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DÉBAT (Grand auditorium) - Mercredi 20 novembre 2019 - 14h30 à 17h30

Les élus demandent plus de liberté pour établir leurs priorités

Conscients de l’urgence écologique, les élus attendent de l’Etat qu’il les accompagne en fournissant les bons outils tout en leur laissant la liberté de choisir leurs priorités en fonction du contexte local. 

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as moins de deux membres du gouvernement ont fait le déplacement pour participer au Forum « Transition écologique : comment les communes et intercommunalités peuvent-elles répondre aux attentes des habitants ? », mercredi 20 novembre. La présence d’Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, et d’Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès de la précédente, montrait toute l’importance accordée désormais à la question de la transition écologique qui, pour la première fois, avait aussi l’honneur du grand auditorium. 
Le constat de l’urgence de la crise écologique ne fait plus débat. Mais, comment sortir du « trouble des priorités »? Telle fut la première question posée aux congressistes.

Pour établir ses priorités, Mohamed Gnabaly, maire de l’Ile-Saint-Denis  (8000 hab. Seine-Saint-Denis), vice-président de l’AMF et coprésident du forum, a expliqué partir des besoins de ses habitants. Les enjeux sociaux y sont prioritaires : taux de chômage de 35%, un tiers de familles monoparentales, 85% de la population en politique de la ville… « Comment porter un projet de transition écologique dans une ville sinistrée économiquement et socialement ? » En menant un projet de « transition écologique et populaire », en « sortant ce sujet des bureaux et en le faisant transpirer sur l’espace public, où nous sommes tous responsables, citoyens, associations, collectivités, institutions, Etat », a-t-il expliqué. 

Pour André Flajolet, autre coprésident du forum, vice-président de l’AMF et maire de Saint-Venant (3000 hab., Pas-de-Calais), la problématique est autre. Préservation des sols, de la ressource en eau, des paysages : il s’agit notamment de reconstituer les haies détruites il y a plus de 25 ans. Tout en demandant « un Etat garant, donnant orientations et obligations », il a insisté sur la nécessaire liberté à accorder aux collectivités, souvent entravées dans leurs actions par des règlements ou décisions de l’administration. « Il faut en finir avec la tutelle a priori pour une sanction a posteriori », a ajouté David Lisnard, maire de Cannes (75 000 hab., Alpes-Maritimes). 

Elisabeth Borne en est convenue : « La transition écologique ne doit laisser personne sur le bord de la route. Elle est affaire de tout le gouvernement, des entreprises, des ONG, de tous les citoyens ». L’Etat accompagne donc ceux qui veulent agir dans les territoires. Elle a cité Roubaix (96 000 hab., Nord), Territoire zéro déchet zéro gaspillage, Saint-Etienne (171 000 hab., Loire) et sa volonté d’autosuffisance énergétique en 2050, Piolenc (5000 hab., Vaucluse) et sa centrale photovoltaïque flottante. « Rien ne se fera sans vous », a-t-elle assuré les élus. 

Impliquer tous les acteurs

Certes, le rôle des communes est central. Mais la question climatique est internationale. C’est ce que vit David Lisnard. Sa ville est la quatrième de France pour l’accueil des bateaux de croisière... avec la pollution de l’air, de l’eau et des fonds marins qui va avec. La raison : l’accord sur les zones contrôlées d’émission de souffre (SECA) ne s’applique pas en Méditerranée à cause du refus de quelques pays riverains.

André FLAJOLET, maire de Saint-Venant (62), vice-président de l’AMF.

Mohamed GNABALY, maire de L’Ile-SaintDenis (93), vice-président de l’AMF.

C’est pourquoi, après concertation avec la chambre de commerce, à partir du 1er janvier 2020, les croisiéristes ne respectant pas un certains nombres de critères ne pourront plus débarquer les touristes à Cannes. Une interdiction fragile légalement. Mais quasiment tous ont signé la convention, face à la menace d’une campagne de communication nuisible pour leur image. Une façon pour David Lisnard, qui n’est pas contre les croisières, de « régler le conflit entre deux légitimités », l’économie et l’écologie. 

Le monde des entreprises voit l’intérêt des démarches environnementales, a affirmé Stéphanie Pauzat, secrétaire confédérale à la Confédération des PME (CPME), cheffe d’entreprise en Normandie. Mais elles sont freinées par la lourdeur des démarches et les surcoûts au départ. 
Cependant, elles y ont intérêt : « Cela leur permet de fidéliser leurs salariés, d’attirer de nouveaux talents, d’améliorer l’image de l’entreprise et de baisser les coûts à terme ». C’est pourquoi David Lisnard demande que la qualité environnementale devienne un critère de compétitivité, un avantage concurrentiel. 
Si personne ne s’oppose au constat de l’urgence climatique, certaines priorités passent encore difficilement. Des maires se demandent pourquoi défigurer des paysages avec des éoliennes, d’autres rapportent les difficultés à faire accepter par les parents le repas végétarien hebdomadaire dans les cantines, ou à expliquer les modes de financement de la rénovation énergétiques. « La transition écologique nous mène dans un monde où on vit mieux. Mais l’enjeu est que tout le monde soit convaincu, que tout le monde prenne sa part de la transition », a constaté Elisabeth Borne. 

Stratégie et financement

Comment construire une stratégie locale ?, se sont demandés les congressistes dans un deuxième temps. Avec quels outils ? Et si l’on commençait par ne pas défaire les outils existants, a interpellé André Flajolet. Alors que se pose la question de la disponibilité en eau, « on prélève sur les ressources des agences de l’eau, on déconstruit les schémas d’aménagement, a-t-il dénoncé. Il faut que ces outils structurants soient assortis d’une immense liberté locale car les territoires sont différents ». Tous les intervenants en sont convaincus : les territoires sont différents, les besoins et les attentes aussi, il faut donc laisser une certaine marge de manœuvre aux élus. Une commune comme Goyave (7500 hab., Guadeloupe), est affectée par tous les risques, depuis le changement climatique jusqu’au risque sismique en passant par le recul du trait de côte, les problèmes d’eau potable, la pollution à la chlordécone, a énuméré son maire, Ferdy Louisy. « Comment parler de stratégie à long terme quand il faut tout le temps réagir à l’instant ? », a-t-il demandé.
Interpellée sur les difficultés de mise en œuvre des projets, Elisabeth Borne a acquiescé : « On gagnerait à simplifier le catalogue des plans nationaux et des documents locaux. Je crois à l’accompagnement des projets en ingénierie par l’Etat ».

L’indice de positivité, pour dégager les pistes d’amélioration

C’est en tant que président de la Fondation Positive Planet que Jacques Attali est venu présenter devant les congressistes l’« indice de positivité » (1). Cet indice vise à évaluer les progrès accomplis par les différents acteurs économiques et ceux qui restent à faire pour mieux prendre en compte l’intérêt des générations futures. Il en existe trois versions : pour les nations, les territoires et les entreprises. En ce qui concerne les territoires, l’indice analyse les capacités d’une ville, d’un département ou d’une région à placer l’altruisme au cœur de ses priorités : altruisme entre générations, entre territoires et entre acteurs.
Ces trois dimensions sont prises en compte dans une note annuelle comprise entre 0 et 100.
L’indice, basé sur 25 indicateurs, prend en compte les progrès accomplis et la capacité de la collectivité à se projeter dans l’avenir. Il permet de révéler les bonnes pratiques et d’identifier les pistes d’amélioration, de bénéficier d’une aide à la réflexion stratégique.  

Mais elle a rappelé aussi les difficultés de l’action publique : « Améliorer les réseaux ferrés du quotidien, les traversées de village ne se fait pas en un claquement de doigt ».  

Les projets demandent aussi des financements. C’est précisément l’objet de la banque des Territoires, a rappelé Olivier Sichel, son directeur général. Les financements à très long terme, 30 à 45 ans, qu’elle accorde sont la marque de l’intérêt général. Elle peut ainsi consentir un prêt de 1 million pour la mise en conformité d’un réseau d’assainissement d’une commune de 50 habitants. La meilleure énergie étant « celle que l’on n’utilise pas », la banque des Territoires participe à la rénovation des maisons de mineurs de Maisons et Cités, à hauteur de 150 millions d’euros. Elle intervient aussi à hauteur de 600 millions d’euros sur des projets d’énergie solaire et d’éolien offshore flottant. Attention, « il faut de l’autofinancement avant d’aller dans les banques », a alerté Mohamed Gnabaly. Pour lui, le premier des indicateurs est celui du budget, qui doit placer en son cœur et comme priorité politique la transition écologique. Et pour disposer de ce budget, les communes ont tout intérêt à faire des économies. L’Ile-Saint-Denis a réussi à réaliser 50 % d’économie sur les factures d’eau et de gaz de son patrimoine. « Cela favorise la légitimité face aux habitants », a souligné l’élu. 

Solutions fondées sur la nature

Alors que l’on recherche les sources d’économie, les solutions fondées sur la nature apparaissent comme une approche intéressante, ainsi que l’a montré le troisième volet du forum. Ces solutions ne sont pas une abstraction. Le projet IDEFESE, mené par plusieurs centres de recherche universitaires, quantifie et cartographie les services rendus par la nature pour mieux les intégrer dans les politiques d’aménagement. « On constate en Ile-de-France, depuis 1982, des pertes dans pratiquement tous les services, alors que la population augmente », a souligné Léa Tardieu, chercheuse à AgroParisTech. « Les services apportés par les écosystèmes décroissent aujourd‘hui, au moment où on en aurait le plus besoin », a regretté la chercheuse qui explique que tous les types de nature n’apportant pas les mêmes services selon les lieux et les besoins, « cette recherche propose un outil d’arbitrage »

Sur le terrain, les élus bénéficieront, à partir du 1er janvier 2020, des services de l’Office français de la biodiversité (OFB), issu du regroupement de l‘Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l‘Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). 2800 agents dont 50% d’inspecteurs de l’environnement déployés sur l’ensemble du territoire, 500 millions d’euros de budget, 300 implantations… « Grâce à la fusion nous aurons une présence et une capacité opérationnelle plus fortes », a estimé Pierre Dubreuil, directeur général de la préfiguration de l’OFB. Voilà qui devrait répondre aux demandes des élus, selon lui, qui veulent plus de présence de l’Etat, plus de police de l’environnement, de connaissance… « Si demain l’OFB nous conseille, alors bravo ! », s’est exclamé André Flajolet. 

Artificialisation des terres

Alors que les vertus des arbres ne sont plus à démontrer et que même le Congrès des maires a compensé son bilan carbone en plantant 7000 arbres avec Reforest’Action, Dominique Jarlier, maire de Rochefort-Montagne (63), président de la Fédération nationale des communes forestières (Fncofor), a déploré que l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire des forêts publiques, ne vive que des ventes de bois, « alors que 20% des agents travaillent exclusivement sur la biodiversité ». « Il faut redéfinir le périmètre du régime forestier, a-t-il poursuivi, et ne pas s’en tenir à la forêt productive ». La question posée est comment valoriser les aménités fournies par la forêt au-delà des ventes de bois : réserve de biodiversité, de ressource en eau, protection des sols, matériau de construction, énergie renouvelable… 
 

Deux guides pour les élus

En cette période d’urgence climatique et de campagne pour les municipales, deux guides destinés à aider les élus viennent de sortir. Le premier, le guide pratique « Pour une meilleure appropriation de l’Agenda 2030 par les collectivités territoriales » (1), édité par le Comité 21, a pour objectif de montrer aux candidats que le respect des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies est un moyen de donner du sens à l’action politique. « Les ODD permettent d’expliquer qu’un équipement local participe à la transformation du monde », souligne Bettina Laville, présidente du Comité 21. Le guide fait le lien entre l’Agenda 2030 de l’ONU et l’Agenda 21 national. Deuxième guide, celui proposé par le WWF (2) : « Des territoires vivants : 9 clés face à l’urgence écologique ». « Le guide formule une série de propositions concrètes avec des indicateurs », explique Véronique Andrieux, directrice générale du WWF. Partant du principe que pour réduire leur empreinte écologique, les villes doivent accomplir de nombreuses transitions sectorielles (aménagement, agriculture, énergie etc.) qui reposent sur trois piliers : faire moins, mieux, autrement. Des ambitions déclinées autour de 9 clés. 

(1)    www.comite21.org
(2)    www.wwf.fr 

L’artificialisation des terres a été largement dénoncée. Mais comment faire ? Il s’agit souvent d’« une facilité », a convenu André Flajolet. Un élu a déploré que le fait de « reverser 11 hectares urbanisables en zone agricole pour de l’agriculture bio » ne soit pas compensé, par exemple en dotation. « On n’a pas trouvé l’équilibre collectif pour résoudre la contradiction de l’artificialisation des sols, a reconnu Emmanuelle Wargon. L’équivalent d’un département est artificialisé tous les 10-15 ans. Chaque maire veut se développer, avoir plus d’habitants. Nous n’avons pas de réponse complète mais la question devient urgente ». Un groupe de travail a été installé sur la question d’un mécanisme de compensation, a-t-elle annoncé, espérant pouvoir ainsi aider à la récupération de friches industrielles, commerciales, agricoles mêmes, et financer leur éventuelle dépollution. 

Sur ce sujet aussi, Mohamed Gnabaly a souhaité une approche renouvelée : « Pendant longtemps, en Seine-Saint-Denis, on a fait du logement pour ramener la vie. Aujourd’hui, les friches ne peuvent plus systématiquement être transformée en logement. La nature est aussi une richesse non financière pour vivre la ville de demain. Les maires doivent apprendre à penser global et agir local »

Martine KIS



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
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