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Ce que la loi sur les expérimentations va changer pour les collectivités locales

Le principe des « expérimentations » par les collectivités territoriales date de 2003 : lors de la révision constitutionnelle qui avait eu lieu cette année-là, l’article 72 de la Constitution avait été modifié pour intégrer un nouveau paragraphe : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences. » 

Différents types d’expérimentation

Cette possibilité n’a été que très peu utilisée depuis. Attention, on parle bien ici d’expérimentations diligentées par les collectivités locales elles-mêmes. Il faut bien les distinguer des expérimentations menées dans le cadre d’une loi, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, qui dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Contrairement aux expérimentations menées par les collectivités, celles décidées dans un cadre législatif remportent un succès croissant, comme l’a souligné une étude menée l’an dernier par le Conseil d’État : entre 2017 et 2019, pas moins de 103 expérimentations ont été conduites – par exemple, celle sur le port de caméras piétons par les policiers municipaux. 
Pour ce qui concerne les expérimentations menées à l’initiative des collectivités, en revanche, le succès n’est pas au rendez-vous : quatre expérimentations seulement en 17 ans – deux par les régions (modification de la répartition de la taxe d’apprentissage et accès à l’apprentissage jusqu’à 30 ans), une par les départements (le RSA) et une par une cinquantaine de communes et EPCI (la tarification sociale de l’eau). Le Conseil d’État, dans son étude (à la réalisation de laquelle l'AMF a été associée), précise que de nombreuses autres expérimentations sont naturellement menées par les collectivités, mais qu’elles n’entrent pas dans le cadre de l’article 72 dans la mesure où elles ne « nécessitent pas de dérogation à une norme législative ou réglementaire ». 
Rappelons aussi que jusqu’à présent, les expérimentations ne peuvent avoir que deux issues : la généralisation de la mesure testée sur tout le territoire ou l’abandon total, y compris par la collectivité expérimentatrice. 

Pourquoi cela n’a pas marché

Le Conseil d’État s’est penché sur les « freins spécifiques » qui expliquent le peu de succès de la démarche depuis 2003. C’est essentiellement la « lourdeur » des procédures qui est en cause : l’application de l’article 72 de la Constitution demande pas moins de « sept étapes ». Notamment, lorsqu’une collectivité veut entrer dans une expérimentation, elle doit prendre une délibération motivée, la transmettre au préfet, qui doit y adjoindre ses observations avant de la transmettre au ministre de tutelle, lequel vérifie ensuite que les conditions sont remplies, avant de prendre un décret autorisant l’expérimentation… Et ce n’est qu’une partie de la procédure ! 
Par ailleurs, l’issue « binaire » des expérimentations (généralisation ou abandon) a constitué un autre frein, estime le Conseil d’État : « Pourquoi consacrer du temps et des moyens humains et financiers pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer une expérimentation qui risque, in fine, d’être abandonnée ? ». 
Le Conseil d’État a donc conseillé de travailler sur ces deux questions. C’est l’objet de la loi qui a été publiée ce matin. 

Ce qui change

Le texte, adopté définitivement à l’Assemblée nationale le 16 mars, vise donc à alléger les procédures et sortir de la logique « binaire ». Désormais, la longue et complexe procédure décrite plus haut est supprimée, et les collectivités pourront s’engager dans une expérimentation par simple délibération, qui sera publiée au Journal officiel. La nécessité d’autoriser l’expérimentation par décret est levée. Les procédures régissant l’entrée en vigueur des décisions prises dans le cadre de l’expérimentation sont également allégées, ainsi que les conditions du contrôle de légalité du préfet. Néanmoins, ces décisions peuvent toujours être attaquées par le préfet, qui peut en demander la suspension par un tribunal administratif. Si le tribunal administratif ne statue pas sous un mois, la délibération redevient exécutoire. 
Par ailleurs, c’est la fin du principe « généralisation ou abandon ». Comme l’a expliqué la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, en présentant ce texte, « les mesures expérimentales pourront être maintenues dans tout ou partie des collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation et étendues à d'autres. Cette possibilité sera ouverte aux collectivités territoriales justifiant d'une différence de situation qui autoriserait qu'il soit ainsi dérogé au principe d'égalité. » Par ailleurs, « les normes qui régissent l'exercice de la compétence locale ayant fait l'objet de l'expérimentation pourront être modifiées à l'issue de celle-ci ». 
La publication de cette loi prépare le terrain, en réalité, pour le deuxième étage de la fusée, à savoir le projet de loi 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification), qui doit toujours être présenté « mi-mai » en Conseil des ministres. Comme l’expliquait Jacqueline Gourault, « le droit à la différenciation auquel ce projet de loi [sur l’expérimentation] donne corps se traduira par des propositions concrètes que le gouvernement présentera à l'occasion du projet de loi 4D ». Pour que des mesures de « différenciation » deviennent possibles – par exemple le transfert de certaines routes aux départements, à la carte – il fallait que le cadre juridique permettant les expérimentations soit remanié. C’est désormais chose faite. 

Girondins contre jacobins

Cela suffira-t-il à convaincre davantage de collectivités à se lancer dans des expérimentations ? Et combien d’entre elles – dans la mesure où de telles expériences demandent, à tout le moins, une expertise et des capacités d’ingénierie qui ne sont pas à la portée de bien des petites collectivités ? L’avenir le dira. En tous les cas, cette question relance une fois de plus l’éternel débat entre girondins et jacobins – entre partisans d’une législation plus « territorialisée » et défenseurs d’une loi uniforme pour tous. Le gouvernement, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, se dit partisan d’une vision « girondine ». Lors de la discussion du projet de loi, il s’est heurté, lors d’un débat où Danton et Robespierre ont été maintes fois conviés à la barre, à une partie de l’opposition, tenante de la conviction que « partout, le peuple a le même intérêt et les mêmes principes » et que ce texte « porte atteinte aux principes de la République ». Parmi les défenseurs – très majoritaires à gauche comme à droite – du dispositif à l’Assemblée nationale, on voit au contraire dans ce texte « un nouvel acte de confiance adressé aux maires et aux élus locaux ». 
L’opposition à ce nouveau dispositif ne vient pas cependant que de la France insoumise et du Parti communiste français. Dans une tribune publiée dans le journal Libération, le 23 mars, une dizaine d’universitaires spécialistes en droit public et en droit constitutionnel étrillaient le projet de loi, le qualifiant tout simplement de « retour à l’Ancien régime ». « Cette évolution est porteuse de périls pour l’unité de la loi et l’égalité devant celle-ci, écrivent les universitaires. Qui pourra demain se vanter de connaître la loi applicable sur un territoire donné ? De la lisibilité de la loi dépend pourtant, outre sa bonne application, l’adhésion à une communauté civique et un commun sentiment d’appartenance à une unité politique. »
Du côté de l’AMF enfin, on se dit « favorable » à un assouplissement des conditions d’entrée d’une collectivité dans l’expérimentation. Néanmoins, dans l’avis qu’elle a donné sur ce texte, l’association apporte quelques réserves : « La volonté d’étendre le pouvoir réglementaire des collectivités locales nécessite quelques précautions qui tiennent à la capacité pour les communes et les intercommunalités de disposer des moyens suffisants (ingénierie et financiers) pour en porter la responsabilité. Si des évolutions peuvent avoir lieu dans certains domaines de compétence, il faut pouvoir conserver le caractère supplétif de la norme nationale. »
Le débat va maintenant continuer avec l’examen du projet de loi 4D, qui devrait débuter cet été, au Sénat. 

Télécharger la loi. 


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Référence : BW40720
Date : 20 Avr 2021
Auteur : Maire-Info


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