Le 19 avril, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) publiait un communiqué alarmant pointant « des risques pour la continuité des services d’eau ». Régis Taisne, chef du département eau de la Fédération, explique à Maire info les raisons de cette inquiétude.
Après les multiples alarmes exprimées tant par la FNCCR que l’AMF sur les conséquences de la hausse des prix de l’énergie sur les collectivités, en matière de chauffage ou d’éclairage notamment, ce sont maintenant les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement qui tirent le signal d’alarme.
C’est d’abord la hausse des prix de l’énergie qui pèse, doublement, sur ce secteur : premièrement parce que les stations elles-mêmes demandent beaucoup d’énergie : Noréade, régie d’eau et d’assainissement qui dessert un million d’habitants dans les Hauts-de-France, va par exemple devoir supporter cette année une facture d’électricité « multipliée par deux ». Mais deuxièmement, parce que la fabrication de certains réactifs consomme elle aussi beaucoup d’énergie. « Cette hausse du prix de l’énergie est répercutée par les fabricants sur le prix des produits qu’achètent les collectivités », explique Régis Taisne.
Mais pour ne rien arranger, des tensions importantes existent sur l’approvisionnement, pour « les matières importées de loin ». Depuis l’été dernier en effet, la reprise économique post-covid-19 sature le fret maritime – sans compter la guerre en Ukraine qui complique encore la situation, certains produits étant importés de ce pays.
Les produits réactifs utilisés pour la potabilisation et l’assainissement (chaux, chlorures ferriques, charbons actifs, certains polymères) sont ainsi en grande tension. C’est le cas notamment des charbons actifs, qui viennent essentiellement de Chine et d’Australie. Mais également des produits industriels nécessaires à l’entretien ou à l’investissement (tuyaux, pompes, etc.).
Indépendamment des problèmes d’approvisionnement, la hausse des coûts de fabrication de certains produits renchérissant leur prix, le marché lui-même est menacé. Exemple parlant, celui de la chaux : « La chaux est fabriquée à base de calcaire, rappelle Régis Taisne, et il faut énormément d’énergie pour réaliser cette opération. Son prix augmente donc à cause de la hausse du prix de l’énergie. Or les deux principaux débouchés de la chaux sont, d’une part, le secteur de l’eau et de l’assainissement, et d’autre part, l’agriculture. La hausse des prix est telle que de très nombreux agriculteurs ont décidé de ne pas chauler cette année. S’ils perdent ce débouché, un certain nombre de fabricants risquent de mettre leurs usines à l’arrêt. Comment les régies vont-elles alors pouvoir s’approvisionner ? »
Tout le problème est que le secteur de la potabilisation et de l’assainissement sont absolument indispensables et ne peuvent en aucun cas être mis à l’arrêt. « Face à la hausse des prix de l’énergie, certaines communes ou intercommunalités ont fait le choix de fermer des équipements, des piscines par exemple, rappelle Régis Taisne. Mais arrêter les usines d’eau, ce n’est tout simplement pas possible : on va donc continuer à épurer et faire de l’eau potable. Mais la hausse des prix va peser sur les budgets, ce qui ne pourra avoir que deux conséquences : ou une hausse des prix pour les habitants, ou une diminution des investissements. »
Cette « concomitance de plusieurs difficultés », à laquelle s’ajoute « la tentation de certains acteurs de spéculer », met les collectivités devant un tableau plutôt « sombre », constate l’expert de la FNCRR. Il n’y a en effet pas de solution « simple » dans ce secteur : « On peut réduire l’éclairage public dans une commune pour faire des économies d’énergie, poursuit Régis Taine. Mais si j’enlève 20 % d’électricité sur une unité de potabilisation, je ne sors plus d’eau potable. »
La FNCCR attend donc que le gouvernement prenne des mesures d’urgence. D’abord en mettant en place un véritable « bouclier tarifaire » pour toutes les collectivités – ce que la FNCRR comme l’AMF demandent depuis deux mois, face à un gouvernement qui a choisi de faire la sourde oreille.
Au-delà, la Fédération souhaite que l’État mette en place « une cellule de veille » sur les questions d’approvisionnement. Par ailleurs, elle demande que l’eau et l’assainissement soient placés par les services de l’État dans la liste des services prioritaires : « Dans l’hypothèse où il aurait une pénurie, cela permettrait à l’État de procéder à des réquisitions, pour permettre la continuité du service. » Un certain nombre de mesures réglementaires d’urgence pourrait également être pris – comme cela avait, du reste, été le cas dans d’autres secteurs pendant l’épidémie. Par exemple pour constituer des stocks : « Une installation ne peut pas stocker plus de six bouteilles de chlorure ferrique, sauf à devoir se transformer en ICPE » (installation classée pour la protection de l’environnement), explique Régis Taisne. « C’est typiquement le genre de sujets sur lesquels des assouplissements réglementaires pourraient être pris », au moins provisoirement.
La FNCCR estime par ailleurs que les collectivités vont rapidement devoir réfléchir à des « leviers » pour « optimiser leur consommation d’énergie » : « En optimisant certains process, on peut gagner 10 % de consommation, et dans la situation actuelle, cela compte énormément. »
Mais la balle reste, néanmoins, dans le camp du gouvernement qui, depuis des mois que dure la crise de l’énergie, a jusqu’à maintenant refusé de prendre des mesures sérieuses pour aider les collectivités à faire face.
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