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Entretien avec Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin : « Les quartiers populaires ne doivent pas être oubliés »

Entretien avec Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin : « Les quartiers populaires ne doivent pas être oubliés »

Dans cette étrange campagne présidentielle, certaines thématiques restent peu abordées voire pas du tout. La politique de la ville en fait partie, à l’exception de quelques rares propos souvent outranciers. En réaction, six associations d’élus (1), dont l’AMF, ont décidé d’interpeller les candidats en réalisant une contribution commune sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) – un exercice inédit – qu’elles ont présenté ensemble le 28 mars. Tout en constatant des progrès réels ces dernières années, souvent grâce à la mobilisation des maires, elles demandent désormais d’aller plus loin en renforçant les actions existantes et en initiant de nouvelles, avec une méthode qui associe étroitement les élus. Entretien avec Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin (Rhône) et co-présidente de la commission « politique de la ville et cohésion sociale » de l’AMF.

 

Quel bilan dressez-vous de la politique de la ville durant ce quinquennat ?

Cela a mal commencé à l’été 2017 avec l’annonce de la baisse des APL [aides personnalisées au logement] et de la suppression des contrats aidés. Une centaine de maires ont lancé, en octobre, l’appel de Grigny pour défendre les quartiers populaires face aux baisses de crédits du gouvernement et l’absence de démarche interministérielle. Tout en reconnaissant que des choses sont faites en matière de rénovation urbaine – la partie la plus visible – les maires regrettent que les autres politiques publiques (emploi, santé, soutien aux associations…) ne soient pas assez prises en compte.

Ensuite, il y a eu la remise du rapport Borloo, en avril 2018, se voulant global et avec une vraie vision d’avenir. Le rejet de ce rapport a suscité une incompréhension même si par la suite beaucoup des mesures préconisées seront mises en œuvre. A partir de ce moment-là, un dialogue a été instauré avec de nombreuses rencontres avec les maires.

Comment cela s’est-il passé durant la crise sanitaire ?

Il y a eu une vraie réactivité de la part de l’Etat avec Julien Denormandie [alors ministre de la Ville et du logement] travaillant avec un groupe de maires. Cela a permis de décider rapidement de dispositifs comme le chèque alimentaire ou les vacances apprenantes. Face à une situation d’extrême urgence, il y a eu un nouvel appel de 200 maires en novembre 2020 demandant notamment de flécher 1% du plan de relance vers les QPV. Viendra ensuite un Comité interministériel à la ville en janvier 2021 à Grigny reprenant cette proposition mais aussi une série d’actions et la création d’un comité de territoire dans chaque département afin de suivre le dernier km.

Comment le sujet des quartiers est-il traité dans la campagne ?

Je regrette que les candidats ne s’expriment pas sur la politique de la ville. A cela s’ajoute l’impensé que beaucoup d’argent aurait été dépensé pour les quartiers mais pour peu de résultats. Il existe pourtant des urgences comme en matière de logement avec le risque d’explosion sociale si on ne fait rien. Par ailleurs, il faut mettre fin à tous ces appels à projets, beaucoup trop nombreux et qui créent de la concurrence entre les territoires. Dans une période de finances contraintes, cela engendre, en plus, des dépenses supplémentaires.

Pour toutes ces raisons, six associations d’élus (1) ont décidé de rédiger une contribution commune sur la politique de la ville, intitulée « Pour un pacte de confiance durable entre l’Etat et nos collectivités ». Un exercice inédit qui vise à interpeller les candidats à la présidentielle sur la situation des quartiers populaires et l’impératif d’y mener des politiques républicaines fortes, pour accompagner la relance et faire en sorte que nul ne soit laissé sur le bord du chemin. Nous reconnaissons que des progrès réels ont été accomplis ces dernières années mais il faut passer à la vitesse supérieure, notamment à cause des conséquences économiques et sociales de la pandémie sur nos habitants. De façon constructive, la contribution décline pour chaque politique publique, ce qui marche, ce qu’il faut améliorer et là où il faut aller plus loin.

Pourquoi l’éducation constitue-t-elle une de vos premières priorités ?

Ce sont les quartiers qui comptent la population la plus jeune en France. Il s’agit d’une chance. Les questions d’éducation et de formation sont donc majeures car elles sont au centre de la promesse républicaine d’égalité. La réussite éducative souffre d’incohérences de la superposition des zonages ainsi que de l’instabilité des dispositifs. Il faut reconnaître l’initiative positive du dédoublement des classes en réseaux d'éducation prioritaire (REP et REP +) mais il est nécessaire de l’amplifier puis de la généraliser. Même jugement positif sur le dispositif des Cités éducatives, que nous avions proposé, qu’il faut à présent évaluer pour ensuite le généraliser. Je pense aussi aux dispositifs de « Vacances apprenantes » et « Quartiers d’été », mis en place rapidement durant la crise sanitaire, qu’il faut poursuivre en pérennisant les financements pour les collectivités. Nous sommes inquiets sur la possibilité d’une troisième édition cette année.

Faut-il également développer de nouveaux dispositifs ?

Je pense à la nécessaire convergence des géographies de l’éducation prioritaire et de la politique de la ville, la prise en compte les écoles primaires dans la géographie de l’éducation prioritaire pour mettre fin aux « écoles orphelines » ou au renforcement des liens entre le premier et le second degré pour favoriser les continuités éducatives.

Compte tenu de l’importance du nombre de jeunes dans nos quartiers, il faut aussi réfléchir à une compensation des surcoûts induits par les dynamiques démographiques des communes populaires, avec des dépenses d’investissements et de fonctionnement importantes pour le périscolaire et l’extrascolaire. Nous devons aussi continuer d’investir massivement pour réduire l’illettrisme et l’illectronisme, vu les besoins très forts mis en évidence durant la crise sanitaire.

Dans votre contribution commune, sur quelles autres politiques publiques insistez-vous ?

Toutes ! Emploi, insertion, santé, sécurité, justice, prévention de la délinquance, transition écologique et sociale, logement, cadre de vie, mobilités… Pour ces dernières, il faut impérativement qu’on est une offre de transports collectifs adaptés au travail souvent en horaires décalés de nos habitants. Je rappelle qu’ils étaient en première ligne durant la crise et qu’ils ont tenu le pays sur de nombreuses activités. En matière de logement, il faut notamment que chaque programme ANRU soit accompagné d’une stratégie de peuplement partagé par tous les acteurs, en particulier les maires, afin d’éviter que des politiques d’attribution mal pensées ou appliquées ajoutent de la précarité à la précarité, avec les effets-ghettos connus. Sur la santé, le renforcement nécessaire de la lutte contre les déserts médicaux concerne tout autant les quartiers que les territoires ruraux. En matière de sécurité, il faut clarifier la répartition des compétences et d’engagement des communes dans les contrats de sécurité intégrée qui ne doivent pas conduire à une rupture d’égalité pour nos quartiers. Ces contrats ne doivent pas être un moyen pour l’Etat de se défausser en partie sur nous en conditionnant le renforcement des effectifs de police à un accroissement systématique des policiers municipaux.

Quelle place donnez-vous à la démocratie participative ?

Sur toutes ces politiques publiques, il est essentiel d’associer les habitants afin de lutter contre l’abstention qui reste très élevée dans nos quartiers. Ce décrochage démocratique, amplifié par la crise sanitaire, est inquiétant. Il faut impérativement aller vers les personnes, répondre à leurs problèmes en trouvant des solutions avec elles, mais aussi leur expliquer ce qui existe déjà. C’est le seul moyen de récréer de la confiance.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

  1. AMF, France urbaine, Villes de France, Ville & Banlieue, APVF (Association des petites villes de France) et AMIF (Association des maires d’Ile-de-France).

 

 

Référence : W41170
Date : 4 Avr 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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