DÉBAT (Grand auditorium) - Mardi 19 novembre 2019 - 10h à 12h

Le difficile « chemin de crête » entre adaptation et stabilité de la coopération intercommunale

La gouvernance partagée et l’association des maires au projet communautaire restent essentiels pour éviter le sentiment d’une intercommunalité subie.

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lors que le gouvernement semble avoir une oreille attentive à l’écoute des communes, après les bouleversements provoqués par la loi Notre, les récentes évolutions de l’intercommunalité continuent à susciter un certain rejet chez les maires, notamment ruraux, dont beaucoup ont manifesté un sentiment de dépossession de leur pouvoir lors du débat du 19 novembre intitulé « Intercommunalité : quelles organisations territoriales pour le prochain mandat ? ». « Les dernières études montrent que 25 % des maires souhaitent une révision de la carte intercommunale, mais aussi que 70 % des citoyens voudraient que leur commune retrouve des compétences perdues », a lancé André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF et maire d’Issoudun (36), en introduction du débat. En même temps, la diversité des territoires fait que « l’on constate deux aspirations contradictoires :  certains veulent du calme, que ça s’arrête, après tant de bouleversements ; et dans un nombre important de territoires, où cela ne fonctionne pas bien, on dit : pourvu que ça bouge ! », a ajouté l’élu.

Sentiment de dépossession des maires

Le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, a reconnu que « nous avançons sur un chemin de crête compliqué, entre besoin de stabilité et adaptations nécessaires » à la loi NOTRe. Le ministre n’a pas fait mystère de son opposition à celle-ci : « Le virage dramatique qu’elle a représenté laissait penser que l’intercommunalité avait quelque chose de supérieur à la commune ; au contraire, elle est l’émanation du bloc communal », a-t-il déclaré en prenant acte du « sentiment de dépossession » de nombreux maires. « Beaucoup me disent : On veut bien se faire engueuler pour ce que nous avons décidé, mais c’est compliqué quand il s’agit de décisions pour lesquelles on a été à moitié consulté !. » 

Selon lui, pourtant, il est possible « d’avancer sans détricoter » les textes précédents, notamment via le nouveau projet de loi « Engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique », en discussion à l’Assemblée nationale au moment du Congrès, qui comporte plus « d’assouplissements » que de nouvelles contraintes. Le gouvernement a ainsi déposé 28 amendements au texte du Sénat, dont un contredisant sérieusement la volonté d’apaiser les élus, sur le transfert obligatoire de l’eau et de l’assainissement aux EPCI (lire ci-contre). Les sénateurs, eux, avaient voulu « encourager les bonnes pratiques, et remettre les élus municipaux au coeur de l’action publique. Car l’intercommunalité a parfois donné l’impression de laisser à quai les communes », a souligné Françoise Gatel, sénatrice d’Ille-et-Vilaine et co-rapportrice du projet de loi.

Une gouvernance perfectible

De fait, plusieurs maires assistant au débat ont longuement pris la parole pour exposer leurs griefs face aux récentes évolutions de l’intercommunalité, avec un fossé entre les maires des bourgs et villes-centres et les « petits » maires ruraux, dont beaucoup ont du mal à trouver leur place, en particulier dans les intercommunalités « XXL ». La maire d’une commune de 800 habitants a ainsi critiqué la gouvernance des nouveaux ensembles, avec « des maires ruraux souvent laissés de côté, pas représentés dans les bureaux ».

Selon elle, la plupart d’entre eux n’arrivent pas à suivre le changement d’échelle géographique et donc de responsabilités, qui impose « un dédoublement du temps de travail. On ne peut pas y arriver, même en faisant 70 ou 80 heures par semaine, et si nous ne siégeons pas, beaucoup de choses nous échappent ! »  

André LAIGNEL, premier vice-président délégué de l’AMF, maire d’Issoudun (36), président de la communauté de communes du Pays d’Issoudun, président de la commission Intercommunalité de l’AMF.

Stéphanie GUIRAUD-CHAUMEIL, maire d’Albi (81), présidente de la communauté d’agglomération de l’Albigeois

Ce qui, d’après la maire, occasionne même une dérive technocratique : « La gestion est très administrative, avec des chefs de service qui prennent des décisions sans en parler aux maires. J’ai l’exemple d’une déchetterie qui se trouve dans ma commune, à laquelle les habitants tiennent beaucoup. Un beau jour, un agent communautaire a décidé que l’équipement ne relevait pas de la proximité et, de lui-même, a fermé le service. J’étais furieuse, j’ai récupéré la clé, mais nous n’avons pas ce temps à perdre ! », a-t-elle relaté, très applaudie par la salle. Un maire du Maine-et-Loire, qui a dû rejoindre avec ses voisins une grande communauté de plus de 100 000 habitants, a affirmé que « le président est assez fort pour décider sans nous consulter, par exemple, de donner des tickets restaurants à l’ensemble du personnel intercommunal. Idem pour les tarifs de l’assainissement, c’est anormal, il y a une perte de démocratie ! » Depuis la tribune, le président de la communauté de communes de Porte de DrômArdèche (26), Pierre Jouvet, lui a répondu qu’« à ce moment-là, il faut changer de président ! L’interco, c’est nous, à nous d’y prendre le pouvoir ! » Pour le maire de Maine-et-Loire, ce n’est pas si simple : « La loi permet certes ce genre de comportements, mais il faut être fort pour dire non. ». 

D’autres maires ruraux ont dit leur désarroi et leur sentiment d’impuissance face au système de gouvernance mis en place dans certains EPCI. Dans la communauté XXL de Couserans-Pyrénées, en Ariège, qui rassemble 95 communes, les maires des communes les plus rurales, dont un représentant était présent dans la salle, n’ont eu d’autre choix, selon ce dernier, que d’arrêter de siéger dans un conseil communautaire pléthorique, « où nous restons inaudibles ». « La meilleure façon de se faire entendre est de se taire ! », a-t-il protesté, regrettant la configuration d’avant la loi NOTRe : il existait alors huit EPCI, déjà regroupés, mais de façon moins formelle, au sein d’un pays. « Le pays est doté d’un conseil de développement ouvert à la société civile, avec des débats fort constructifs ; je regrette qu’il n’y ait pas ce genre de démocratie participative dans les communautés de communes. »

Pierre Jouvet a reconnu qu’on « arrive à un point de crispation », avec des élargissements conduits au pas de charge. Concernant la gouvernance, « il faut revoir impérativement les règles de représentativité. Il n’est plus possible d’avoir un délégué pour certaines communes, et 25 ou 35 pour les plus grandes ! » Pour sa part, Michaël Vallet, maire de Marennes-Hiers-Brouage, président de la communauté de communes du Bassin de Marennes (17), a estimé que « la question de la gouvernance est l’une des principales qui se pose, mais ce n’est pas le plus important. Le problème ne vient pas du ministre, mais de l’administration, de Bercy, c’est celui des moyens qu’on nous donne pour réaliser notre action. »

Des assouplissements sur les compétences et le périmètre

Le gouvernement, a affirmé Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités territoriales, a voulu multiplier les « assouplissements » dans le projet de loi « Engagement et proximité », avec notamment l’introduction d’un « pacte de compétences », imaginé par le Sénat mais qu’il a repris pour permettre certains transferts à la carte. Il s’agit aussi de baisser le « nombre minimum de compétences optionnelles que les communautés ont à prendre », afin d’éviter les « effets de bords » de la loi Notre qui ont poussé les intercommunalités à absorber un maximum de compétences. Le gouvernement veut enfin supprimer l’obligation de réviser les schémas départementaux de la carte intercommunale (SDCI) tous les six ans, ainsi que la possibilité pour le préfet de passer outre la volonté des élus en la matière. « Nous voulons tourner la page du pouvoir exorbitant du préfet. Il doit se comporter comme un notaire, aider à la séparation ou au mariage et pas autre chose », a-t-il affirmé.

 

Construire un projet de territoire

Toutefois, la question de la gouvernance reste essentielle et c’est d’ailleurs ce qu’on fait valoir plusieurs des maires et présidents d’intercommunalités présents à la tribune, qui ont présenté leurs modèles de fonctionnement. Pour Pierre Jouvet, au-delà de la nécessaire implication des maires, dont la conférence se réunit, dans sa communauté, « quatre ou cinq fois par an », et qui valide toute décision pouvant les engager, avant qu’elle ne soit présentée en conseil communautaire, le point essentiel est celui du projet du territoire. Tant que celui-ci est clair et a été construit par l’ensemble des maires et conseillers municipaux, le périmètre de l’EPCI n’est plus un frein à l’action. La preuve : sa communauté rassemble 35 communes, et c’est le résultat de la fusion de quatre petits regroupements, alors que « le préfet ne proposait que celle de trois d’entre nous, mais les élus ont eux-mêmes demandé de fusionner à quatre, car cette intercommunalité était la traduction du fait que nous voulions travailler ensemble. » Le nouvel ensemble a été construit « avec un objectif unique : pallier les manques de service public sur le territoire.

Eau-assainissement : le mécontentement demeure

Le transfert obligatoire de l’eau et de l’assainissement aux EPCI, auquel l’AMF est opposé, est logiquement revenu sur le tapis. « Le Sénat a voté la seule solution intelligente, me semble-t-il : celle de la liberté », a estimé André Laignel, alors que Sébastien Lecornu réitérait la position du gouvernement, consistant à maintenir le transfert obligatoire de ces compétences aux EPCI, tout en leur laissant la possibilité de la déléguer ensuite aux communes, ce qu’il a présenté comme un « outil nouveau », permettant de faire en sorte que « l’avenir soit à la différenciation intercommunautaire ». « Pourquoi la transférer en premier lieu alors ? C’est de la bureaucratie stupide », a réagi un maire de Haute-Loire dans la salle, critiquant notamment le transfert de la compétence « eau pluviale » à l’interco, relevant par excellence de la proximité.

Nous sommes les "plombiers" de ce qui ne fonctionne plus : l’emploi, la santé, les mobilités », a rapporté Pierre Jouvet. C’est ainsi que l’intercommunalité a construit un partenariat avec Pôle emploi, lequel a détaché à son service deux de ses agents pour faire du « cousu main » avec le service économique - lui-même en contact quotidien avec les entreprises du territoire. Résultat : une baisse de quatre points du taux de chômage en quelques années à peine. Pour remédier au manque de transports en commun dans le secteur péri-urbain, la communauté a organisé un système de covoiturage en lien avec les employeurs. 

C’est la même dynamique qui s’est créée au sein de la communauté d’agglomération Fécamp Caux Littoral (76), dont la présidente et maire de Fécamp, Marie-Agnès Poussier-Winsback, juge que le partage des compétences est « lié au bon sens ». « Quand il n’y a plus de médecins sur le territoire, comment faire ? Nous avons choisi de créer un centre intercommunal de santé, en salariant deux médecins au départ ; aujourd’hui, ce sont sept médecins qui viennent selon leurs envies et besoins », a relaté l’élue qui, face aux critiques des maires ruraux, a remarqué qu’il « faut qu’ils comprennent que sans la ville-centre, un territoire n’a plus d’activité. Il y a un échange nécessaire entre les deux.»

Souplesse et liberté de choix

Pour Nicolas Florian, le maire de Bordeaux (33), ce qui doit caractériser cet échange, c’est avant tout « un principe de cogestion avec tous les élus, qu’ils soient de la majorité ou pas. Nous contractualisons beaucoup et avant même le début du mandat, nous nous mettons d’accord sur les grandes orientations, les politiques structurelles ». Dans la métropole dont il est le maire le plus puissant, il estime logique que « la ville-centre ait un rôle de leadership », mais tous les autres ont leur voix au chapitre : les 28 maires sont présents au bureau et, s’ils estiment nécessaire « une cohérence dans l’aménagement de territoire, pour éviter les querelles de clochers », la métropole ne s’interdit pas une certaine souplesse institutionnelle : ainsi, les villes de Mérignac et Bordeaux sont regroupées dans un syndicat à objet unique, pour gérer leur service de restauration, « et cela se fait sur les piscines ou d’autres équipements pour d’autres communes », a-t-il détaillé.
« Il y a une différence importante entre les grandes villes-centres et les intercommunalités multipolaires », a réagi André Laignel en conclusion. « Cela doit conduire à plus de souplesse et de capacité de choix, pour adapter les compétences et les modes de gouvernance. » Sébastien Lecornu a répondu que si la loi - par exemple la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur sur les accords locaux -, peut amener des améliorations, « il y a aussi ce qui ne fera jamais l’objet de normes, de lois, mais relève des élus eux-mêmes. Et cela, il faut le dire aux concitoyens, y compris au moment des campagnes électorales ». Une perspective difficile à envisager pour Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi (81) et présidente de la communauté d’agglomération de l’Albigeois : « Il ne faut pas que l’intercommunalité devienne l’objet des campagnes municipales, en se transformant en débat « pour ou contre». Il est indispensable de nous faire confiance ! ».

Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON