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Ce que contient le projet de loi sur l'extension des prérogatives des polices municipales, déposé au Sénat

Permettre aux policiers municipaux de constater et de verbaliser un certain nombre de délits qui ne sont, aujourd’hui, constatables que par des gendarmes ou des membres de la police nationale. Cela fait des années que cette idée est dans l’air, et que des gouvernements tentent de la concrétiser, sans succès. Pour une raison simple : les policiers municipaux n’ont pas, à la différence des membres des forces de sécurité nationales, de compétence de police judiciaire, si ce n'est constater certaines contraventions. Derrière ce débat, en apparence technique, il y a une question de grande importance : les policiers municipaux agissent sous l’autorité du maire ; mais s’ils se voient dotés de compétences de police judiciaire, ils passeront, au moins en partie, sous l’autorité des procureurs. 

Missions de police judiciaire

Cette question a été au centre du Beauvau des polices municipales, qui s’est tenu l’an dernier, avec la volonté – partagée entre le gouvernement et les associations d’élus – de trouver une solution pour sortir de cette impasse. Par deux fois en effet, dans le passé, un gouvernement avait tenté de doter les polices municipales de pouvoir de police judiciaire : en 2011, dans la loi Loppsi 2, et en 2021, dans la loi Sécurité globale. Et à chaque fois, il avait été censuré par le Conseil constitutionnel. 

La solution proposée dans le projet de loi qui a été présenté la semaine en Conseil des ministres est de placer certains agents des polices municipales sous une sorte de double autorité : celle du maire, lorsqu’ils exercent les missions classiques des policiers municipaux ; et celle du procureur de la République, lorsqu’ils exercent des missions de police judiciaire. Le projet de loi prévoit neuf infractions qui pourraient désormais être constatées et verbalisées par des policiers municipaux et des gardes champêtres, allant de la vente à la sauvette à l’usage de stupéfiants en passant par l’occupation illicite de hall d’immeuble, la conduite sans permis, l’outrage sexiste et sexuel, etc. Il s’agit uniquement d’infractions qui peuvent être constatées en flagrance et immédiatement punies par une amende forfaitaire délictuelle : les policiers municipaux et gardes champêtres n’auraient pas le pouvoir de mener des actes d’enquête. Ils auraient désormais, en revanche, la possibilité de procéder à des relevés d’identité.

Point le plus important : l’attribution de ces nouveaux pouvoirs de police judiciaire ne serait pas de droit, mais impérativement soumise à l’accord du maire. Le projet de loi prévoit que « le maire, après délibération du conseil municipal, peut décider que soit confié aux agents de police municipale et gardes champêtres l’exercice de compétences de police judiciaire ». Ce point était crucial pour l’AMF : dans la mesure où ce dispositif fait perdre au maire une partie de son autorité sur la police municipale, il était impératif que cela relevât d’un choix volontaire du maire. 

Drones et Lapi

Le texte comprend d’autres mesures dont certaines, sont, elles aussi, en réflexion depuis de nombreuses années : notamment l’utilisation de drones par les polices municipales (à titre expérimental pendant cinq ans), pour assurer la sécurité des manifestations et rassemblements de personne, la régulation du transport, le secours aux personnes, la prévention des risques naturels et des atteintes à l’environnement et la protection des bâtiments publics communaux et intercommunaux. 

Autre serpent de mer en  matière de sécurité : le texte propose d’autoriser les polices municipales et les gardes champêtres à utiliser des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi), dont l’usage était jusqu’à présent strictement réservé aux forces de sécurité nationales. L'emploi de la Lapi serait étendu aux infractions de la circulation routière ou aux infractions de dépôts illégaux de déchets. 

Le texte propose également de pérenniser les caméras piétons pour les gardes champêtres, et aborde la question de l’armement de ces derniers, par autorisation nominative du préfet « sur demande motivée du maire » – l’idée étant d’aligner le régime du port d’arme des gardes champêtres sur celui des policiers municipaux, à fin de « cohérence juridique et d’intelligibilité » de la norme, précise le gouvernement. 

Enfin, le texte prévoit de nouvelles possibilités de financement de l’équipement des polices municipales par les régions. Et il étend la mise en commun temporaire des polices municipales et des gardes champêtres pour des « événements exceptionnels » et prévoit la mutualisation des polices municipales et des gardes champêtres au sein d’un même EPCI

Des points qui restent à éclaircir

Lorsque le texte a été présenté devant le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), début octobre, les représentants des élus ont salué le fait qu’il a été élaboré au fil de « riches concertations avec les élus locaux », dont les associations ont été « étroitement associées » à la rédaction. Ces dernières se félicitent que la « judiciarisation » des polices municipales ne puisse se faire qu’au volontariat, si le maire le demande expressément. 

Mais pour autant – chat échaudé craint l’eau froide –, les associations d’élus se veulent prudentes : la mise en œuvre de cette réforme ne doit pas être l’occasion « d’un désengagement de l’État en matière de sécurité dans les territoires ». 

Autre question en suspens : le coût de la réforme. Le Conseil d’État lui-même, dans l’avis qu’il a rendu sur ce texte le 23 octobre, relève que la réforme, là où elle sera appliquée, « entraînera nécessairement des dépenses supplémentaires » pour les communes, et que celles-ci n’ont été que « très partiellement évaluées » par le gouvernement. L’AMF, quant à elle, a relevé devant le Cnen que « l’accroissement des pouvoirs et des responsabilités des policiers municipaux et gardes champêtres risque de susciter une demande de revalorisation salariale », et regretté que ce texte « ne s’accompagne pas d’une compensation financière ». En effet, comme l’a reconnu le Conseil d’État, il ne s’agit pas ici d’un transfert de compétences (qui aurait nécessité une compensation financière) mais d’un « aménagement de compétence ».

Par ailleurs, la réforme va avoir une autre conséquence coûteuse : « Pour prétendre à l’exercice des compétences de police judiciaire », est-il détaillé dans le projet de loi, « le service de police municipale doit être placé sous l’autorité de personnels ayant des fonctions d’encadrement ». Ces cadres devront avoir reçu des formations spécifiques et être habilités par le procureur de la République. Cette condition, constate l’AMF, va « générer des surcoûts en matière de masse salariale pour les collectivités ». 

Enfin, le débat parlementaire devrait permettre d’éclaircir un certain nombre de points qui interrogent encore l’AMF, en particulier le périmètre de la réforme. Le texte prévoit en effet la création de « services de police municipale à compétence judiciaire élargie ». Est-ce à dire que dans ce « service », tous les agents seront dotés de compétences judiciaires, sous l’autorité des « encadrants » mentionnés plus haut, ou seulement certains ? 

Toutes ces questions seront forcément soulevées dans les débats parlementaires – qui commenceront au Sénat, sans que la date d’examen du texte soit pour l’instant fixée. Une indication permet cependant de penser qu’il n’y a aucune chance de voir ce texte adopté avant les élections municipales : dans le calendrier prévisionnel transmis par le gouvernement à l’Assemblée nationale, qui court jusqu’en février, ce texte n’est pas évoqué. Son examen au Palais-Bourbon ne devrait donc pas avoir lieu avant le printemps… à supposer qu’une nouvelle dissolution n’ait pas eu lieu d’ici là. 

Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 3 novembre 2025.


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Référence : BW42842
Date : 3 Nov 2025
Auteur : Maire-Info


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