La fin de la période transitoire de dix ans instaurée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 (loi Maptam) est imminente : le transfert des digues domaniales aux autorités locales exerçant la compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) doit avoir lieu le 29 janvier 2024.
Les discussions locales entre les services de l’État et les collectivités « gémapiennes », au cours de l’année écoulée, pour tenter de préparer ce transfert, ont montré des divergences profondes sur l’interprétation des dispositions de la loi (lire ci-dessous), en particulier sur la question de la « compensation » financière du transfert jugée insuffisante par les élus locaux. Ces derniers ont réclamé avec constance des éléments précis sur les ouvrages que l’État entend leur mettre à disposition et sur leur état, sans obtenir de réponse satisfaisante dans la plupart des cas (www.amf.asso.fr).
Deux mois avant l’échéance du transfert, qui va engendrer d’énormes dépenses à la charge des collectivités concernées et de leurs habitants, et engager la responsabilité des élus locaux, l’État a publié, le 21 novembre 2023, deux décrets. Le premier définit de façon unilatérale un cadre pour le transfert (il s’applique dans les conditions de droit commun en Alsace et en Moselle). Le second fixe les règles de financement des travaux de mise en conformité des digues, c’est-à-dire ce que l’État prévoit comme accompagnement financier mais qui, selon les expressions employées par certains élus, équivaut à une « fausse compensation », voire à « un marché de dupes ».
L’article 1er du décret n° 2023-1074 du 21/11/2023 définissant les modalités et le cadre du transfert indique que les conventions de mise à disposition des ouvrages prennent effet au plus tard à partir du premier jour suivant la fin de la période transitoire de dix ans prévue par la loi Maptam, donc le 29 janvier 2024.
Il stipule qu’en l’absence de convention, le préfet de département « prend un arrêté constatant la mise à disposition des digues à compter du 29 janvier 2024 ». En clair, cela signifie que si les collectivités « gémapiennes » ne signent pas ces conventions, le transfert est acté quand même. Le texte précise juste qu’est « annexé à cet arrêté un procès-verbal, établi après échange contradictoire avec les représentants des collectivités bénéficiaires du transfert des digues ».
La signature d’une convention dans le délai imparti est très importante car l’autre décret (n° 2023-1075) sur le financement (lire ci-dessous) prévoit que l’accompagnement financier par le Fonds Barnier à hauteur de 80 % du montant des travaux de mise en conformité de ces digues n’est valable que si les travaux en question sont listés dans ladite convention. Si celle-ci n’est pas signée au 29 janvier et que c’est le préfet qui prend un arrêté, les travaux qui seront réalisés ultérieurement sur ces digues seront exclus du bénéfice du taux bonifié de subventions de 80 %.
L’AMF estime qu’« il n’est pas (…) acceptable de conditionner les aides de l’État aux seules conventions initiales de janvier 2024 » et souligne « la nécessité (…) d’inclure la présence de clauses de revoyure dans les futures conventions – voire d’envisager par voie législative un moratoire qui permettrait de faire le point sur l’état des transferts sans remettre en cause les conventions déjà signées. Les élus considèrent également que la taxe Gemapi ne permettra pas de supporter ces charges nouvelles et les responsabilités considérables qu’entraîne le transfert des digues domaniales ».
L’article 1er du décret n° 2023-1074 indique qu’un « arrêté ministériel établit la liste des digues domaniales mises à disposition des communes ou groupements de collectivités territoriales respectivement concernées ». Une formulation qui a pu générer une certaine confusion chez de nombreux élus se demandant quand cette liste serait connue.
La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a apporté quelques éclaircissements sur ce futur arrêté ministériel, lors d’un webinaire organisé, le 18 décembre dernier, par l’AMF. La DGPR a précisé que la publication de cet arrêté ministériel aurait lieu « après le 29 janvier », sans plus de précision sur les délais, mais en justifiant cette publication tardive par la nécessité, pour les services de l’État, de s’assurer « que cette liste ne comprenne pas d’ouvrage ayant vocation à être désaffecté ».
On peut comprendre que cet arrêté ministériel actualisera et arrêtera, a posteriori, une version définitive de la liste des digues domaniales dont la gestion a été transférée et qui n’ont pas vocation à être désaffectées (lire le point 6 ci-dessous). L’AMF déplore ce décalage par rapport à la date du transfert qu’elle estime « incompatible avec les besoins d’information précise des collectivités ».
La liste « initiale » des digues que l’État entend mettre à disposition de chaque « gémapien », est censée, elle, être jointe aux projets de conventions de mise à disposition (lire le point 5). Lors du webinaire du 18 décembre dernier, la représentante de la DGPR a affirmé que « dans les projets de convention que les collectivités ont reçus, cette liste est présente ». Les élus participants au webinaire ont souligné, pour leur part, que le plus souvent, la liste transmise avec le projet de convention (certains l’ayant reçu vers le 15 décembre) est très succincte, approximative ou non-exhaustive.
L’article 1er du décret n° 2023-1074 précise qu’à compter de la prise d’effet de la convention ou au plus tard le 29 janvier 2024 (dans le cas où l’absence de convention signée amènerait le préfet à acter le transfert par arrêté), les collectivités bénéficiaires de la mise à disposition de la digue « assument l’ensemble des obligations du propriétaire ». Le décret décline un principe général de substitution du « gémapien » à l’État et liste les droits et obligations qu’il reprend à son compte en tant que gestionnaire des ouvrages.
L’article 2 du décret n° 2023-1074 indique que ce principe général de substitution s’applique à tous les droits et obligations nés des contrats et marchés publics conclus pour les besoins de la gestion de la digue pendant la période transitoire.
Mais, par dérogation à ce principe général, le décret permet, dans son article 3, que l’État (ou l’établissement public de l’État) achève l’exécution de marchés publics de travaux ou de service qu’il aurait conclu pendant la période transitoire et toujours en cours à la date du transfert.
Cette possibilité de dérogation est actionnée « à la demande » du « gémapien » et « pour une durée strictement nécessaire au bon achèvement des travaux ou prestations ». Au cours du webinaire du 18 décembre, la DGPR a souligné que la dérogation ne pourra être mise en œuvre que pour des marchés ayant été expressément mentionnés et listés dans la convention de transfert.
L’article 4 du décret n° 2023-1074 liste un certain nombre d’éléments devant figurer dans la convention de mise à disposition des digues domaniales. Parmi eux :
• localisation et principales caractéristiques des ouvrages et de leurs éventuels dispositifs de régulation des écoulements hydrauliques accessoires (tels que vannes, stations de pompage…),
• situation juridique (au regard du cadastre, des autorisations requises au titre de la police de l’eau…),
• documentation administrative et technique afférente dont dispose l’État,
• modalités de la superposition d’affectation des digues le cas échéant,
• marchés publics et procédures administratives en cours (avec mention expresse des marchés pour lesquels, par dérogation, le gestionnaire n’est pas substitué à l’État),
• modalités de fixation des financements de l’État pour la mise en conformité des digues transférées et liste des travaux susceptibles d’être éligibles au dispositif de subvention d’investissement à taux bonifié, via le Fonds Barnier.
Dans son article 5, le décret n° 2023-1074 facilite la procédure de désaffectation d’une digue domaniale qui vient d’être transférée dans le cas où elle n’aurait plus d’utilité pour la prévention des inondations. Les collectivités « gémapiennes » ont ainsi jusqu’au 1er juillet 2024 pour prendre une délibération « tendant à désaffecter » tel ou tel ouvrage si elles ne le jugent pas utile à l’exercice de la compétence.
La reproduction partielle ou totale, par toute personne physique ou morale et sur tout support, des documents et informations mis en ligne sur ce site sans autorisation préalable de l'AMF et mention de leur origine, leur date et leur(s) auteur(s) est strictement interdite et sera susceptible de faire l'objet de poursuites.