Espace des Associations départementales


Espace Élus Espace AD
FORUM (Salle de la Démocratie locale) - Mercredi 20 novembre 2019 - 14h30 à 17h30

Partenariat avec l’Etat : passer de la théorie à la pratique

En dépit des assurances du ministre de l’Education nationale sur sa volonté de coproduire avec eux, les élus ont pointé des carences dans la concertation et les moyens dévolus. 

L

‘école reste « au coeur du noyau central » des communes, selon l‘expression d‘Agnès Le Brun, maire de Morlaix (29), rapporteure de la commission Éducation de l’AMF et co animatrice du forum avec Sylvine Thomassin, maire de Bondy (93) et présidente de la commission. Mais l‘école est bousculée, tenue de faire face aux baisses démographiques et aux inégalités sociales qui pèsent sur la réussite des élèves. Dans ce contexte, l‘école rurale a une place à défendre. C‘est certainement l‘un des messages que le ministre de l‘Éducation nationale a entendu et soutenu. Micro en main, debout sur la scène centrale du forum, Jean-Michel Blanquer a assuré être « en phase » avec les élus. « Vous n‘avez pas d‘objectifs différents des miens », leur a-t-il expliqué. A savoir : « une école primaire qui marche bien » et « une dynamique des écoles et des communes ». Pour lui, « l‘école rurale peut être à l‘avant-garde pédagogique et éducative ». Elle en a les moyens. Il a répété notamment qu‘elles « n‘ont pas moins de moyens que les écoles urbaines », bénéficient même d‘un taux d‘encadrement « plus favorable ». Il a rappelé aussi que « l‘école primaire rurale fait davantage réussir les élèves que l‘école primaire en général ». Les classes multiniveaux sont donc, « sur le plan pédagogique, une bonne chose ». Autant de spécificités qui ne sont donc pas remises en cause. 

Tout va-t-il très bien pour autant ? Non, car la déprise démographique est un vrai problème. « 50000 élèves manquent à l‘appel », a pointé le ministre. C‘est tout l‘enjeu des conventions ruralité, censées anticiper ces évolutions et adapter l‘organisation scolaire au besoin. Pour Jean-Michel Blanquer, ces conventions ruralité ont vocation à être de « plus en plus fines et stratégiques ». « Nous devons avoir une logique éducative partagée » et les conventions doivent servir cet objectif, a-t-il affirmé. Sur les enjeux de justice sociale, Jean-Michel Blanquer a rappelé les mesures engagées depuis deux ans : dédoublements des classes de CP et CE1, et à venir de grandes sections de maternelle pour les REP et REP +, nombre maximal de 24 élèves par classe d‘ici à la fin du quinquennat pour les autres écoles. 

Il manque un logiciel 3D à l‘Éducation nationale

La démonstration du ministre s‘est interrompue lorsqu‘il a évoqué la distribution des Fables de la Fontaine dans les CM2. La salle a réagi. Visiblement, beaucoup d‘élus n‘ont pas eu connaissance de l‘envoi et de la remise de ces exemplaires. Le ministre semble surpris. Ni Sylvie Thomassin ni Agnès Le Brun n‘en ont entendu parler : « les stocks sont sans doute arrivés, mais où et comment ont-ils été distribués ? ». Ce flottement apparaît emblématique des écarts constatés par les élus entre la théorie et la pratique dans la relation entre communes et Éducation nationale.

Le maire de Rébénacq (64) et président de l‘Association des maires des Pyrénées-Atlantiques, Alain Sanz, en a livré un autre exemple. Au sujet de la convention ruralité. « Grâce à votre intervention, nos demandes ont été acceptées car le préfet, lui, ne voulait pas signer ». Les élus de son département ont au départ « mal accueilli » l‘idée de cette convention, assimilée au moyen d‘entériner la réduction de postes et donc, à courte échéance, la fermeture de classes.

Sylvine THOMASSIN, maire de Bondy (93), présidente de la commission Education de l’AMF.

Agnès LE BRUN, maire de Morlaix (29), rapporteur de la commission Education de l’AMF.

Passés les débats houleux, les élus l‘ont signé en 2016, en posant leurs conditions (moratoire sur les classes uniques, etc.). Un avenant de deux ans a été ajouté en 2018. « Car le bilan est positif » et la concertation avec l‘Éducation nationale s‘est améliorée. Mais « le problème du logiciel de l‘Éducation nationale, c‘est qu‘il n‘utilise pas la 3D et ne voit pas qu‘il y a des vallées, des montagnes, etc », a souligné Alain Sanz en faisant sourire la salle et le ministre. 

Éric Viaud, maire de la Bussière (86), a apporté un autre exemple en milieu rural. Celui d‘un bourg de 330 habitants qui rêvait de rouvrir une école « pour revitaliser le territoire ». L‘école communale avait fermé en 1991. Une école privée hors contrat (Montessori) a ouvert à la rentrée via une association. « Tous les matins, quand j‘ouvre les fenêtres de la mairie pour entendre la musique des enfants, je vous assure, c‘est la plus belle des musiques », glisse le maire. « Ce n‘est pas la panacée, mais je n‘avais pas d‘autre solution », glisse-t-il, même si la commune ne peut pas la financer. Le village lui y retrouve de la vie. L‘école comptait 8 enfants à la rentrée, elle en aura 12 à Noël. «Mon premier réflexe est de vous dire qu‘il vaut toujours mieux que l‘école soit publique, mais pourquoi ne pas faire évoluer cette école vers une école publique plutôt qu‘une école sous contrat ? », a réagi le ministre.

L‘adjointe au maire de Brest (29), Émilie Kuchel, est intervenue sur la problématique du financement du passage à 3 ans de l‘instruction obligatoire. Avec 33 écoles privées sous contrat, elle a fait le calcul : « cela va nous coûter 1,6 million d‘euros que nous ne savons pas comment financer ». L‘élue rappelle que « le coût d‘un enfant en école publique est, à Brest, de 1600 euros par an, car on place un ATSEM par classe puisque 40 % des enfants vivent sous le seuil de pauvreté dans les écoles publiques ». La ville aidait déjà à titre volontaire les classes maternelles privées, mais à hauteur de 700 euros. Elle va devoir assumer la différence, sans savoir à ce jour si elle pourra bénéficier de l’aide de l’État. Le ministre a rappelé ce que la loi a prévu mais sans précisions pour ce cas de figure. 

Plus de justice sociale 

Les injonctions, les élus ont l‘habitude d‘en recevoir. Ils n‘ont pas été épargnés à la rentrée avec la cantine à un euro en milieu rural, ou les petits déjeuners gratuits en zone d’éducation prioritaire. Là encore, ils ont demandé à l’État « d‘atterrir » un peu mieux sur les territoires, pour reprendre l‘expression de Sylvine Thomassin. « On peut tous applaudir des deux mains au dédoublement des classes, mais je suis attachée à un principe : qui décide paye ». Or, sur 25 écoles concernées à Bondy (93), la maire « doit créer 70 classes ». Si le département de Seine-Saint-Denis vient de bénéficier d‘un plan d’aide spécifique de l’Etat, la maire a déjà calculé que « le compte n‘y était pas » financièrement. Elle a fustigé le caractère trop vertical de l’Etat qui manque selon elle d’intelligence territoriale. 

« Les collectivités n‘ont pas attendu les préconisations de l’État pour mettre en œuvre des tarifs sociaux. En revanche, les collectivités attendent des progrès dans le dialogue entre services de l’État et leurs collectivités pour éviter de devoir appliquer des dispositifs qui n‘ont pas été pensés jusqu‘au bout… », a souligné Rozenn Merrien, présidente de l’Association nationale des directeurs et des cadres de l‘Éducation des villes et des collectivités territoriales (ANDEV).

Les élus ont tiré la sonnette d’alarme au sujet de l‘accompagnement des enfants en situation de handicap (AESH), par l’intermédiaire de Virginie Lanlo, adjointe au maire de Meudon (92), qui représente l’AMF au comité national de suivi de l‘école inclusive. « Comme l‘a dit le ministre, les AESH bénéficient d‘un CDD de 3 ans renouvelable pouvant conduire à un CDI. Mais ils ne sont pas à plein temps ni pleinement intégrés dans les équipes éducatives ». La question de leur prise en charge reste entière s’agissant de leur intervention sur les temps de midi. Ces temps sont classés temps périscolaires. « Pour l‘AMF, c‘est à l‘Éducation nationale de payer, car le temps de midi est nécessaire à la scolarisation d‘une partie de ces enfants », estime Virginie Lanlo. Les élus comptent sur une décision – à venir - du Conseil d’État.

Attention enfants fragiles

Jacques Toubon, défenseur des Droits, et Jean-Marie Dru, président d’UNICEF France, sont chacun intervenus sur la prise en charge des enfants fragiles à l‘école. Le même jour (20 novembre), on fêtait le 30e anniversaire de la convention des droits de l‘enfant. Le défenseur des droits a justement mis en garde les élus sur toutes les situations qui peuvent conduire à des discriminations entre les élèves, comme les refus de scolarisation. Un point sur lequel les réclamations ont baissé cette année, signe que la loi du 26 juillet 2019 sur l’école de la confiance a apporté une réponse judicieuse, en transférant au directeur académique le pouvoir d‘inscription en cas de difficulté. Le problème de l‘accès des enfants aux cantines reste lui lancinant : le Défenseur avait publié en juin un rapport dont le titre est sans ambiguïté : Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants... Il a également publié un rapport sur l‘accès des enfants handicapés aux accueils de loisirs, là encore un sujet sur lequel les élus demandent un meilleur accompagnement de l’Etat plutôt que des injonctions verticales. 

Concernant les quartiers populaires, le maire de Lormont (33), Jean Touzeau, est venu partager avec ses collègues l‘expérience naissante des cités éducatives. Là encore, il est question de réunir et de mieux coordonner des moyens – humains et financiers – pour redonner plus de chances à des élèves vivant dans des quartiers qui concentrent les difficultés sociales. En une formule, le maire en a résumé l‘enjeu : « Ceci n‘a pas de prix, mais cela a un coût ».

Emmanuelle STROESSER



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
En partenariat presse avec :