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Entretien avec Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et vice-président de l’AMF : « Le projet de loi "3DS" n’est pas un grand texte de décentralisation »

Fruit d’un long feuilleton de près de trois ans, démarré après la crise des gilets jaunes, le projet de loi « 3DS » (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) a pu trouver son épilogue avec l’accord obtenu en commission mixte paritaire (CMP), le 31 janvier. Reprenant en grande partie les positions du Sénat, notamment sur l’intercommunalité, ses conclusions seront examinées le 8 février par les députés et le 9 février par les sénateurs. Tout en regrettant qu’il ne s’agisse pas d’un nouvel acte de décentralisation, Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et président de l’AMF 77, se dit satisfait du contenu de l’accord. Le vice-président de l’AMF plaide à présent pour une grande loi qui permettrait « une véritable subsidiarité dans l’exercice des compétences ».

 

-L’accord trouvé en CMP sur le projet de loi « 3DS », mis en ligne le 3 février (https://www.senat.fr/leg/pjl21-423.html), correspond-il aux attentes de l’AMF ?

Nous sommes satisfaits même s’il s’agit surtout d’un « pied mis dans la porte » pour aller plus loin lors du prochain quinquennat en lançant le chantier d’une grande loi de décentralisation et de déconcentration. Le projet de loi « 3DS » est bien loin de cela, excepté l’affirmation du principe de différenciation, comme l’avait affirmé le Conseil d’Etat en mai 2021 en pointant son manque d’ambition. Après le travail intéressant fait en première lecture au Sénat, en reprenant ses 50 propositions sur l’exercice des libertés locales élaborées en concertation avec les associations d’élus, la version de l’Assemblée nationale nous avait refroidis en revenant à la version originelle du texte gouvernemental et en y ajoutant une centaine de nouvelles dispositions avec un risque d’inconstitutionnalité. Au final, le gouvernement et sa majorité parlementaire ont reconnu ce risque, ce qui a permis de trouver un compromis même s’il ne s’agit que d’un ensemble de dispositions qui n’apportent pas grand-chose de nouveau.

-Etes-vous satisfait du volet relatif à l’intercommunalité ?

Il faut clarifier les relations communes/intercommunalité en affirmant que cette dernière n’est pas de la supracommunalité. Dans le texte de la CMP, le fait de permettre aux communes de transférer des compétences facultatives « à la carte », comme le demande l’AMF depuis longtemps, va dans le bon sens. Cette souplesse vise à pouvoir exercer ces compétences de façon différenciée d’une commune à l’autre. Par ailleurs, nous avons été entendus sur l’intérêt communautaire. Comme nous le souhaitions, le texte renforce l’application du principe de subsidiarité en soumettant notamment l’exercice de la compétence « voirie » à la reconnaissance d’un intérêt communautaire ou métropolitain. A ce propos, une pleine application du principe de subsidiarité constitue la clé de voute de la réforme qu’il faudrait.

-Et s’agissant des compétences eau et assainissement ?

Le compromis trouvé, avec notamment le maintien des syndicats infra-communautaires, est un entre deux. En tout cas, cela montre bien que le gouvernement accepte que le sujet soit remis sur la table par la suite. Il faudra le traiter rapidement, dès le début de la prochaine législature. Une fois encore, ce sont les principes de subsidiarité et de différenciation qui doivent s’appliquer ici afin que chaque territoire puisse s’organiser comme il l’entend en fonction de son histoire et de ses caractéristiques propres.

-L’AMF a-t-elle été entendue sur l’application de la loi « SRU » ?

Sur ce sujet, il y avait de vraies inquiétudes. Nous avons été entendus avec le retrait de la date butoir de 2025 sur les objectifs de production de logements sociaux. Il fallait mettre fin à cette guillotine qui ne tenait pas compte des spécificités de chaque territoire. La disposition retenue par la CMP vise ainsi à permettre plus de souplesse et à reconnaître la responsabilité des maires. Les contrats de mixité sociale permettront de mieux prendre en compte les réalités locales, entre le maire et le préfet.

-Comment jugez-vous la solution retenue pour l’implantation d’éoliennes ?

La CMP a prévu le renforcement dans le PLU (plan local d’urbanisme) des prérogatives du maire pour l’implantation d’éoliennes. La solution retenue est un peu tarabiscotée mais elle permet aux maires de revenir dans la partie en n’étant pas exclus de telles décisions. C’est une bonne nouvelle même si nous souhaitions, au départ, qu’ils soient systématiquement dotés d’un pouvoir décisionnel.

-Le rôle du préfet de département a-t-il été renforcé ?

Oui et c’est une bonne chose pour l’attribution de la DSIL (dotation de soutien à l’investissement local) ou la gouvernance des agences de l’eau. Néanmoins, ce texte comporte très peu de dispositions sur la déconcentration. La crise sanitaire a démontré l’efficacité du couple maire-préfet. Face à des maires agiles sur l’ensemble des compétences, beaucoup de préfets de département ont été à leur écoute même s’ils disposaient de peu de marges de manœuvre du fait du carcan de l’Etat central. Par petites touches, le texte de la CMP reconnaît qu’ils représentent mieux l’Etat auprès des collectivités et constituent des alliés pour les maires. Mais il faudra aller plus loin en leur donnant davantage responsabilités car il ne peut pas exister de décentralisation sans une profonde déconcentration.

-En matière de santé, est-il accordé plus de place aux élus locaux ?

Le renforcement de la place des élus locaux dans pilotage des ARS (agences régionales de santé) est positif. Cela devenait urgent après les leçons de la crise sanitaire. En revanche, je regrette que la présidence du conseil d’administration de l’hôpital par le maire ne soit pas inscrite dans le texte. Il s’agit là d’une défiance inutile de la part de l’Etat. Sans prendre bien sûr la place du chef d’établissement, cela lui aurait permis de favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes. Là aussi, il faudra revenir sur cette question.

-Vous évoquez la nécessité d’une « grande loi de décentralisation ». En quoi doit-elle consister ? 

Cette grande loi, qu’il faudra adopter lors du prochain quinquennat, doit permettre une véritable subsidiarité dans l’exercice de nos compétences. Sa nécessité apparaît encore plus flagrante après la phase d’hyper-recentralisation de la crise sanitaire au détriment des collectivités. Ce texte devra donc aller beaucoup plus loin en matière de différenciation et de déconcentration qui ne sont qu’esquissées dans le projet de loi « 3DS ». Nous allons faire rapidement des propositions sur le sujet, notamment dans le cadre de la campagne présidentielle A ce titre, je vais coprésider avec Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François, le comité législatif et réglementaire de l’AMF qui suivra de près tous les projets et propositions de loi touchant à l’organisation des collectivités.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

Crédit photo : Arnaud Février pour l'AMF

Référence : BW41100
Date : 4 Fév 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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