La loi de finances pour 2021 prévoit de nouvelles mesures fiscales permettant aux entreprises notamment industrielles d’être plus compétitives en allégeant leur fiscalité professionnelle. Dans le même temps, l’Etat, qui a récemment annoncé des chiffres relativement rassurants sur l’état financier des communes et des intercommunalités en 2020, compte plus que jamais sur les collectivités locales – notamment les intercommunalités – pour accompagner le plan de relance et investir dans la transition écologique.
Retour sur les enjeux à court terme pour les communautés. ( entretien avec Clément Bousquet*, expert en finances locales - Propos recueillis par Alexandre Huot)
Comment analysez-vous, pour les intercommunalités, les chiffres récents établis par les services de l’Etat qui traduisent une situation financière relativement rassurante des collectivités en 2020 ?
Il convient d’être prudent sur une vision macroéconomique des chiffres, car une consolidation vient toujours atténuer les disparités entre les EPCI. Or, il y a pourtant de grandes différences entre eux, notamment en fonction des compétences qu’ils exercent et en fonction de la part de leurs recettes tarifaires sur leurs recettes totales (qui dépendent du mode de gestion de leurs compétences). Il est nécessaire également de mesurer la manière dont les EPCI ont accompagné les régions ou l’État en participant aux différents fonds de soutien économique. Enfin, il faut prendre en compte certaines exonérations sur la CFE décidées par les EPCI en 2020 pour soutenir les entreprises de leur territoire dont le produit fiscal sera amputé en 2021.
Les chiffres récemment annoncés par les services de l’État sont provisoires, il faut les prendre avec des pincettes.
Quelles perspectives pour les intercommunalités dans les prochaines années ?
Les EPCI n’ont aucune visibilité sur l’évolution de leurs recettes fiscales pour trois raisons. En premier lieu, en raison de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et de son remplacement par la TVA. Le dynamisme de la TVA entre 2020 et 2021 a fait l’objet de nombreux débats au parlement (dans le cadre des discussions parlementaires du PLF 2021). Nous ne sommes pas du tout certains du dynamisme futur de la TVA pour le budget des collectivités. En second lieu, les conséquences de la crise vont se faire ressentir avec une première baisse de CVAE en 2021, même si le plein effet de la crise de 2020 interviendra en 2022. Concernant la CFE, s’il y a des fermetures d’entreprises, on constatera des diminutions de recettes fiscales malgré les clauses de garanties qui s’appliquent.
Compte tenu de ces incertitudes, les EPCI vont principalement boucler les projets qui étaient déjà engagés. Toutefois, ils ne vont pas se lancer dans de nouvelles constructions d’équipements structurants tant qu’ils n’auront pas de vision sur leur capacité à épargner. Or cette capacité à épargner dépend en grande partie du dynamisme des recettes.
Les intercommunalités n’ont donc aucune visibilité sur le dynamisme de leurs recettes, contrairement aux régions qui l’ont obtenue. Dans ces conditions, elles vont avoir du mal à pouvoir pleinement prendre leur place dans le plan de relance. L’État n’a pas donné les moyens financiers aux intercommunalités pour être un vrai acteur de la relance.
Le dispositif adopté en loi de finances pour 2021 -qui prolonge la clause de sauvegarde des recettes intercommunales- n’est-il pas favorable à l’investissement et à la relance ?
La clause de sauvegarde est basée sur une moyenne de recettes perçues entre 2017 et 2019, ce qui ne crée aucun dynamisme ! Or, c’est par la dynamique de leurs recettes fiscales que les intercommunalités peuvent reconstituer de l’épargne et investir ! Cette mesure va probablement éviter le « crash » mais ne permettra probablement pas d’engager de nouveaux investissements dans le cadre du plan de relance.
La relance de l’investissement, en l’état actuel, ne peut être envisagée qu’après la fin des effets de la crise sur le budget des EPCI. Tant qu’elle perdure, il n’y a pas de visibilité. Les principaux effets fiscaux de la crise interviendront en 2021, 2022 et certainement aussi 2023 (si elle perdure). Les diverses mesures du Gouvernement ont mis les entreprises sous perfusion. Nombreuses d’entre elles risquent de fermer malgré tout d’ici la fin de l’année ou quelques années plus tard, ce qui pénalisera les EPCI qui en subiront les conséquences. On risque donc de voir cette relance ne pas s’appliquer avant 2024.
Enfin, la clause de sauvegarde ne doit pas faire oublier la perte de pouvoir fiscal des intercommunalités avec la réforme des impôts de production. Dans le détail, la perte de produit de fiscalité liée aux impôts de production sera uniquement compensée en fonction de bases résultant de la mesure par le taux de TFPB et de CFE appliqué en 2020 sur la commune ou l'EPCI. Par conséquent, pour les locaux industriels, une augmentation d’un point de fiscalité de CFE ou de TFNB rapportera probablement deux fois moins de recettes pour l’EPCI qu’avant la réforme. Les intercommunalités sont donc également privées de la possibilité de mobiliser de nouvelles recettes pour financer de nouveaux investissements. Cette difficulté est renforcée par la nouvelle règle de lien entre les taux notamment avec notamment l’impossibilité d’augmenter dans l’immédiat la taxe d’habitation pour les résidences secondaires.
Comment la crise influencera-t-elle les relations financières entre les intercommunalités et les communes ?
L’impact n’est pas à minimiser. En effet, la crise prive les intercommunalités de visibilité sur leurs ressources fiscales et il y a un réel risque de perte de la dynamique de la fiscalité professionnelle. Les communes ont également des incertitudes pour leurs recettes, mais ces dernières sont moins liées à la situation économique. Elles ont été très impactées par le confinement, car elles ont perdu directement des recettes (notamment tarifaires), mais elles pourront les retrouver probablement plus rapidement quand la situation sanitaire le permettra.
Dans ce contexte, les relations entre communes et intercommunalités risquent d’être plus tendues.
Que conseillez-vous aux intercommunalités afin de traverser au mieux cette crise ?
Il convient d'établir des réflexions collectives, faire des points de rencontre et créer des espaces de dialogue entre les communes et leur intercommunalité.
À titre d’exemple, dans un avenir proche, certains EPCI et/ ou communes risquent de se retrouver avec des difficultés financières, et il faudra donc imaginer une gouvernance financière pour savoir qui sera le plus en capacité d’investir.
Dans le même temps, il est nécessaire de réussir à objectiver les reversements de fiscalité. Il convient de calculer le taux de compensation des attributions de compensation (AC) par rapport à la fiscalité professionnelle produite sur le territoire d’une commune. Il est nécessaire de vérifier comment la commune est compensée par rapport à l’AC fiscale déterminée lors de la création de l’EPCI.
Jusqu’à cette crise, la dynamique de la fiscalité économique permettait de générer davantage de recettes fiscales aux EPCI par rapport aux attributions qu’elles versaient. Aujourd’hui, si des entreprises ferment massivement, on peut avoir un effet inverse : des communes vont être gagnantes, car leur AC fiscale sera plus importante que ce qu’elle apporte au territoire.
Le modèle de l’AC fiscale est construit sur une hypothèse de développement économique et de dynamisme des recettes fiscales. Cette crise va mettre en relief les fragilités de ce modèle.
Cela est d’autant plus vrai pour les EPCI issus de la loi NOTRe. Ces intercommunalités ont été créées avec des AC hétérogènes, notamment à la suite « des mariages » entre EPCI ayant des régimes fiscaux différents (FA/FPU). Dans cette situation, il existe des disparités dans le calcul de leur montant. Ce ne sont plus les mêmes bases fiscales qui sont compensées (bases fiscales réelles pour les communes anciennement à FA, bases fiscales passées pour les communes anciennement sous le régime de la FPU). Sans compter l’impact de l’harmonisation des taux qui peut faire varier le produit fiscal pour l’intercommunalité, sur une commune.
Les conditions de création des EPCI n’ont pas permis de les objectiver et la détermination des AC fiscales fait aujourd’hui l’objet de crispation entre les élus. Pour nouer un véritable dialogue, cette objectivation est nécessaire ; elle est la plupart du temps un acte préalable à toute création de pacte financier et fiscal.
Pour se faire, la construction d’un pacte repose sur les trois étapes suivantes :
1) objectiver la situation financière des communes et de l’EPCI sur le territoire ; et objectiver les flux financiers entre les communes et l’intercommunalité.
2) prévoir des mécanismes et déterminer qui des communes ou de l’EPCI sera le plus à même d’investir en fonction du projet des élus et selon leur situation financière. Pour ce faire, il est donc nécessaire d'utiliser toutes les clauses de revoyure concernant l’AC et de mobiliser les autres outils prévus par le législateur : les conventions de reversement de fiscalité entre l’intercommunalité et les communes, les fonds de concours, etc.
3) retravailler très régulièrement ces accords avec des clauses de revoyure.
Vous conseillez donc de faire des pactes financiers et fiscaux ?
Il convient de trouver les points saillants du territoire au niveau financier et fiscal, et essayer de mettre en place des outils de correction pour permettre aux collectivités d'investir.
Pour ce faire, il est nécessaire de convenir d’une gouvernance financière.
En effet, la réussite d’un pacte passe par des relations de confiance entre élus. Il est indispensable de se rencontrer régulièrement pour nouer un dialogue, objectiver la situation et mettre en place des indicateurs en commun pour piloter de manière objective le territoire. En l’absence de partage des indicateurs financiers, personne ne comprend les contraintes et il est difficile de gouverner.
Ce pacte ne peut pas être figé dans le temps et doit prévoir de nombreuses clauses de revoyure. Il nécessite d’être régulièrement discuté pour tenir compte du dynamisme de la fiscalité et de la situation financière des EPCI mais aussi des communes.
* Clément Bousquet a été directeur adjoint des affaires administratives d’une ville de 30 000 habitants, puis chargé des questions budgétaires et comptables des collectivités locales pendant cinq ans à la DGCL. Il a depuis piloté plus d’une centaine de missions de nature juridique, financière ou organisationnelle en tant que chef de projet. Il est aujourd’hui à la tête d’un cabinet de consultants.
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