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Entretien avec Constance de Pélichy, maire de La Ferté-Saint-Aubin et co-présidente de la commission Aménagement de l’AMF : « L’objectif ZAN est angoissant pour les élus »

Entretien avec Constance de Pélichy, maire de La Ferté-Saint-Aubin et co-présidente de la commission Aménagement de l’AMF : « L’objectif ZAN est angoissant pour les élus »

 

Le sujet du zéro artificialisation nette (ZAN) figure parmi les premières inquiétudes actuelles des élus locaux. Constance de Pélichy, co-présidente de la commission Aménagement, urbanisme, habitat et logement de l’AMF, dénonce « une marche forcée ». « Si les objectifs de sobriété foncière peuvent être compris, la façon d’y parvenir ne l’est pas du tout », lance-t-elle. La maire de La Ferté-Saint-Aubin (45) et 1ère vice-présidente de la communauté de communes des Portes de Sologne pointe le manque de pédagogie et d’aide envers les élus, les contradictions entre la loi et les décrets, un calendrier trop court, l’absence de retour des conférences des Scot sur la territorialisation de l’objectif ZAN ou la priorité encore trop souvent donnée aux projets urbains. 

 

Fixé à l’horizon 2050 par la loi « Climat » du 22 août 2021, l’objectif du ZAN se traduira par une réduction par deux d’ici dix ans du rythme de consommation d’espace. Au-delà de l’objectif très ambitieux et d’effets en cascade, les élus reprochent aux conférences des Scot (schémas de cohérence territoriale) et aux régions de ne pas les tenir au courant. Le calendrier est serré avec un rendu des propositions des conférences des Scot le 22 octobre prochain. L’inquiétude, teintée d’une certaine colère, a franchi un pas supplémentaire avec la publication fin avril de deux décrets sur le ZAN (objectif ZAN inscrit dans les Sraddet, nomenclature de l’artificialisation des sols). L’AMF a décidé de saisir le Conseil d’Etat sur ces deux textes, notamment au motif de la fragilisation juridique des documents de planification (PLU, Scot).

 

Comment jugez-vous l’objectif de sobriété foncière ?

Il est vrai que nous avons été très loin dans le gaspillage de certaines terres avec le développement de beaucoup de plateformes logistiques, de centres commerciaux ou de lotissements. La prise de conscience d’une autre façon de consommer le foncier est nécessaire. Si les objectifs peuvent être compris, la façon d’y parvenir ne l’est pas du tout. La charrue est mise avant les bœufs avec des objectifs très compliqués à atteindre et sans outil pour y parvenir, ce qui suscite légitimement la colère des élus.

Sous le précédent gouvernement, il n’y a eu aucun dialogue possible sur ce sujet. En outre, dans les deux décrets sur le ZAN, il y a même des contradictions avec la loi « Climat » ! Bref, on ne sait plus dans quelle direction aller ! Faut-il suivre la loi ou le décret ? Tout cela contribue à un contexte très difficile et angoissant pour les élus. Une des conséquences du ZAN s’observe dans la spéculation sur le prix du foncier. A cela s’ajoute la hausse du coût de la construction. Comment allons-nous pouvoir créer assez de logements dans l’avenir ? Cet enjeu essentiel n’est pas pris en compte.

 

Quel est votre principal reproche envers la nouvelle réglementation ?

Sa temporalité apparaît totalement déconnectée de celle de l’aménagement du territoire qui s’appuie sur une perspective de 15 à 20 ans. Elaborer un PLU ou un Scot demande au moins trois ou quatre ans auxquels il faut ajouter le temps de mettre en œuvre les opérations d’aménagement. Nous avons tous des PLU ou des Scot adoptés ou en cours d’élaboration, des opérations d’aménagement dans les tuyaux. Tout cela s’effectue sur un temps long mais au même moment on nous donne juste six mois pour revoir notre copie. C’est totalement contradictoire !

Je prends l’exemple de mon territoire, ayant adopté son Scot en 2021 et préparant son PLU. Nous travaillons sur un document déjà obsolète ! Comment préparer la cartographie de notre PLU-I sans savoir in fine le foncier dont nous disposerons ? Ce constat de temporalités contradictoires est partagé par tous les élus. Il y a aussi le coût très important des études obligatoires d’aménagement. Tout cela rend la situation inacceptable.

 

Comment réagissent les élus ?

Une totale incompréhension sur la manière d’atteindre les objectifs et une colère vis-à-vis de la méthode employée qui s’apparente à une marche forcée. On nous dit de diviser par deux la consommation foncière par rapport aux dix dernières années mais de quoi parle-t-on sachant que la nomenclature des sols est encore sujette à interprétation ? Cela change tout ! De plus, beaucoup de questions restent en suspens sur la territorialisation de cette consommation foncière.

La mise en place brutale de l’objectif ZAN nourrit une forte inquiétude comme l’a bien montré la réunion d'échanges entre les présidents d'association départementale (PAD) sur le ZAN et les conférences des Scot, qui s’est tenue à l’AMF le 23 mai. Ils déplorent aussi le manque d’écoute de l’Etat et une forme de rivalité rural-urbain. Avec la crainte de voir le plus gros de la consommation foncière captée par les métropoles et les grandes villes qui concentrent, en outre, la plupart des grandes friches à requalifier. Les bourgs ruraux estiment ne pas pouvoir combattre à armes égales pour se développer à l’avenir et craignent ainsi de disparaître. Par ailleurs, les communes ayant fait preuve de sobriété foncière ces dernières années ont peur d’être doublement pénalisées en disposant d’encore moins d’espaces à consommer sachant que le référentiel se fixe sur les dix dernières années. L’attitude de l’Etat apparaît incohérente en continuant de favoriser la concentration de l’activité économique dans les territoires urbains dynamiques.

 

Ne devrait-il pas jouer un rôle de régulateur ?

Oui mais l’Etat n’assure pas du tout cette mission en laissant aux collectivités le soin de s’entendre entre elles sur des critères de pondération pour territorialiser la consommation foncière. Mais c’est extrêmement compliqué pour les territoires ruraux qui se retrouvent confrontés à une agglomération. Par exemple, si celle-ci dispose de beaucoup de friches, comment lui dire qu’elle n’aura alors plus aucun hectare pour urbaniser ? Elle n’acceptera jamais ! S’entendre sur des enjeux aussi cruciaux reste impossible. Pourtant, la survie de certaines communes est en jeu.

Dans les territoires, il n’est pas dit qui doit réunir et animer la conférence des Scot et qui décide in fine. Cela suscite un certain malaise. A l’échelle de la région, il se peut que les structures porteuses de Scot ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la répartition de la consommation foncière avant la date du 22 octobre. Alors que se passera-t-il ? Nous n’avons pas réponse aujourd’hui. Faute d’accord, tout le monde sera-t-il à 50% ou le préfet prendra-il ses ciseaux en décidant tout seul ? Ou bien est-ce la région qui prendra seule la décision dans le cadre du Sraddet ?

 

Qu’attendez-vous des conférences des Scot ?

Encore très récentes, il leur faut du temps pour s’organiser. De plus, les présidents de structures porteuses de Scot n’ont pas l’habitude de ce type d’exercice, ce qui explique l’absence de retour des présidents de Scot vis-à-vis des élus dans la plupart des territoires. Mais nous arrivons à un moment crucial où les décisions vont se prendre. C’est pour cela que j’insiste auprès de mes collègues et des PAD pour qu’ils demandent à leurs présidents de Scot de réunir les élus afin d’établir une feuille de route sur la conférence des Scot. Ils doivent tenir une conférence des maires en amont et en aval de la prochaine conférence des Scot et rendre compte auprès des élus sur ce qu’ils ont négocié et pu obtenir ou pas.

 

Comment cela se passe-t-il dans votre territoire ?

Nous sommes dans une démarche singulière et peu fréquente. Situés dans l’aire d’attraction d’Orléans, trois Scot – deux reprenant les PETR existants et le nôtre correspondant à notre communauté de communes avec juste sept communes – sont organisés en inter-Scot pour travailler sur une feuille de route commune. Pour cela, nous sommes aidés par l’agence d’urbanisme de l’Orléanais à laquelle nous adhérons tous. Cela fut un peu long à mettre en place mais nous sommes en train de parvenir à un résultat positif. La dernière réunion du 7 juin pour les territoires de mon Scot s’est bien passée. 

 

Comment jugez-vous la consultation lancée par le Sénat sur le ZAN jusqu’à la fin juin ?

Les rapports du Sénat sont reconnus pour leur qualité tant au niveau du diagnostic que de la prospective. Cette consultation et le travail qui suivra sont donc très pertinents. Mais j’ai peur du sort réservé par le gouvernement à la proposition de loi qui pourrait en découler. En tout cas, il s’agit d’un acte politique fort de la part du Sénat pour démonter qu’une alternative est possible.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

 

Référence : BW41287
Date : 27 Juin 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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