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Élus : une méconnaissance encore élevée des risques pénaux

Les intervenants du forum sur la responsabilité pénale des élus, le 24 novembre, ont fait oeuvre de pédagogie pour expliquer les risques encourus et les moyens de s'en prémunir. L'AMF propose de réduire la forte insécurité juridique qui continue de peser sur les élus.

Quarante cinq pourcent des élus ne connaissent pas ou mal le délit de prise illégale d’intérêts. Et les deux tiers estiment leur niveau d’exposition au conflit d’intérêts faible. L’enquête de la SMACL, publiée début novembre, confirme la forte méconnaissance des risques pénaux par les intéressés.

Le forum, organisé le 24 novembre, a donc mis l’accent sur l’information et la pédagogie. Une nécessité quand on voit les condamnations récentes d’élus, le plus souvent de petites communes, pour prise illégale d’intérêt. «Trop peu d’élus connaissent les risques et en mesurent le périmètre. Il faut donc un progrès immense d’information et de formation », a ainsi reconnu Rafika Rezgui, maire de Chilly Mazarin (91) et coprésidente du forum. Face au manque de ressources juridiques, elle plaide pour un rôle de l’intercommunalité ou des associations départementales de maires.

« Sur ce sujet très sensible, les élus se doivent d’être exemplaires mais il faut aussi entendre leur ras le bol contre le " tous pourris "», a souligné Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville (77), président de l’association des maires de Seine-et-Marne et coprésident du Forum. Et d’appeler à «faire baisser la pression en instaurant une " présomption d'honnêteté " des élus et non l’inverse ».

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) compte parmi ses missions le conseil et l’assistance aux élus mais seulement pour les communes de plus de 20 000 habitants. Sébastien Ellie, son secrétaire général adjoint, a évoqué la nécessité d’« aider les élus à exercer leurs fonctions dans le respect des règles de la probité ».
 

« Risque majeur de la gestion associative »

Malgré les dernières évolutions législatives, ils demeurent très exposés lorsqu’ils représentent leur collectivité au sein d’organismes extérieurs (associations, EPL…). Pour l’illustrer, Yann Guevel, adjoint au maire Brest (29), vice-président de la métropole et administrateur de la Fédération des EPL, a cité le cas d’une affaire emblématique dans son département.

L’an dernier, quatre élus dont le maire de Plougastel-Daoulas ont été condamnés pour prise illégale d’intérêt. La cause ? La création d’une association pour gérer un événement sportif et le vote de subventions en sa faveur auquel ils n’ont pourtant pas pris part. «Ils ont été condamnés pour ne pas être sortis de la salle au moment du vote, a-t-il expliqué. À présent, nous le faisons quasi systématiquement mais nos conseils deviennent des vaudevilles et ça devient problématique ».

Face au «risque majeur » pour les élus de représenter leur collectivité dans des associations, Yann Guevel les appelle à «une extrême vigilance ». Et même, «dans la mesure du possible, à changer les statuts de l’association pour ne plus avoir d’élus qui en soient administrateurs ».
 

Charte ou code de déontologie

Olivier Renucci, chef du département du conseil aux acteurs publics à l’Agence française anticorruption (AFA), a souligné la nécessité de mettre en place un dispositif anti-corruption reposant sur «l’engagement des instances dirigeantes de la collectivité, la cartographie des risques et la gestion de ces risques ». Cela doit se traduire dans un code de conduite anti-corruption et favoriser la mise en place de démarches de prévention.

Les collectivités commencent à adopter des codes ou des chartes de déontologie. Chilly-Mazarin l’a fait, dès juillet 2020, car «la charte de l’élu local restait trop vague », estime Rafika Rezgui.

Objectif : l’exemplarité et la transparence, la prévention des conflits d’intérêts ou les modalités du déport. «Moi-même, j’ai pris un arrêté de déport en désignant le premier adjoint pour me représenter sur toutes les questions pouvant me mettre en position de conflit d’intérêt entre la ville et ma situation professionnelle », a indiqué l’élue.

Pour sa part, André Mellinger, maire de Figeac (46), a mis en place une charte de déontologie des achats publics. «Elle donne un cadre précis avec les droits et les devoirs, c’est utile pour une nouvelle génération d’élus issue du privé, a-t-il indiqué. Elle concerne aussi nos fournisseurs en leur expliquant les règles. »

Parmi les outils, le référent déontologue, à l’instar de celui déjà existant pour les agents, apparaît très utile. Le décret créant ce nouveau droit, en application de la loi «3DS » du 21 février 2022, doit être publié prochainement.

L’exemple de la région PACA fait partie des rares existants, et cela depuis 2016. «J’ai mis en place tout d’abord un code de déontologie, adopté par l’assemblée de la région et intégré à son règlement intérieur », a expliqué la déontologue Catherine Husson-Trochain, ancienne magistrate. Privilégiant la prévention, via de l’information et de la formation, elle publie toute son activité sur le site de la région. Pour limiter au maximum les risques, elle demande aux élus de faire leur cartographie des risques personnels.

Parmi les règles mises en place : l’interdiction de recevoir des cadeaux supérieurs à 150 euros et la publication, pour les autres, d’une liste complète et descriptive.
 

Progrès de la loi «3DS »

La loi «3DS » précise l’absence de risque de prise illégale d’intérêt pour les élus siégeant dans les EPCI, les CCAS et les régies. «« Nous disposons à présent de règles plus claires », a jugé Sébastien Ellie. La loi indique aussi l’absence de risque pour certains organismes où les élus sont nommés, sauf pour trois types de décision : les marchés, les subventions, les désignations et rémunérations pour les élus siégeant dans un organisme extérieur.

Par rapport aux zones d’ombres persistantes, et donc aux risques pénaux toujours bien présents, Yann Guevel prône la mise en place d’un travail interministériel. Pour sa part, Guy Geoffroy propose que le comité législatif et réglementaire de l’AMF, qu’il copréside, se saisisse du sujet et formule des propositions au gouvernement.
 

Redéfinir les déports
Attestant de certaines avancées dans la loi «3DS », Yann Guevel, adjoint au maire Brest (29), regrette néanmoins l’absence d’une protection plus claire des élus, une gestion très incertaine des cas de déport et donc la persistance d’une forte insécurité des élus.

Dans ce contexte, Brest Métropole a créé un poste juridique chargé, avant chaque conseil, de scruter les risques potentiels dans chaque délibération. Avec des élus devant sans cesse sortir et rentrer dans la salle du conseil, il dénonce «un vaudeville complexifiant la gestion locale et créant des risques d’illégalité des délibérations ».

Yann Guevel demande donc de restreindre le périmètre des déports et de les limiter à la non-participation au débat et au vote, et non pas au départ de la salle.


Retrouvez l'intégralité du forum en vidéo ci-dessous :


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Référence : BW41484
Date : 8 Déc 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry


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