Gouvernance, compétences, services publics, péréquation… La mission sénatoriale sur le bilan de l’intercommunalité, dix ans après les lois NOTRe et Maptam, ayant beaucoup modifié les périmètres et les compétences, a balayé large lors de l’audition de Cécile Raquin, la directrice générale des collectivités locales (DGCL). Face à « une réalité très diverse de l’intercommunalité », elle considère qu’il « faut encore du temps aux territoires pour absorber ces évolutions avant de s’interroger sur d’éventuels changements dans l’avenir, car il s’agit de mouvements lourds pour les élus avec beaucoup de conséquences ».
Installée début avril, la mission d’information sénatoriale, intitulée « 10 ans après la loi NOTRe et la loi Maptam, quel bilan pour l’intercommunalité ? », a auditionné Cécile Raquin, le 26 juin dernier. En préambule, Jean-Marie Mizzon, président de la mission et sénateur (UC) de la Moselle, rappelle que cette mission « n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité ni l'ensemble de l'architecture mise en place il y a dix ans mais d’identifier les freins et blocages qui entravent le fonctionnement de certaines structures ». « Notre mission est aussi consacrée au ressenti des élus après quelques années de fonctionnement de ces nouveaux EPCI », ajoute Maryse Carrère, rapporteure de la mission et sénatrice (RDSE) des Hautes-Pyrénées.
Des diagnostics différents
Jean-Marie Mizzon pointe parfois « des côtes mal taillées dès le départ » ou « le zèle de certains préfets dans le gigantisme de certains périmètres ». Avec pour conséquence « le sentiment de dépossession de nombreux élus au terme de la mise en place des grands EPCI issus de la loi NOTRe ».
Relativisant ce constat, Cécile Raquin cite l'étude du Cevipof de 2024 montrant que 60% des EPCI n'avaient pas d'opposition franche en interne avec des votes effectués le plus souvent à l’unanimité. « Au-delà de cette gouvernance assez consensuelle, il existe une aspiration des élus à la stabilité », estime-t-elle. Ceux qui souhaitent une révision du périmètre ne sont que 9%, un chiffre qui de surcroit ne se confirme pas auprès de la DGCL avec des « demandes d’élus très rares, voire inexistantes », y compris sur les modifications de compétences.
Après un mandat de stabilité, la DGCL convient qu’à partir de 2026, la question pourra se rouvrir sur certains périmètres (cessions ou retraits) et, « à la marge » sur les compétences. « Mais à la condition, insiste-t-elle, d’avoir la volonté d’améliorer le fonctionnement et de maintenir les plus-values de l’intercommunalité ».
Ajustements déjà possibles
Jean-Marie Mizzon affirme néanmoins que « des remontées existent auprès des préfets qui préfèrent les renvoyer après les municipales ». Tout en reconnaissant les critiques à l’égard de la gouvernance ou de la taille de certains EPCI, Cécile Raquin avance « la possibilité déjà existante de certains ajustements comme les PLU de secteur ». Elle ajoute que « le CGCT prévoit des conditions de retrait ayant été facilitées par la loi Engagement et proximité ». « Le seul point devant être strictement respecté concerne les seuils de population prévus par la loi », précise-t-elle, en admettant que la question pourra se poser demain d’assouplir encore ces possibilités de retrait, mais « avec un pouvoir d'appréciation du préfet sur la viabilité du périmètre souhaité en termes de taille et d'études d'impact financières ».
Gouvernance : « des progrès encore à faire »
En matière de gouvernance, Maryse Carrère critique « l'effet de masse d’assemblées pouvant compter jusqu’à plus de 150 délégués communautaires, et la perte du sens de l'action qui en découle ». La DGCL reconnaît les remontées fréquentes de maires de petites communes, ne disposant souvent que d’un seul siège dans de vastes EPCI, sur leur « poids dilué dans la gouvernance et donc dans le pouvoir de décision sur leur propre territoire, avec le sentiment de se voir imposer des décisions ». La réponse, selon elle, passe par « les capacités de travail ensemble en amont du vote, l’écoute des maires et la co-construction de l'intercommunalité ». Et de citer aussi les conférences des maires ou l'obligation de signer un pacte de gouvernance, même s’il « reste des progrès à faire ».
Elle constate une efficacité très variable des conférences des maires selon les territoires. « Sur les projets locaux et en particulier le PLU, sujet structurant pour le territoire, il existe beaucoup d’outils et de procédures pour favoriser le travail en commun », ajoute-t-elle, en convenant de fortes différences selon les pratiques locales.
La période clé du début de mandat
Interrogée par Jean-Marie Mizzon sur la façon de « mieux faire comprendre le fait intercommunal aux élus des petites communes », Cécile Raquin insiste sur la période du début de mandat. « L’enjeu y est très important pour la mise en place de relations de travail et de confiance », explique-t-elle. La DGCL évoque aussi l’enjeu de la formation des élus pour « leur faire connaître l’organisation administrative, les services ou la mise en commun d'ingénierie comme les moyens mis à disposition par l’EPCI pour aider les maires à mieux exercer leurs missions ».
Le président de la mission sénatoriale confirme l’importance du début de mandat pour « se concentrer ensemble sur un projet de territoire ». Et d’ajouter : « Une étape fédératrice et capitale pour que les maires ne se sentent pas écartés et marginalisés par la suite ». Sur la nécessité de renforcer encore le travail sur le pacte financier, le pacte de gouvernance et le projet de territoire, en début de mandat, Cécile Raquin dit partager le même constat. « Il faut probablement aller plus loin sur le plan législatif et donner des instructions aux préfets sur l’importance majeure de ces sujets dans leur dialogue avec les élus en tout début de mandat », indique-t-elle
Une demande de stabilité sur les compétences
Concernant les difficultés des élus, la DGCL considère qu’il s’agit avant tout d’une « question de management local car il est possible d'avoir des services communs ou que la commune porte un service commun pour le compte de l'EPCI ou encore d’avoir des autorités hiérarchiques et fonctionnelles différentes au sein de l'intercommunalité. Là aussi, tout dépend des pratiques locales ».
Au-delà, elle souligne « la forte demande de stabilité » en réaffirmant l’absence de revendication de nouveau transfert ou restitution de compétences obligatoires. « Le dernier débat très fort, tranché par le Parlement, concernait le transfert de l’eau et l'assainissement aux communauté de communes, dernière compétence obligatoire, prévue par la loi NOTRe et pas encore entrée en vigueur », constate-t-elle. En revanche, sur les compétences facultatives, elle suggère de « mieux faire connaître les dispositifs de souplesse, qui existent depuis la loi « 3DS », pour autoriser une sécabilité très fine, y compris géographique ». Et d’affirmer : « Ils restent peu utilisés alors qu’ils constituent une réponse à la demande de souplesse et d'organisation locale au sein d'une même intercommunalité ».
Par ailleurs, Cécile Raquin met en avant « les deux mouvements complémentaires » des communes nouvelles et de l'intercommunalité. Et de rappeler la disposition permettant de créer des communes-communautés qui pourrait être à l'avenir « une réponse aux préoccupations des élus de plus peser dans la gouvernance de l’intercommunalité ». Selon la DGCL, « il s’agit de la logique ultime de l'intégration et du travail en commun permettant aux élus d’exercer ensemble toutes les compétences sans avoir besoin de se rattacher à une intercommunalité ».
« Une gestion plus efficace des services publics »
Questionnée par Maryse Carrère sur l'efficience de l'intercommunalité en termes de services publics, la DGCL estime qu’« elle a permis de créer et d’entretenir de grands équipements comme de maintenir bon nombre de services publics grâce à la mutualisation ». « Il s’agit d’un sentiment, admet-elle, car nous n’avons pas de contrefactuel scientifique ». Et de rappeler que « c’est l’idée de départ de l’intercommunalité de porter en commun des politiques et des équipements ». Elle affirme « son efficacité pour tout ce qui nécessite des infrastructures lourdes et des investissements massifs ne pouvant être portés qu’en commun. Le service est indéniablement plus performant que s'il était géré par chacune des communes ».
« Un acteur incontournable de contractualisation »
L’intercommunalité générateur d’économies ? « C'est difficile à dire car cela n’a jamais été directement son objectif qui est plutôt de répondre aux attentes des habitants en termes de services et de biens sur un bassin de vie », répond Cécile Raquin. Quant au reproche fait régulièrement sur l’augmentation des effectifs des communes et des EPCI, notamment par la Cour des comptes, elle plaide pour « la prudence » et réfute l’idée de doublons. Son explication réside dans « l’élargissement du champ de l'action publique pour répondre à de nouvelles attentes des citoyens ».
Par ailleurs, elle admet que pour l’Etat, « le fait d'avoir 1200 intercommunalités permet de conduire des politiques publiques sur les territoires beaucoup plus aisément qu’avec 34 500 communes ». Et d’estimer que « l'intercommunalité est devenue un acteur incontournable pour déployer toutes les politiques publiques via des contractualisations avec les ministères ». Pour autant, Cécile Raquin convient que « l'enjeu est de trouver la bonne articulation avec les maires pour que la politique descende bien jusqu’au dernier kilomètre dans les communes ».
Plus de péréquation entre intercommunalités
Sur le sujet de la péréquation, la DGCL constate un mouvement ces dernières années pour « accroître la dotation d'intercommunalité qui est péréquatrice, et écrêter la dotation de compensation qui, figée sur des valeurs historiques, ne l’est plus du tout ».
Interpellée par Jean-Pierre Mizzon sur la pratique des dotations de solidarité, Cécile Raquin répond qu’elle est « très large avec beaucoup de DSC mises en place ». Et de souligner que cela ne concerne pas forcément les EPCI les plus riches, en citant notamment l’obligation d’une DSC en faveur des communes QPV (quartier politique de la ville). Enfin, elle précise que la pratique des fonds de concours accordés par l'intercommunalité est très répandue pour les investissements.
Pierre Plessis
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