moment où il n’y a pas un acteur majoritaire, la seule chose qui va guider la décision finale c’est l’intérêt général. »

Quelle déclinaison locale ?

Mais la reproduction de ce modèle à l’échelon local apparaît plus délicate. La loi prévoit deux instances : d’un côté, des « conférences régionales », chargées d’établir un projet sportif territorial, et, de l’autre, une ou plusieurs « conférences des financeurs ». Ces dernières permettront notamment l’identification des ressources pouvant être mobilisées par les membres constituant la conférence des financeurs.

La première inquiétude, selon David Lazarus, porte sur le rôle de l’État, qui pourrait vouloir reprendre la main via les préfets de région, désignés par la loi comme des « délégués territoriaux » de l’Agence. C’est le spectre du Centre national pour le développement du sport (CNDS), le prédécesseur de l’ANS, qui ressurgit : « Dans sa déclinaison territoriale, tout était ficelé à l’avance et les collectivités n’avaient pas leur mot à dire. Si, à la fin, c’est le préfet qui a le pouvoir de décision finale dans l’Agence, ce serait encore pire ! », a prévenu David Lazarus. Arielle Piazza, adjointe au maire de Bordeaux (33), et ancienne présidente du conseil d’administration du CNDS, a renchéri : « À l’époque du CNDS, nous vivions des frustrations, les collectivités n’étaient pas au centre du jeu alors que nous sommes les premiers financeurs du sport en France, nous sommes propriétaires de 80 % des équipements sportifs. »

Frédéric Sanaur a tenu à rassurer les élus en affirmant qu’on restait bien sur un modèle décentralisateur : « Les préfets étaient déjà les délégués territoriaux du CNDS, ils restent ceux de l’Agence, mais ce n’est plus la même gouvernance. Les préfets prendront leurs directives du conseil d’administration, ils ne représentent plus l’État seul mais les membres de la gouvernance partagée. »

Christian BOULEAU, maire de Gien (45), co-président du groupe de travail Sport de l’AMF.

David LAZARUS, maire de Chambly (60), co-président du groupe de travail Sport de l’AMF.

Christian Bouleau, maire de Gien (45) et autre co-président du groupe de travail Sport de l’AMF, se veut optimiste : « Ce qu’on peut dire aux maires, c’est que demain, les conférences régionales vont être à parité, nous allons pouvoir porter la voix de tous les territoires (montagne, rural, littoral, urbain). Ce n’est plus une décision verticale, mais bien une décision partagée », s’est-il réjoui. 

Cette parité n’est pourtant pas acquise : s’il est certain que les territoires seront représentés, leur répartition exacte, au sein des conférences régionales, sera fixée dans les décrets. Si, au conseil d’administration national, quatre des six représentants des collectivités sont des maires (dont trois nommés par l’AMF), avec un autre pour les départements et un pour les régions, cela pourrait changer au niveau régional, selon ce qui sera formulé dans les décrets. 

Pas de chef-de-filat

Pour David Lazarus, l’essentiel est de conserver « de la souplesse » en refusant tout « chef-de-filat » d’une collectivité sur une autre : « les schémas régionaux ne doivent pas être prescriptifs », pas plus que les projets sportifs territoriaux (PST) que les conférences régionales de l’ANS seront chargées d’adopter, suite à l’élaboration d’un « diagnostic partagé ». Diagnostic qui aura pourtant « nécessairement une influence sur la conférence des financeurs, qu’on ne peut pas dissocier de la conférence régionale », a estimé Sylvie Miceli-Houdais, adjointe au maire des sports de Rognac (13). Ce sont devant ces conférences, « pour lesquelles nous avons plus de questions que de réponses », a reconnu David Lazarus, que les maires devront défendre leurs projets et demander des subventions. « Construire une politique ensemble, c’est très moderne, mais nous, maires et ruraux, sommes obligés de poser la question : quelle sera notre place ? », s’est inquiété Sylvie Miceli-Houdais. 

Jean-Paul Omeyer, vice-président de la région Grand Est et représentant des régions à l’ANS, a assuré que « la région n’a pas vocation à dire aux autres ce qu’il faut faire ou à le faire à leur place », et confirmé qu’il est essentiel pour les maires d’y prendre leur place : « Je lance un appel aux associations départementales des maires, qui sont nettement moins présentes dans les réunions préparatrices. 92 % des communes de la région Grand-Est ont moins de 2 000 habitants, et nous avons vraiment besoin que les élus de ces communes rurales et péri-urbaines soient au tour de la table ».

Christian Bouleau a acquiescé et rappelé, en s’appuyant sur son expérience personnelle, que même dans l’ancien système territorial du CNDS, tant décrié par les élus locaux, ces derniers pouvaient peser dans la balance… à condition d’avancer groupés. « Dans le Loiret, pour la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), ce n’est pas le préfet qui décide, c’est nous ! On s’est pris en main : l’AD des maires se réunit avant et décide des orientations. »

Pour autant, d’autres élus comme Bertrand Ringot, maire de Gravelines (59), craignent la concurrence entre territoires et réclameraient presque… une recentralisation : « Je suis attaché à la concertation régionale, mais il faut une décision nationale. Il y a un jeu politique qui va s’organiser, chacun veut des équipements chez lui. Quand il s’agira de grands équipements structurants, il y aura des conflits », a-t-il estimé. Pour David Lazarus, la question ne se posera pas car « les enveloppes régionales seront consacrées aux équipements de proximité. Ce qui est très structurant, en revanche, restera au niveau national, et là aussi, des élus locaux défendent nos intérêts. »

Quelle gestion de proximité ?

Mais la gestion de la proximité, en l’absence des décrets, reste encore floue. Ainsi, si dans la région Grand-Est, il devrait y avoir une conférence des financeurs dans chacun des dix départements, ce ne sera pas forcément le cas ailleurs. Frédéric Sanaur a reconnu que pour faire aboutir leur projet, les maires devront le « défendre dans le cadre d’une vision qui dépasse leur seul territoire » et, pour cela, « connaître l’ensemble des acteurs » : clubs, ligues et fédérations, entreprises… Quoiqu’il arrive, il a assuré que « l’Agence restera un interlocuteur de proximité », qui dialogue au quotidien avec les têtes de réseaux, les grands élus et les fédérations, « mais aussi les présidents de clubs omnisports, même avec seulement cinquante licenciés ».

Des bases financières encore insuffisantes

Même dotée d’une gouvernance territoriale efficace, l’ANS risque de s’essouffler compte tenu des coupes successives dans le budget du sport : après plusieurs amputations dans les moyens alloués à son prédécesseur, le CNDS, le gouvernement n’a consacré à l’Agence que 291 millions d’euros en 2019, contre 350 millions initialement prévus. C’est pourquoi les élus « demandent un déplafonnement des taxes » sur les droits télévisés et les paris sportifs, a expliqué David Lazarus, secondé par Sylvie Miceli-Houdais, « pour qu’enfin, l’Agence bénéficie de vrais moyens ». Pour trouver des ressources, l’enjeu est aussi d’impliquer les entreprises. « Le mécénat sportif est beaucoup moins performant que le mécénat culturel. Nous réfléchissons aux moyens de son développement et présenterons un projet à l’ANS dans les prochains mois », a promis Claire Rabès, de l’Union Sport et Cycle, l’une des deux structures patronales représentées au sein de l’Agence. De son côté, Frédéric Sanaur insiste sur « l’effet levier » des financements étatiques, reconnu par les élus, et remarque que le budget consacré aux équipements sportifs a doublé entre 2018 et 2019, de 27 à 55 millions d’euros, avec une priorité sur les piscines, et un renforcement du cofinancement des emplois dans les clubs.

Au final, David Lazarus aimerait voir dans les conférences de financeurs « non pas un guichet commun, puisqu’il n’y a pas d’enveloppe budgétaire commune, mais une porte d’entrée partagée. Chaque maire a trop souffert de devoir créer 15 à 20 dossiers différents, selon qu’il demande des financements à l’EPCI, au département, à la région, à l’État. Si nous arrivons à mettre en place des dossiers communs, nous aurons gagné 20 ans dans le développement de la pratique sportive. »
On le voit, les maires auront donc à batailler pour conserver leur influence, en théorie acquise. A cet effet, les coprésidents de la commission Sports de l’AMF ont appelé toutes les bonnes volontés à venir siéger : « Nous sommes très demandeurs ! », a conclu David Lazarus.

Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON