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DEBAT (Grand auditorium) - Mercredi 20 novembre 2019 - 10h à 12h30

Les maires ruraux prennent en main le développement de leur territoire

Les espaces ruraux sont de plus en plus attractifs, mais manquent de moyens et d’ingénierie pour accueillir – et retenir – de nouvelles populations. Les maires attendent beaucoup de l’agenda rural et des solutions fondées sur la coopération avec les autres collectivités.

C

’est par une note d’optimisme que le débat sur le développement de la ruralité a été lancé : en effet, malgré les difficultés, le manque de moyens et le retrait des services publics, les territoires ruraux ont le vent en poupe. Biodiversité, terres agricoles et qualité de vie sont des atouts qui vont devenir très recherchés : « Aux territoires ringardisés, tenez-bon ! Vous avez un retard d’avance », a prophétisé Jean-Yves Pineau, directeur d’une société coopérative de développement local, les Localos, et grand témoin du débat. Rachel Paillard, maire de Bouzy (51) et rapporteure de la commission « Communes et territoires ruraux » de l’AMF, a réagi en précisant que « les maires sont les traits d’union entre la commune et l’habitant, ils sont sans cesse dans l’action pour faires des territoires ruraux des lieux de vie modernes, ils ont besoin de liberté pour continuer à agir ». « Le retour du local est là, a renchéri Cécile Gallien, maire de Vorey (43) et vice-présidente de l’AMF. 81 % des Français estiment que vivre à la campagne serait la vie idéale et d’ailleurs, il y a aujourd’hui plus de personnes qui s’installent en milieu rural que dans les villes. ». « L’exode rural est terminé », a acquiescé la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, affirmant que « les campagnes gagnent 100 000 habitants chaque année ». 

Gestion du foncier et logement

Ce qui pose plusieurs questions : comment accueillir ces nouveaux habitants, et avec quels services ? Pour Michaël Weber, maire de Woelfling-lès-Sarreguemines (57) et président de la Fédération des parcs naturels régionaux (PNR), « les territoires ruraux ont un potentiel énorme. Dans le PNR des Vosges du Nord, nous ne sommes pas très loin de Strasbourg, il y a 8 000 logements vacants : c’est 20 % de population que nous pourrions gagner sans artificialisation des sols », c’est-à-dire sans rogner sur les terres agricoles. Un objectif évidemment partagé avec celui des agriculteurs, « très actifs dans la vie de la ruralité, dans les conseils municipaux ou les associations, a souligné Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Nous sommes très attachés à la préservation du foncier agricole, dont il y a eu une consommation gourmande ces dernières années », a-t-elle poursuivi, accueillant positivement l’objectif gouvernemental de zéro artificialisation nette des sols. Et si, comme l’a rappelé Cécile Gallien, un texte parlementaire sur le foncier et les sols est actuellement en cours de discussion, « la loi ne peut pas tout », estime Christiane Lambert. C’est pourquoi la réhabilitation des logements déjà existants est cruciale ; mais « le problème est que nous n’avons pas les outils financiers pour le faire », a rebondi Michaël Weber. Pierre Jarlier, maire de Saint-Flour (15), a partagé ce constat : si les prix de l’immobilier sont attractifs, il est difficile pour les élus de trouver des « opérateurs pour réaliser des opérations en location, en accession sociale à la propriété », a-t-il souligné, ajoutant que « des dispositifs fiscaux attractifs sont en discussion dans le projet de loi de finances pour que les opérateurs veuillent bien revenir en milieu rural ».

Michelle Yvernault-Trotignon, adjointe au maire de Buzançais (36), a confirmé que bien souvent « les notaires et les agences immobilières ne sont pas intéressés par les logements qui sont abandonnés, qui ont dépassé les critères de l’habitabilité normale. Parfois, certains propriétaires sont des héritiers de la troisième ou quatrième génération, ils ne savent même pas qu’ils ont un logement chez nous ! » Une découverte réalisée après avoir répondu à l’appel à manifestation d’intérêts « Revitalisation des centres-bourgs », lancé en 2014, l’un des premiers appels à projets menés par le gouvernement pour pallier la suppression des aides à l’ingénierie.

Jean-Louis PUISSEGUR, maire de Pointis-Inard (31), président de la commission des Communes et territoires ruraux.

Rachel PAILLARD, maire de Bouzy (51), rapporteure de la commission des Communes et territoires ruraux.

 

« Il a eu le mérite de nous permettre d’aller bien plus loin dans la réflexion et le diagnostic que nous ne l’aurions fait tout seul » - et donc de constituer un projet de territoire, autour de la destruction de maisons irrécupérables, de réhabilitation des logements situés au-dessus des commerces pour y installer des jeunes travailleurs. « Mais nous nous sommes sentis un peu seuls au milieu du gué, après ce diagnostic important et avons donc commencé à travailler avec nos moyens propres ». Michelle Yvernault-Trotignon espère que les nouveaux programmes gouvernementaux – « Coeur de ville », déjà mis en place, et « Petites villes de demain », à venir – corrigeront le tir. 

Outils et financements

Pour Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts, ces leçons ont déjà été tirées : « L’opération Coeur de ville nous a beaucoup appris, cela va nous permettre de mettre une panoplie d’outils à disposition des élus », a-t-il affirmé. À commencer par l’ingénierie : le programme « Petites villes de demain », qui ciblera les villes et bourgs, de moins de 2000 habitants en principe, et subissant des charges de centralité, , sera doté par la Banque des territoires de 200 millions d’euros qui permettront notamment de financer jusqu’à 100 % de l’ingénierie nécessaire. Mais cela ne suffit pas : c’est pourquoi « le recrutement et le salaire des animateurs de projet pourront être financés jusqu’à 25 % ». Enfin, pour les opérations immobilières et de développement, la Banque des territoires « peut investir dans toutes sortes de sociétés d’économie mixte (SEM), qu’elles soient rurales ou foncières », a conclu Eric Lombard, répondant ainsi aux interrogations de Pierre Jarlier et Mickaël Weber.

Face au retrait de l’État, les communes et intercommunalités rurales ont également la possibilité de s’appuyer sur d’autres collectivités. Pour Rachel Paillard, « il faut expérimenter de nouvelles méthodes de coopération entre les élus ». Les régions développent des outils innovants.  Le « cluster ruralité » porté par la région Nouvelle-Aquitaine et ses douze départements, a pour but d’appuyer les communes en ingénierie, sous l’impulsion d’un « service DATAR » créé au sein du conseil régional – clin d’oeil à la structure étatique autrefois chargée de l’aménagement du territoire et regrettée par de nombreux élus. Doté d’un comité de pilotage réunissant le préfet de région, La Poste, les bailleurs sociaux et bientôt des départements et EPCI, le cluster rassemble 3600 communes de moins de 3 500 habitants, « que nous aidons dans le portage de leur projets », a expliqué Geneviève Barat, vice-présidente du Conseil régional en charge de la ruralité. Il favorise la signature de « contrats de territoires différenciés » entre la région, les partenaires publics et les communes, avec des dossiers simplifiés. Il se réunit aussi sous la forme de plénières avec les élus locaux qui permettent de faire émerger certaines politiques plus larges à mener à l’échelle régionale, comme la question de l’alimentation ou de l’accès aux services juridiques en milieu rural.

Coopération territoriale

Les départements, malgré la perte de compétences comme le développement économique, se veulent aussi « porte-paroles des territoires ruraux », a ajouté Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, prenant l’exemple de « conférences territoriales » et de « territorialisation » de certains services départementaux.

L’agenda rural, un « outil vivant »

Jacqueline Gourault est venue faire le point, devant les maires et présidents d’intercommunalité, sur les mesures en cours regroupées dans l’agenda rural. « C’est la première fois depuis quarante ans qu’il y a une vraie politique en direction de la ruralité, comme il y a une politique de la ville », a affirmé la ministre.

Pierre Jarlier, l’un des co-auteurs, avec Cécile Gallien et trois autres élus, du rapport à l’origine de ces mesures, s’est félicité « d’une nouvelle impulsion de l’État en faveur de la ruralité ». Ainsi, le comité de suivi de l’agenda rural se réunira tous les deux mois pour faire le bilan de ce qui ressemble à un inventaire à la Prévert. « Il s’agit aussi d’un travail interministériel. Lors de la première réunion, chacun des six ministres concernés est venu avec des propositions concrètes », a-t-il relaté. La réunion a permis également de porter le nombre de mesures de 173… à 181, « car il y avait des préoccupations que nous n’avions pas traitées, sur la sécurité par exemple. L’agenda rural est un outil vivant, appelé à évoluer », a souligné le vice-président de l’AMF.

 

Sur un sujet-clé comme le numérique, qui permet de retenir habitants et entreprises dans les espaces ruraux, les collectivités d’échelon supérieur peuvent intervenir comme maîtres d’ouvrage, « comme la région Grand-Est pour le très haut débit, ou notre département pour la construction de pylônes de téléphonie, avant même l’accord entre État et opérateurs », a-t-il précisé. 

Au niveau intercommunal et des bassins de vie, la « synergie avec les territoires urbains voisins » est essentielle, a ajouté Mickaël Weber, dont le « voisin », Robert Hermann, président de l’Eurométropole de Strasbourg, était également à la tribune. Ce dernier parle même d’un « pacte d’alliance des territoires » et d’un « rapport gagnant-gagnant » car les villes cherchent aussi à se décongestionner, à nourrir leurs habitants avec des produits sains et locaux. L’alimentation a été au centre d’un contrat de territoire avec la Vallée de la Bruche, tandis qu’un autre, signé avec la ville de St-Dié-des-Vosges, se concentre sur la mobilité.

Ce défi d’un développement commun des villes et des ruralités ne concerne pas que les métropoles : dans l’agglomération de Bourg-en-Bresse (01), où « 80 % des actifs travaillent sur les deux communes urbaines alors que 69 des 74 communes comptent moins de 1 000 habitants », dans le contexte du désengagement de l’Etat c’est l’intercommunalité qui assure une répartition des richesses, a expliqué Jean-François Debat, maire de la ville-centre, et président de l’agglomération. En plus d’un soutien gratuit à l’ingénierie (permis de construire, urbanisme), l’EPCI assure le prélèvement d’une taxe sur les zones d’activités économiques, redistribuée via un fonds de solidarité aux plus petites communes situées hors des axes de développement. La communauté d’agglomération du bassin de Brive (19), elle, porte l’un des autres outils d’aménagement mis en place récemment par l’État : l’opération de revitalisation du territoire (ORT).  Ce contrat est piloté par l’intercommunalité « avec la création de quatre pôles de centralité autour de bourgs structurants », a expliqué son vice-président Christian Pradayrol.

Mais la réflexion autour de la centralité a ses limites, notamment dans les grandes agglomérations où les maires ruraux « ont beaucoup de soucis pour se faire entendre, et les conseils municipaux encore plus », a indiqué Jean-Louis Puissegur, maire de Pointis-Inard (31) et président de la commission des Communes et territoires ruraux de l’AMF, insistant sur la nécessité de « bâtir un projet de territoire avec les maires et conseillers municipaux ruraux ». Ces derniers savent aussi donner une impulsion au développement de leur territoire à partir de ses ressources propres. 

Dynamique locale

Christine de Neuville, maire de Vicq-sur-Breuilh (87), en a donné l’illustration avec la création d’un musée installé dans un ancien presbytère du XVIIIe siècle, qui accueille aujourd’hui « dix mille entrées payantes par an ». La maire a récupéré à Vicq un fonds d’atelier d’art naïf d’une artiste locale , qui devait intégrer le Musée International d‘Art Naïf de Nice. Elle a « fait le tour de table des fonds publics, mais aussi des entreprises, et notamment locales » pour installer un musée dédié dans le presbytère qui n’aurait pu être restauré autrement, faute d’être classé.

460 maisons France Service déjà labellisées

Jacqueline Gourault a annoncé lors du Congrès que 460 structures ont reçu le label « France Service » et que la labellisation continuera « au fil de l’eau » pour les MSAP déjà existantes, « au fur et à mesure qu’elles répondront aux critères de la charte France Service », et à l’issue d’un audit. Certaines pourront être portées par les sous-préfectures ou les conseils départementaux, comme dans le Calvados où les MSAP sont adossées à des « points Infos 14 ». Les préfets seront également les délégués de la toute nouvelle Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), qui sera « opérationnelle en janvier 2020 ». Le directeur de l’Agence, Yves Lebreton, était jusqu’à présent préfet des Côtes-d’Armor. Là encore, les départements ne seront pas oubliés : « Dans ceux où il y a une agence départementale qui assure de l’assistance à l’ingénierie, on n’ira pas lui faire concurrence ; on n’interviendra de toute façon que sur demande des maires », a précisé la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

« C’est une réussite mais il a fallu préparer le terrain avant, avec la restauration du centre-bourg, la réinstallation d’une boulangerie-restaurant. Nous avons ouvert un bar-épicerie-presse par la suite », a expliqué Christine de Neuville. Il a fallu aussi l’implication de deux communes voisines.
Une véritable alliance des territoires implique aussi une simplification au quotidien pour les habitants en milieu rural. « Nos concitoyens ne s’y retrouvent plus entre les compétences de la mairie, des syndicats, de l’intercommunalité, du département, d’autant plus qu’elles changent régulièrement », a souligné Thibault Guignard, maire de Ploeuc-l’Hermitage (22), qui a présenté un système « léger et qui ne coûte rien »  (avec un logiciel  du conseil départemental partagé) pour remédier à cet enchevêtrement . , les points ICI (Inter-Collectivités Info) permettent d’avoir dans  les accueils des mairies, des intercommunalités et du département « une information de premier niveau sur l’ensemble des politiques portées par les collectivités ». Les agents d’accueil relèvent tous désormais de l’EPCI. Ils ont été formés spécialement, et un travail parallèle a été fait avec les agents départementaux. « Cela a permis de redonner du sens à leur métier, car pour eux il n’y a rien de plus frustrant que de ne pas avoir une réponse à fournir à l’usager ».
Une initiative très inspirante pour Jean-Louis Puissegur, qui a conclu le débat par une adresse de Jacqueline Gourault : « Nous remercions l’État pour la création des maisons France service dans la ruralité. Mais peut-être que le meilleur service de proximité, les gens vont le trouver à l’accueil des mairies ... » De quoi donner de l’espoir aux communes rurales.

Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
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