C’est une disposition de la loi Engagement et proximité qui a été un peu oubliée : il y a deux ans, cette loi disposait (article 28) que le Code électoral devrait être modifié avant le 31 décembre 2021 « pour étendre l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements ». À un peu plus de deux mois de cette échéance, « l’évaluation préalable » prévue par la même loi a été conduite par la commission des lois de l’Assemblée nationale, sous la direction d’Élodie Jacquier-Laforge (MoDem, Isère) et Raphaël Schellenberger (LR, Haut-Rhin). Les deux députés ont présenté leurs conclusions et recommandations – différentes sur certains points.
Le problème est identifié de longue date : dans les petites communes, d’une part, et dans les conseils communautaires, d’autre part, la parité tarde à se concrétiser. Entre 2000 et 2019, plusieurs dispositions législatives ont permis d’arriver à une parité presque totale dans les communes de plus de 1000 habitants (48,5 % de femmes conseillères municipales). En effet, dans ces communes, les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste, et la parité avec alternance hommes-femmes est obligatoire. En revanche, dans les communes de moins de 1000 habitants, l’absence de scrutin de liste paritaire et la persistance du scrutin majoritaire plurinominal avec possibilités de panachage conduit à une sous-représentation importante des femmes : dans ces communes (qui représentent plus des deux tiers des communes du pays), les femmes ne représentent que 37,6 % des conseillers municipaux.
Dans les intercommunalités, il n’y a actuellement aucune obligation de parité, dans la mesure où les conseils communautaires ne sont pas, dans leur intégralité, élus au suffrage universel direct. Lorsqu’une commune n’a qu’un représentant au conseil communautaire, c’est dans la plupart des cas le maire… et 80 % des maires sont des hommes. La mission relève que depuis les élections de 2020, à peine plus d’un tiers des conseillers communautaires sont des femmes… et seulement 11,2 % des présidents d’EPCI sont des présidentes.
Ce sont ces « deux angles morts de la parité », qualifiés « d’inacceptables » par la mission, qu’il va falloir régler.
Les députés reviennent sur les raisons plus « structurelles » de la sous-représentation des femmes : persistance du sexisme chez de nombreux élus, comme l’a révélé l’enquête #EntenduEnMairie réalisée en 2019, « autocensure » de la part des femmes, « cooptation masculine », difficultés de conjuguer la vie familiale avec le mandat d’élue… La mission, une fois de plus, dénonce également la « répartition stéréotypée » des délégations (80 % des adjoints à la petite enfance sont des femmes, 80 % des adjoints aux finances sont des hommes).
Les députés de la mission énoncent un certain nombre de propositions pour traiter cette question, mais ne se sont apparemment pas mis d’accord sur chacune. C’est le cas, en particulier, de l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1000 habitants. Si les deux rapporteurs de la mission sont d’accord sur le principe de cette extension, ils divergent sur les modalités.
Pour Élodie Jacquier-Laforge, la solution est simple et radicale : il faut étendre le scrutin de liste à toutes les communes, quelle que soit leur taille. « Nous ne pouvons pas laisser plus longtemps (les petites communes) en marge des règles paritaires », déclare la députée de l’Isère, qui « s’oppose fermement » à l’argument, souvent entendu, selon lequel il serait impossible de former des listes, et a fortiori des listes paritaires, dans les communes de moins de 500 habitants : en prenant cette décision « très en amont des prochaines élections », un travail de constitution de listes pourra être entrepris suffisamment tôt, plaide la députée.
L’un des arguments souvent brandi contre cette réforme est que dans les très petites communes, il ne serait pas possible de former plus d’une seule liste, ce qui serait « une atteinte au pluralisme ». Ce n’est pas l’avis d’Élodie Jacquier-Laforge : « La multiplication éventuelle des listes uniques ne doit pas nécessairement être perçue comme une atteinte au principe du pluralisme. Celles-ci sont le plus souvent le résultat de l’avènement, sur le terrain, d’un projet politique local consensuel. » Elle propose toutefois des « aménagements » pour faciliter les choses : nombre minimum de candidats par liste fixé à 5 dans les communes de moins de 100 habitants, et à 9 pour les communes de 100 à 499 habitants.
De son côté, Raphaël Schellenberger propose de maintenir le mode de scrutin actuel pour les communes de moins de 500 habitants, et de n’étendre le scrutin de liste qu’à celles de 500 à 999 habitants. Il a en effet « la conviction » que l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 500 habitants conduirait à une multiplication du nombre de listes uniques qu’il estime dommageable, « voire des situations dans lesquelles aucune liste n’est déposée ». Cette position, plaide-t-il, est partagée par l’APVF (association des petites villes).
Rappelons que l’AMF, de son côté, est favorable une extension du scrutin de liste à toutes les communes : en juillet 2018, le bureau de l’association a validé les propositions du groupe de travail consacré à la promotion des femmes dans les exécutifs locaux, présidé par Cécile Gallien et Édith Gueugneau (lire Maire info du 19 juillet 2018). L’extension du scrutin de liste paritaire à toutes les communes figurait dans ces propositions, et Cécile Gallien rappelait au passage que les petites communes rurales étaient meilleures élèves que les grandes sur la féminisation de la fonction de maire, avec un taux de femmes maires, à 18 %, supérieur à la moyenne nationale…
Sur le sujet des intercommunalités, les rapporteurs de la mission sont d’accord sur leur principale proposition : prévoir que la répartition des vice-présidents se fasse « en miroir » de la répartition par sexe dans le conseil communautaire : si celui-ci comprend 45 % de femmes, il faut 45 % de vice-présidentes. Cette proposition, ceci dit, ne résoudra pas le problème de la faible présence des femmes dans les conseils communautaires, qui ne trouvera de solution pérenne que par l’augmentation du nombre de femmes maires.
Les rapporteurs en profitent pour relever deux problèmes qui, s’ils n’entrent pas dans le périmètre direct de leur mission, méritent d’être résolus : premièrement, le rapport sur la situation de la commune en matière de parité, obligatoire depuis 2014 dans les villes de plus de 20 000 habitants, est « de qualité inégale » selon les communes, voire inexistant dans 10 % d’entre elles. La mission appelle « à la mise en œuvre sincère et résolue » de cette disposition dans toutes les communes.
Deuxièmement, les rapporteurs invitent le ministère de l’Intérieur à « se saisir » d’une question qui « suscite l’incompréhension des élus » : le Code électoral prévoit le remplacement, en cas de besoin, d’un conseiller communautaire « par un suivant de liste du même sexe ». Mais « en l’absence de conseillers municipaux remplissant les conditions nécessaires, le siège reste vacant jusqu’au prochain renouvellement du conseil municipal ». Cette disposition « est susceptible de nuire à la représentation de la commune concernée par la vacance au sein du conseil communautaire », notent les rapporteurs.
Et maintenant ? Que va-t-il sortir de ce rapport ? Les deux rapporteurs vont-ils rédiger une proposition de loi, ou le gouvernement va-t-il s’emparer lui-même du sujet – à moins que des textes existants, comme la proposition de loi Marie-Pierre Rixain, datant de 2019, soit réactivée ? Quoi qu’il en soit, si le gouvernement veut respecter les échéances fixées par la loi Engagement et proximité, il va falloir faire très vite… tellement vite, qu’il paraît bien peu probable, connaissant les délais de discussion de la navette parlementaire, qu’un tel texte soit adopté avant le 31 décembre.
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