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Entretien avec Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay (Loiret) : « Il faut rouvrir la prise de compétence AOM des intercommunalités »

A la date butoir du 31 mars 2021, fixée par la LOM, seulement 53% des communautés de communes avaient pris la compétence autorité organisatrice des mobilités (AOM), la région devenant pour les autres AOM par substitution. « Un bilan très décevant » pour Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay (Loiret) et co-président de la commission « Transports, mobilités, voiries » de l'AMF. Il continue de demander la réouverture de la prise de compétence AOM locale et plaide pour « des financements équitables pour désenclaver les territoires peu denses et les zones blanches ». Frédéric Cuillerier attend beaucoup de la conférence de financement, devant être organisée en mai par le ministre des Transports, et défend une réelle gouvernance entre tous les territoires.

Continuez-vous de penser que la loi d'orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 constitue une bonne loi ?

Oui car son objectif général était d’améliorer concrètement la mobilité au quotidien de tous les Français, et cela dans tous les territoires, y compris les moins denses. Le travail sur cette loi a commencé en 2018 avec en toile de fond la crise des Gilets jaunes ayant démarré sur l’absence de transports collectifs dans certains territoires. Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, avait associé étroitement l’AMF à la préparation de la loi qui a mis en place trois moyens pour les intercommunalités. Tout d’abord, la faculté de prendre la compétence autorité organisatrice des mobilités (AOM) sur la base du volontariat, avec l’objectif qu’elle soit prise dans les territoires peu denses et les zones blanches. Autre faculté : la mise en place du versement mobilité (VM) pour les intercommunalités AOM créant un service de transport collectif régulier. Enfin, la faculté de constituer des syndicats type loi SRU pour regrouper les EPCI d'un même bassin de vie, avec des territoires denses et peu denses, et favoriser la solidarité financière.

Seulement 53% des communautés de communes ont pris la compétence AOM au 31 mars 2021. Comment jugez-vous ce résultat ?

Il est très décevant, sachant que la LOM visait à couvrir l'ensemble du territoire. La période d'ouverture de la compétence a été trop courte et trop rapprochée des municipales et surtout des élections des instances intercommunales. Des EPCI fraîchement élus se sont interrogés sur l'opportunité de prendre la compétence AOM, ne sachant pas trop les conséquences financières. En plus, la période Covid n’a pas aidé. A cela s’ajoute la pression financière de certaines régions sur les EPCI ayant pu les conduire à ne pas se lancer. Autre déception : le très faible nombre de créations de syndicats type loi SRU.

Il s’agit donc d’un bilan plutôt sombre ?

Oui et non. Faute de transports collectifs adaptés et qualitatifs, l’automobile reste dominante en assurant encore 80% des déplacements. La « révolution des mobilités », voulue par la LOM, n’est pas réellement engagée. Mais malgré les disparités de prises de compétence et les difficultés de financement, les EPCI, y compris dans les territoires peu denses, se sont résolument engagés dans l’amélioration des mobilités du quotidien. Ils ont pris le sujet à bras le corps grâce à des initiatives innovantes, en se substituant plus d’une fois aux carences de l’Etat.

Ainsi, 12 000 km supplémentaires de voiries douces ont été réalisés en quatre ans par le bloc communal. On observe aussi un développement très important du covoiturage comme, par exemple, dans mon intercommunalité avec l’économie de 170 000 km de déplacements en un an. Autre illustration : beaucoup de PLU-I ont intégré un schéma de mobilité de déplacement actif.

Quelles sont les demandes de l’AMF ?  

Depuis quatre ans, nous demandons aux gouvernements successifs la réouverture de la prise de compétence AOM pour les intercommunalités. Sans réponse favorable jusqu’à présent faute d’avoir trouvé une opportunité législative. Les différents ministres rencontrés évoquent le risque d’un cavalier législatif qui serait rejeté par le Conseil constitutionnel. Le refus porte donc plus sur la forme juridique que sur le fond. Il existe donc un espoir de trouver le bon moment et le bon texte pour rouvrir la prise de compétence. Mais pour cela, il faudra le faire en accord avec les régions. La condition de la réussite passe par un travail en harmonie avec les différents échelons de collectivité.

Constatez-vous une aggravation sur les financements ?

Nous regrettons, depuis plusieurs mois, une concentration des financements sur les transports à haut niveau de service, relevant de stratégies nationales. De plus, l’adoption en loi de finances d’un dispositif de versement mobilité additionnel au niveau régional, avec une redistribution limitée aux AOM locales selon un critère démographique, risque encore d’accentuer les fractures territoriales entre espaces urbains et ruraux.

Par ailleurs, quand il est mis en place par les AOM locales, le versement mobilité reste insuffisant. Certains EPCI hésitent à y recourir pour ne pas créer de nouvelles charges sur les entreprises de leur territoire. Dans le PETR Pays Loire-Beauce que je préside, regroupant deux EPCI ayant pris la compétence AOM, ceux-ci n’ont pas institué le VM pour cette raison.

Une conférence de financement doit bientôt se tenir. Qu’en attendez-vous ?

Le ministre des Transports devrait l’organiser au mois de mai. Nous en attendons des financements équitables afin de désenclaver les territoires peu denses et les zones blanches, sans accès suffisant à des services adaptés aux besoins de leurs habitants. L'absence d’un dispositif dédié freine considérablement les AOM locales.

A l'échelle nationale, il faut créer une conférence des territoires sur les mobilités en associant les régions, les départements, les intercommunalités et les communes. La réponse à trouver ne doit pas opposer les AOM régionales, urbaines et rurales.

Vous insistez sur le besoin d’améliorer la gouvernance. Pourquoi ?

Il est essentiel de travailler en étroite concertation avec les régions. Mais aussi avec les départements (qui gèrent notamment 34% des voiries) car la condition de la réussite passe par un travail en harmonie avec les différents échelons de collectivité.

En pratique, il faudrait mettre en place un dispositif de concertation permanent à l'échelle de la région. Cela devrait démarrer au niveau des SERM [services express régionaux métropolitains], l’AMF défendant la desserte des territoires peu denses et ruraux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous avons fait passer le message auprès de la Société du Grand Paris, chargée d’essaimer les SERM sur le territoire national, qui semble avoir été entendu. Une participation effective des communes et des intercommunalités à la définition des SERM est indispensable.

A l'échelle du bassin de vie d'Orléans Métropole (420 000 habitants, bien au-delà des 200 000 habitants de la seule métropole), nous avons créé une forme de conférence des territoires qui associe toutes les collectivités. L’AMF met en avant cette échelle du bassin de vie comme potentiel de concertation et de travail sur les mobilités. Pourtant prévu par la LOM, cet outil demeure sous-exploité.

Les syndicats de type loi SRU constituent-ils une solution ?

En effet, ils pourraient être le prolongement de ces conférences des territoires. On peut aussi imaginer d’autres types de coopérations laissant une liberté aux territoires de conventionner entre eux. Les EPCI et les communes seraient intégrés à l'élaboration des conventions afin de ne pas oublier les zones peu denses et blanches qui appartiennent elles aussi au bassin de vie. Leurs habitants travaillent souvent dans des territoires denses et contribuent à leur essor.

Etes-vous plutôt optimiste pour l’avenir ?

A l’AMF, nous voulons rester confiant. Malgré les disparités dans la prise de compétence AOM, les manques de financement, les difficultés financières de l'Etat comme de la SNCF, les intercommunalités, y compris dans les territoires peu denses, se sont mobilisées. Elles ont fait un travail énorme mais sans avoir nécessairement les moyens d'aller au bout de leurs actions. Malgré un Etat souvent défaillant, elles ont su développer un mouvement positif. Il leur manque juste un vrai coup de pouce financier, d'où toute l’importance de la conférence de financement à venir. Nous y mettrons en avant le droit universel d’accéder à une mobilité de qualité qui doit reposer sur les principes d'égalité de traitement et de justice territoriale.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

Photo : © DR

Référence : BW42527
Date : 10 Mars 2025
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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