Les conséquences des mandats pour la santé des élus sont méconnues et la santé des élus n’est pas un sujet mineur. En effet, ne faut-il pas être en bonne santé et tenir la forme pour exercer pleinement un mandat réputé exigeant, réclamant grande disponibilité et sens du dévouement ? Dès lors, comment les maires eux-mêmes vivent-ils les interactions entre santé et activités d’élu ? Peut-on parler de fatigue des maires, et dans quel sens : celui d’une simple métaphore, celui d’un épuisement physique et/ou celui d’une lassitude mentale ? Et comment les maires font face à ces enjeux de santé, à ces enjeux pour leur santé ?
Pour étudier ces questions, une enquête a été réalisée par Didier DEMAZIÈRE, sociologue, directeur de recherche au CNRS et au Centre de sociologie des organisations, avec Jérôme PÉLISSE, sociologue, professeur des universités à Sciences Po Paris et chercheur au Centre de sociologie des organisations.
Pilotée par le Centre de Sociologie des Organisations (Sciences Po et CNRS), financée par l’Agence Nationale de la Recherche, soutenue par David Lisnard et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, cette étude a été menée en 2024 auprès des maires de France. Un questionnaire leur a été adressé afin de mesurer leur perception des conditions d’exercice de leur mandat : ses exigences et implications en termes de temps et rythme de l’activité, de conséquences pour les vies familiale, personnelle et professionnelle, de charge mentale et de possibles effets sur la santé.
Près de 5.000 maires ont répondu à l’enquête, dont plus de 3.000 ont rempli complètement le questionnaire. Après contrôle et pondération sur la base du Répertoire National des Élus, l’échantillon est représentatif de l’ensemble des maires en mandat en avril 2024.
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Voici les principaux enseignements :
- La charge de travail des maires se caractérise par des durées hebdomadaires variables mais un poids partagé des horaires atypiques, la fonction de maire impliquant notamment des activités régulières en soirée ou le samedi matin, et plus occasionnellement sur l’ensemble du weekend. Cette disponibilité pour le mandat a pour contrepartie un manque de disponibilité pour les proches.
- L’engagement des maires dans leur mandat est soutenu par des appréciations positives et largement partagées, comme le sentiment de faire quelque chose d’utile pour les autres, la fierté du travail bien fait ou le fait de réaliser et apprendre des choses nouvelles.
- Les multiples activités réalisées dans le cadre du mandat sont valorisées et considérées comme intéressantes, mais elles peuvent aussi être des sources de pénibilité. Cela traduit le fait que la fonction de maire est traversée par une tension majeure entre contraintes ou exigences du mandat d’une part, et engagement et mobilisation dans le mandat, d’autre part.
- Cette tension prend des formes multiples. Cela explique que les maires ont des réponses contrastées sur le fait d’avoir envisagé de démissionner au cours de leur mandat : 6% disent l’avoir envisagé souvent, 39% quelques fois, et 52% jamais. Plus la taille de la commune diminue plus la démission est envisagée même si c’est quelques fois, c’est le cas aussi pour les maires qui ont des charges familiales, comme pour celles et ceux qui ont un emploi parallèle à leur mandat.
- Les maires estiment, de manière massive (83%), que leur mandat est usant pour la santé, ce qui n’est pas étonnant au regard des engagement consentis et des débordements temporels du mandat.
- Cette usure se traduit par la déclaration de troubles du sommeil, de coups de fatigue ou de moments de lassitude, auxquels très peu de maires échappent, et qui sont des états permanents pour un quart à un tiers des maires.
- Les événements à la source de cette usure pour la santé sont multiples mais ils ont en commun de placer le maire en première ligne. Cela traduit la forte personnalisation de la fonction, surtout dans les petites communes dont les maires sont plus nombreux à déclarer des moments de lassitude.
- L’exercice du mandat de maire expose à des mécanismes générateurs de charge mentale ou de stress : être sous pression, devoir penser à trop de choses à la fois, avoir une action pas efficace, ne pas réussir à résoudre certains problèmes, devoir cacher ses émotions. Ces expériences, vécues par la quasi-totalité des maires, sont typiques de conditions de travail comportant des risques psychosociaux.
- La charge mentale est une composante importante de l’expérience des mandats. Pour de nombreux maires, elle est une dimension évidente de leur expérience. Bien souvent, les maires sont renvoyés à eux-mêmes pour gérer cette charge mentale, la supporter, ou s’en accommoder, parfois jusqu’au trop-plein. Pourtant elle est peu partagée et reste un tabou, car en parler peut compromettre la légitimité du maire ou sa capacité à bien exercer sa fonction.
Méthodologie
Une enquête en ligne a été adressée à l’ensemble des maires en mandat au 1er avril 2024 recensés par l'AMF. Le questionnaire auto-administré comptait plus de 60 questions portant sur l’inscription du mandat dans les rythmes quotidiens, ses articulations avec les vies professionnelle et familiale et les incidences de l’engagement politique sur la santé. Certaines questions sont communes avec les enquêtes AMF-CEVIPOF afin de permettre des comparaisons dans le temps, et d’autres sont empruntées aux enquêtes nationales Conditions de travail et risques psychosociaux (CDT/RPS) ce qui permettra à l’avenir de situer les conditions d’exercice du mandat des maires par rapport à diverses catégories de travailleurs comme les cadres. En complément de l’enquête statistique, des entretiens approfondis avec près de 50 maires ont aussi été réalisés.
L’enquête a été conduite entre le 17 mai et le 28 juin 2024, avec 4 relances par mail, et une semaine de relance par téléphone sur les maires de communes de plus de 100.000 habitants. 4.928 maires ont répondu à l’enquête, soit 14,1% de la population (34.910). Nous avons retenu les 3.042 questionnaires complets, soit un taux de réponses exploitables de 8,71%. Nous avons optimisé la représentativité de l’enquête en mesurant, puis en les corrigeant par une méthode de repondération, les biais de non-réponse à partir des données auxiliaires contenues dans le Répertoire National des Élus, en comparant notre échantillon et cette population cible à partir des critères suivants : la strate démographique de la commune, l’âge, le sexe, et la PCS croisée avec la situation d’activité. L’administration de l’enquête, la préparation des bases statistiques et les premières exploitations ont été réalisées par Damien GOMES, Lucas LAM et Lise ROTOLO, sous la supervision des auteurs du présent document.
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