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Entretien avec Emmanuel Sallaberry : « L’attaque envers les collectivités sur le déficit public est un mauvais procès »

Début septembre, Bruno Le Maire, ministre démissionnaire de l’Économie et des finances, a présenté une étude de Bercy soulignant un déficit de 16 milliards d'euros des collectivités locales. Selon le maire de Talence (Gironde, 45 225 habitants) et co-président de la commission des finances de l’AMF, cette projection est « infondée » et relève d’un « mauvais procès ». Emmanuel Sallaberry tient à remettre les pendules à l’heure en rappelant les nombreuses dépenses imposées par l’État et la dette maîtrisée des collectivités. Il pointe aussi la dépendance financière croissante des collectivités vis-à-vis de l’État « qui nous l’a imposé et maintenant nous le reproche ». En outre, le maire de Talence met en garde contre les risques de la « machine anti-élus ».

Comment réagissez-vous à la mise en cause des collectivités dans la dégradation du déficit public par une étude de Bercy ?

Tout d'abord, il ne s’agit pas d’un constat mais d’une simple projection de déficit des collectivités dont on ne connaît absolument pas les tenants et les aboutissants. Une projection infondée dont on ne connaît pas la réalité et sur laquelle, nous ne sommes évidemment pas d'accord sur le fond. A cela s’ajoutent plusieurs contre-vérités. Pour preuve, depuis 1995, le poids des collectivités dans le déficit global est passé de 9% à 8,9%. Cette part n’ayant pas bougé depuis trente ans, cela montre bien que la démonstration et les accusations sont fausses. Sur la même période, l’État a doublé le déficit public qui a grimpé de 3,6% du PIB en 1995 à 5,5% du PIB en 2023, alors que le solde des administrations publiques locales est toujours resté sous les 0,5% du PIB.

En réalité, l’État nous a rendu de plus en plus dépendants vis-à-vis de lui, notamment à travers la suppression de la taxe d'habitation qui n'a été que partiellement compensée, et aujourd’hui, il nous reproche cette dépendance. C’est tout de même fort de café ! Il nous fait un mauvais procès car il se plaint d’une situation qu'il a lui-même organisée en se privant, en outre, par sa politique de plusieurs dizaines de milliards d'euros de recettes fiscales. Son discours sur les finances locales constitue une tarte à la crème qu’on nous ressort chaque année, suivie d’une séance de câlinothérapie lors du congrès de l’AMF.

Que pensez-vous du chiffre évoqué de 16 milliards d’euros de déficit ?

Ce chiffre de 16 milliards d’euros de déficit des collectivités ne repose sur rien. En outre, il ne pèse pas bien lourd par rapport aux 173 milliards de déficit de l’État. C’est donc l’arbre qui cache la forêt avec une énième attaque envers les collectivités, aussi désagréable que dénuée de fondement. Le malade indiqué n'est pas le bon et, en plus, on se trompe de traitement.

Si l’État va mal, nous irons mal aussi forcément. Il va y avoir des coupes sombres et nous allons en pâtir. Nous ne savons pas s’il va décider de nous donner demain moins de DGF, une nouvelle fois, ou de nous imposer tel ou tel nouvel effort. La situation apparaît vraiment inquiétante avec une totale incertitude sur le budget 2025.

Quelle est la situation des dépenses de fonctionnement ?

Sur cette quatrième année de mandat, on paye et on va continuer de payer les choix de l’État. Aujourd’hui, sur une année pleine, l’ensemble des mesures catégorielles décidées pour les fonctionnaires augmentent nos dépenses de plus de deux milliards d’euros car elles n’ont pas été compensées. Aux hausses du point d’indice, il faut ajouter, depuis le 1er janvier, des points supplémentaires pour les catégories B ou l'impact des mesures du Ségur de la santé. De plus, sur des métiers très en tension, comme les techniciens ou les emplois du soin, on constate un renchérissement avec des coûts beaucoup plus élevés de recrutement et de déroulement de carrière.

Si nous avons chaque année de nouveaux fonctionnaires à recruter, ce n’est pas par plaisir mais suite à des transferts de compétences de l’État comme par exemple la délivrance des passeports et des cartes d'identité. Nous rencontrons aussi des besoins importants sur la mise en place du service public de la petite enfance, en particulier pour assurer l’accueil.

L’autre augmentation importante des dépenses s’explique par les hausses des charges dues à l’inflation qui représentent quelque 2,3 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année. Je pense en particulier au coût de l'énergie qui a quasiment doublé. Il ne faut pas non plus oublier le poids des normes supplémentaires votées sur les trois dernières années que l'AMF a estimé à 800 millions d'euros. Et cela s’ajoute à la longue liste des dépenses imposées par l’État aux collectivités.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Je pense aux budgets verts obligatoires dans certaines strates de collectivités, dont je fais partie. L’année prochaine, je vais devoir faire une certification de ce budget vert pour un coût de 40 000 euros. Il s’agit typiquement du genre de mesure dont on se passait très bien auparavant et qui ne change rien à l'action publique. C’est l’énième gadget inventé par l’État qui va ensuite nous reprocher l’augmentation de nos dépenses de fonctionnement. Un comportement agaçant et quasiment pavlovien en se défaussant sur les communes. On nous donne des objectifs complètement irréalistes. L’État est vraiment le champion toutes catégories de la complexification.

Pourquoi les recettes des collectivités ont-elles baissé ?

S’agissant des recettes, le marché immobilier est atone avec des situations très disparates du nord au sud de la France. Globalement, nous avons beaucoup perdu avec un effondrement des droits de mutations à titre onéreux (DMTO). Dans ma commune, la perte de DMTO atteint jusqu’à 40%. De plus, la DGF progresse moins que l’inflation. Par ailleurs, le mouvement de nationalisation des impôts locaux a réduit les marges de manœuvre des collectivités avec pour conséquence une baisse des recettes.

Si nos recettes ont été à un moment globalement dynamiques, grâce notamment à des augmentations des bases, la situation n’est plus la même aujourd’hui. Une partie est atone comme je disais et les départements et les régions, en difficulté, nous aident moins car ils ne le peuvent plus. Malgré ce contexte difficile, je tiens à rappeler que pas moins de 80% des collectivités n'ont pas augmenté leur taux de fiscalité locale.

S’agissant de notre dette, elle est courte, autour de cinq ans en moyenne, à la différence de l’État qui s'endette sur plusieurs dizaines d’années. Notre dette est maîtrisée et saine en n’étant pas sur des marchés risqués.

Etes-vous inquiet du ralentissement de l’investissement local ?

Face à tous les renchérissements, nous parvenons à faire plus avec moins. Mais on est arrivé au bout de l’exercice de la réduction des dépenses. Les communes ont tenu en retirant là où c’était possible. Quand un maire arrête l’éclairage de minuit à 6h, il ne peut plus ensuite aller bien loin. C’est pour cela que l’AMF alerte sur le ralentissement considérable de l’investissement, assuré en grande partie par le bloc communal. Un investissement indispensable et de surcroît souvent imposé par l’État sur l’accessibilité, la transition écologique ou encore la RE 2020 (réglementation environnementale).

Il faut cinq à dix ans pour mener à bien le moindre projet structurant d’une ville, qu’elle soit petite ou grande. Dans le contexte actuel, on nous dit d’arrêter au milieu du gué. Pour les plus petites communes, ces coups de poignard sont beaucoup plus difficiles à vivre car elles n’ont aucune marge de manœuvre. Les démissions de maires sont dues à des problèmes de violence mais aussi à une certaine forme de désespérance. Faisons gare à ce climat délétère et à la machine anti-élus. Les communes représentent le dernier rempart humain face à l'isolement. Elles sont sur tous les fronts, notamment pour accompagner les personnes âgées ou organiser le retour à l’école. Ce « je t'aime, moi non plus », en félicitant les maires puis en les critiquant sur leur gestion, que l’on observe depuis des années, m'apparaît aussi grave qu’insupportable.

 

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

Photo ©Ville de Talence

 

 

Référence : BW42314
Date : 16 Sep 2024
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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