La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fête ses 20 ans. Couvrant toutes les politiques publiques et tous les types de handicap, elle concerne au premier chef les communes et les intercommunalités. A l’heure du bilan, il peut paraître mitigé même si beaucoup a été fait, estime Isabelle Assih, maire de Quimper (Finistère) et présidente de Quimper Bretagne Occidentale, qui est aussi maire référente Handicap et Accessibilité de l’AMF. Elle souligne le besoin d’une évaluation de la loi et annonce le lancement d’une consultation des élus par l’AMF cette année pour aboutir à une « boite à outils » et à une série de propositions.
Quel bilan général dressez-vous de la loi « Handicap » du 11 février 2005 ?
Extrêmement importante, cette loi aborde la notion de l'accessibilité de façon universelle, c'est à dire pour toutes les sphères de la vie quotidienne et tous les types de handicap. Jamais, une loi n'est allée aussi loin, y compris dans sa perception de ce que doit être une société inclusive. C'est à l'environnement de s'adapter et non pas aux personnes en situation de handicap. Sur ce sujet complexe qui touche toutes les politiques publiques, beaucoup a été fait depuis 20 ans par les communes et les intercommunalités mais pas suffisamment.
Nous avons besoin d’évaluer la loi de 2005 pour savoir ce qui a bien fonctionné ou pas et comprendre pourquoi. L’AMF va lancer une consultation pour poser un diagnostic et établir un bilan de la loi. Ce travail doit permettre de disposer d’une boite à outils et d’établir une série de propositions, issues des élus locaux, à remettre à l’Etat. Il pourrait être présenté à l’occasion du prochain congrès des maires.
Dans mon territoire, je vais organiser au printemps, une conférence à l'échelle pertinente du bassin de vie sur les 20 ans de la loi « Handicap », avec les associations et les élus locaux, afin d’avoir une photo locale précise.
Estimez-vous que nous sommes parvenus à créer une école inclusive ?
Pour l’accueil à l’école des enfants en situation de handicap, nous avons quasiment comme seule réponse les AESH [accompagnants d’élèves en situation de handicap]. Mais c’est une vision très insuffisante qui peut même parfois être contreproductive. Il faudrait également que les enseignants soient formés à l'accueil de ces enfants et, surtout, faire plus rentrer l’IME [institut médico-éducatif] au sein de l'école. Le droit à l'école est un droit fondamental et le risque est de ne pas aller assez loin. Nous devons nous enrichir des avancées de la recherche et de ce qui fonctionne dans d’autres pays. Par exemple, en Italie ou au Québec, les moyens du médico-social sont mis dans l'école et permettent à un enfant d’être scolarisé dans son groupe d’âge et accompagné dans ses besoins. Cela signifie de disposer à l’école d’espaces pour dispenser les suivis dont l'enfant a besoin. En France, nous ne sommes pas encore prêts à cela.
Les mentalités ont-elles évolué, notamment chez les élus locaux ?
Je le pense vraiment même s’il peut y avoir des différences localement, selon la présence ou pas d’un milieu associatif intervenant sur le handicap comme c’est le cas dans le Finistère. Le sujet est moins tabou. Les élus locaux ont pris conscience du besoin d’accompagnement des personnes en situation de handicap et d’une plus grande ouverture de la société vis-à-vis d’elles.
Néanmoins, il demeure une méconnaissance de la grande variété de handicaps dont 80% sont invisibles. Sur le retard de développement intellectuel, il reste beaucoup à faire. Il faut aussi former les agents qui accueillent du public comme l’ensemble des agents vis-à-vis de leurs collègues en situation de handicap. Pour cela, la politique ressources humaines des collectivités sur ce sujet doit se faire au long cours.
Comment jugez-vous la situation de l’emploi et de l’insertion des personnes en situation de handicap dans les collectivités ?
La FPT est la plus vertueuse des trois fonctions publiques avec un taux d’emploi de 6,9%, sachant que la FPE et la FPH se situent en dessous du taux légal de 6%. Pour la ville et l’agglomération de Quimper, nous sommes à 11%. Au-delà de cet indicateur, il est important de voir comment ça se passe dans les services et pour les recrutements. Notre politique RH est sur le temps long en ayant acculturé nos services, avec une belle diversité de métiers pourvus comme de natures de handicap concernés. Il faut ouvrir les portes à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes qui présentent un handicap. Je veux ainsi qu’en 2025 nous ayons plus de stagiaires. Une politique RH active doit aussi prendre en compte et accompagner les agents qui durant leurs parcours professionnels ont des risques d'avoir une maladie invalidante.
Les collectivités doivent impliquer tous leurs services pour que l’évolution des mentalités se fasse en profondeur. Il faut aussi avoir une action en externe. Par exemple, à Quimper, nous avons créé un forum de l’emploi qui inclut tous les types de handicap.
A quel point en sommes-nous sur la mise en accessibilité des bâtiments publics ?
Même s’il y a encore du retard dans les collectivités, beaucoup a déjà été fait avec parfois, c’est vrai, de grosses différences selon les cas. Le sujet reste complexe et coûte souvent très cher. Au moment où l’Etat ampute fortement nos budgets de fonctionnement, cela signifie autant d'investissements en moins. Les élus se trouvent confrontés à des situations quasi impossibles face aux urgences en termes de sécurité incendie, de bâtiments vieillissants à rénover ou de mise en accessibilité.
Il n’existe pas d’aide spécifique de l’Etat pour la mise en accessibilité alors qu’il faudrait une action volontariste de sa part. Nous devons être accompagnés. Les dérogations étant autorisées jusque fin 2024, cela veut dire que certaines collectivités sont aujourd’hui dans l'illégalité. Vu le contexte financier actuel, il va être extrêmement difficile de se mettre en totale conformité en 2025.
Le président du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) appelle à un « Notre Dame de l'accessibilité ». Qu’en pensez-vous ?
Il faudrait pour cela un programme financier massif. Le président du CNCPH a raison de tenir des propos forts et d'en attendre beaucoup plus avec un vrai portage politique. L’Etat doit être au rendez-vous. Il faut des actes, des impulsions, des aides. Toutes les pistes doivent être explorées comme par exemple la reconnaissance d’un endettement particulier pour les investissements en faveur de la mise en accessibilité.
L’intercommunalité peut-elle avoir un rôle particulier en matière de politique handicap ?
L’enjeu de l’inclusion des personnes en situation de handicap est inscrit dans notre projet communautaire. Au-delà, l’intercommunalité peut jouer un rôle important notamment sur la mutualisation des moyens en matière d’ingénierie pour aider les plus petites communes sur la mise en accessibilité des bâtiments publics. Elle a aussi une responsabilité pour le recrutement et l'accompagnement des personnes en situation de handicap dans nos services. Notre service de santé et de prévention au travail joue ici un rôle clé. Cette expertise doit pouvoir bénéficier aux autres communes, notamment sous la forme d’un service mutualisé. Je souhaite travailler plus sur ce sujet avec les élus souvent démunis et en manque d’accompagnement.
Vous avez créé un comité local du handicap. Quelle est sa finalité ?
Très riche, la loi de 2005 vise également la participation citoyenne des personnes en situation de handicap. Il y a un an, Quimper a ainsi mis en place un conseil local du handicap (CLH) pour leur donner la parole. Différent des commissions communales et intercommunales pour l'accessibilité, notre CLH, que très peu de collectivités ont créé, concerne tous les types de handicap. Très utile, il vise à consulter et à faire émerger des projets sur tous les sujets (emploi, école, loisirs, culture, école, déplacements…). Comptant 35 membres, il s’organise autour de quatre collèges (habitants concernés directement ou indirectement, représentants d’associations et d’établissements, représentants des conseils de quartier, élus).
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
Crédit photo : ©Quimper Bretagne Occidentale / Pascal Pérennec
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