C’est par le recours à la procédure du « vote unique » que le Sénat a adopté, samedi 11 mars, l’ensemble du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Cette procédure a permis l’adoption sans discussion d’un certain nombre d’amendements, dont certains concernent directement les élus locaux.
C’est afin d’écourter les débats et d’assurer l’adoption du texte avant le 12 mars au soir que le gouvernement a fait jouer l’article 44.3 de la Constitution, qui dispose que « si le gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ». Alors que le Sénat n’avait examiné que 8 articles du texte sur 20, cette procédure a permis de voter en une seule fois (procédure dite du « vote unique ») le reste du texte et d’un certain nombre d’amendements déposés sur les articles 9 à 20 – ceux que le gouvernement a jugé recevables.
C’est le cas, notamment, des amendements à l’article 11 présentés par le sénateur socialiste des Landes Éric Kerrouche et la sénatrice centriste du Jura Sylvie Vermeillet, relatif à la retraite des élus locaux. Cet amendement est presque similaire à un autre, présenté directement par le gouvernement, qui allait dans le même sens.
L’amendement adopté vise, d’abord, à permettre aux élus locaux qui le souhaitent, lorsqu’ils perçoivent des indemnités de fonction inférieures à la moitié du plafond de la Sécurité sociale, d’être assujettis aux cotisations de la « Sécu » sur les indemnités qu’ils perçoivent. En effet, explique l'un des auteurs de l’amendement, « les élus dont le montant total brut des indemnités de fonction est inférieur à 1833 € par mois et ceux qui n’ont pas cessé leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat ne cotisent pas au régime général sur leurs indemnités et n’acquièrent donc pas de droits à la vieillesse de base. Plus de 80 % des maires, quasi exclusivement de communes de moins de 4000 habitants, sont potentiellement concernés alors que leur engagement se fait parfois au détriment de leur activité professionnelle. »
Par ailleurs, le même amendement permet « d’étendre le rachat de trimestres de retraite aux périodes de mandat électoral, indépendamment du nombre de trimestres validé pour une même année ». En effet, explique Éric Kerrouche, « l'actuel dispositif de rachat de trimestres est ouvert pour les années incomplètes, empêchant le rachat de trimestre pour des années au cours desquelles un élu n'en aurait validé aucun ».
Parmi les autres amendements adoptés que les élus doivent retenir, signalons celui qui précise noir sur blanc que « l’État compensera intégralement » le surcoût résultant de la hausse annoncée des cotisations des employeurs territoriaux. Reste à savoir sous quelle forme se fera cette « prise en charge » : l’amendement précise que les modalités seront décidées en loi de finances.
Un autre amendement adopté concerne les sapeurs-pompiers professionnels : il précise que la limite d’âge de départ en retraite, pour cette catégorie, est fixée à 62 ans. La possibilité de départ en retraite anticipé des sapeurs-pompiers professionnels passerait de 57 à 59 ans.
Enfin, un amendement concerne les professeurs du premier degré : il permet à ceux-ci de partir en retraite en cours d’année, dès qu’ils ont atteint l’âge légal, sans être contraints d’exercer jusqu’à la fin de l’année scolaire comme la loi l’exigeait jusqu’à présent.
Signalons enfin que les amendements visant à faire en sorte que le régime « Ircantec élus » n’interfère plus avec les autres régimes n’ont finalement pas été retenus, ayant été jugés irrecevables.
D’intenses tractations vont maintenant débuter en amont de la commission mixte paritaire (CMP) qui aura lieu mercredi. Cette CMP, composée de 7 députés et 7 sénateurs, a pour objectif de trouver un compromis entre les textes votés par les deux chambres. Mais l’exercice, cette fois, va être rendu particulièrement complexe par le fait que l’Assemblée nationale… n’a pas voté de texte, les débats ayant pris fin avant la fin de l’examen du texte complet.
De toute façon, que la CMP soit conclusive ou non, le texte va revenir à l’Assemblée nationale : si la CMP aboutit à un compromis, le texte qui en sera issu devra être voté par les deux chambres ; si elle n’aboutit pas, c’est le retour à la case départ, le texte devant reprendre la navette parlementaire.
L’enjeu crucial pour le gouvernement se situe donc davantage jeudi, à l’Assemblée, que mercredi en CMP : en CMP, il s’agit seulement de trouver l’appui d’une majorité des 7 députés ; en séance, jeudi, il faudra trouver une majorité absolue pour voter ce texte, ce qui nécessite l’appui du groupe LR, puisque la gauche et le RN vont voter contre. Le problème est que de plus en plus de députés LR ont d’ores et déjà annoncé leur intention de ne pas voter ce texte. Certains maires LR, comme celui de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, y ont appelé leurs collègues députés : « Deux tiers des Français sont opposés à la réforme des retraites, expliquait-il hier. Quand on représente le pays on doit, comme parlementaire, voter contre cette réforme. » Avec, au passage, des mots peu aimables sur les parlementaires LR qui « servent la soupe à M. Macron ».
Pire encore pour le gouvernement, certains des élus de sa propre majorité semblent décidés à ne pas voter le texte. C’est le cas, par exemple, de l’ancienne ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, qui a d’ores et déjà indiqué qu’elle ne voterait pas contre le texte, mais s’abstiendrait. Et ce, malgré la règle annoncée la semaine dernière par la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé : « Tout député Renaissance qui votera contre, s’abstiendra ou ne votera pas la réforme des retraites sera exclu du groupe ». Au moins deux autres députées Renaissance ont dit publiquement envisager de se joindre à la fronde. Et le plein des voix pourrait aussi ne pas être fait dans les groupes alliés du MoDem et de Horizons.
Si le texte ne trouve pas de majorité, il restera deux options au gouvernement : passer par l’article 49.3 – ce qu’il a annoncé hier « refuser de faire ». Ou profiter des dispositions de l’article 47-1 de la Constitution, selon lequel un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, s’il n’est pas adopté dans un délai de 50 jours, « peut être mis en œuvre par ordonnance ». Ce délai de 50 jours après le dépôt du texte arrive à échéance cette semaine, ce qui pourrait constituer une porte de sortie pour le gouvernement. L’intérêt, pour la majorité, est que contrairement au 49.3, l’article 47-1 ne se traduit pas par l’engagement de la confiance du gouvernement, avec le risque d’une dangereuse motion de censure.
Reste que le risque politique de faire passer une telle réforme, massivement impopulaire, par ordonnance, sans vote du Parlement, est considérable. Le gouvernement est devant un choix cornélien.
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