Entretien avec Isabelle Le Callennec, maire de Vitré, présidente de Vitré Communauté et coprésidente du groupe de travail Logement de l’AMF : « Logement : il faut faire confiance aux territoires »
Coup de frein sur la construction de logements neufs, baisse de 25% des permis de construire, remontée des taux des crédits immobiliers, renchérissement du prix du foncier… « La situation n’est pas bonne et pour éviter que le logement soit la bombe sociale de demain, nous devons travailler étroitement avec les élus locaux », a reconnu une nouvelle fois Olivier Klein, le ministre délégué au Logement et à la Ville, devant la délégation aux collectivités du Sénat, le 13 avril. Parmi les solutions proposées : la décentralisation du logement. Isabelle Le Callennec, maire de Vitré (35), présidente de Vitré Communauté, membre du bureau de l’AMF et coprésidente de son groupe de travail Logement et Habitat, est d’accord pour davantage de décentralisation mais à certaines conditions.
Etes-vous favorable à plus de décentralisation de la politique du logement ?
Tout d’abord, il faut que la décentralisation et la déconcentration aillent de pair car les deux sont nécessaires. L’Etat doit aussi transférer les moyens financiers et humains. La déconcentration porterait sur les DDTM (directions départementales des territoires et de la mer) qui sont nos interlocuteurs privilégiés dans le domaine de l’habitat et du logement. Plus de décentralisation signifierait aussi des relations différentes des maires et des présidents d’intercommunalités avec de grandes agences comme l’ANAH, l’ANRU ou la Caisse des dépôts. Il faut faire confiance aux territoires et organiser les services de l’Etat en conséquence.
Le rôle du gouvernement est de créer un environnement favorable à la construction et la rénovation énergétique de logements : le crédit immobilier, les prêts à taux zéro, les crédits d’impôt sur la RE (réglementation environnementale) 2020, MaPrimeRénov' avec plus de moyens… Cela signifie un environnement financier et fiscal porteur et incitatif mais aussi le soutien aux investisseurs, qu’ils soient institutionnels, privés ou bailleurs sociaux.
Quelle serait la bonne échelle d’intervention ?
La région constituerait le bon échelon pour mesurer les besoins de construction et de rénovation. Au niveau infra, les intercommunalités, avec l’outil du plan local de l’habitat (PLH), pourraient évaluer au plus près les besoins en matière de logements neufs, de rénovation énergétique du parc existant, du besoin de logement des jeunes… Enfin, les maires continueraient d’avoir un rôle important en signant les permis de construire.
Par ailleurs, nous souhaitons une liberté laissée aux communes et aux EPCI lors de l’élaboration des PLH, en lien avec les préfets, pour ajuster la cartographie des zonages (Pinel, Denormandie, TPZ, TVA à 5,5% autour des quartiers politique de la ville…) et leurs normes techniques.
Sur les différents zonages, avez-vous d’autres demandes ?
Il faut plus de dialogue entre l’Etat et la commune ou l’EPCI. Quand l’Etat intègre ou exclut un territoire d’un zonage administratif, il devrait y avoir un dialogue contradictoire. C'est ce que nous avons obtenu pour Vitré Communauté concernant le « Pinel Breton ».
L’AMF demande la décentralisation des zonages et des outils d’appropriation du foncier. C’est très important compte tenu des différentes zones qui ne correspondent pas forcément aux besoins des territoires. Nous proposons aussi de laisser aux communes la décision des taux sur la taxation des résidences secondaires et des logements vacants. Alertant sur les conséquences potentielles du décret en préparation révisant la taxe sur les logements vacants (TLV), un courrier envoyé au gouvernement, le 4 avril, par six associations d’élus (1) demande la création d’une fiscalité unique sur ces logements, fusionnant la TLV et la taxe d’habitation sur les logements vacants. Affectée entièrement au bloc local, elle serait incitative pour les élus et source de simplification fiscale.
L’objectif du ZAN constitue-t-il un frein ?
Nous sommes tous d’accord pour modérer la consommation foncière mais le ZAN suscite de grosses inquiétudes. Cela signifie de construire autrement dans les villes, de densifier en hauteur, mais cela n’est possible qu’avec l’assentiment des maires. Ce sont eux qui vont devoir gérer les contentieux notamment avec les habitants. Il y a un travail à faire sur l’acceptabilité de la densification. A Vitré, je parle de « densification douce » en ajoutant un ou deux étages au PLU ou en construisant sur des parcelles non utilisées. Pour obtenir l’acceptation des habitants, cela prend du temps.
Il y a consensus pour demander un assouplissement et une territorialisation de la mise en œuvre du ZAN. Nous sommes confrontés à des injonctions contradictoires en devant attirer des entreprises et construire des logements mais avec une moindre consommation foncière.
La rénovation énergétique des logements est-elle une priorité ?
C’est même la première des priorités ! L’AMF insiste beaucoup là-dessus et sur la façon de l’amplifier. Cela permettrait une remise sur le marché de logements vacants – 150 000 en Bretagne et environ trois millions au niveau national. Problème : ces logements ne sont pas toujours situés dans les zones où existent les besoins, dans les zones littorales, les grandes villes ou les villes moyennes. Qui sait précisément où sont ces besoins ? Les territoires. D’où notre attachement à la décentralisation et à l’idée de régionaliser.
L’interdiction de location concernera les passoires thermiques dont le DPE (diagnostic de performance énergétique) est classé G (en 2025) et F (en 2028). Si les propriétaires de ces logements ne font pas rapidement les travaux nécessaires, cela va encore retirer des produits locatifs du marché. Il faut aller plus loin sur les aides.
La gestion de ma MaPrimeRénov' devrait-elle être décentralisée ?
Elle constitue un bon dispositif mais qui reste insuffisant pour de gros travaux. MaPrimeRénov' et le service public de l’accompagnement à la rénovation énergétique (SARE) devraient être gérés à l’échelle régionale. Cela serait adapté en Bretagne compte tenu de nos habitudes de travailler ensemble entre la région et les EPCI. Sur ce sujet, il faut de la souplesse et de la différenciation, avec la possibilité de transférer à la région ou aux intercommunalités selon les cas. Le choix pourrait être du ressort de la CTAP [conférence territoriale de l’action publique]. Chez moi, elle fonctionne bien comme le montre le « Pinel breton » avec la repartage de l’enveloppe qui a pu se faire au niveau de la région.
Il est indispensable de disposer de financements stables et puissants pour que les propriétaires passent à l’acte. L’Etat doit préciser sur une période de trois à cinq ans les montants des dispositifs d’accompagnement des propriétaires et des bailleurs à la rénovation de leurs passoires énergétiques. Pour que les collectivités puissent se positionner – elles abondent parfois les aides de l’Etat – il faut que la stratégie de l’Etat sur ses aides directes soit connue. De plus, les plafonds d’éligibilité aux fonds de l’ANAH devraient être relevés. Cela permettrait d’avoir davantage de propriétaires bailleurs éligibles et qui décideraient ainsi de rénover.
Faut-il transférer la délégation à la pierre aux EPCI ?
L’Etat réfléchit en effet à ce transfert mais il ne nous dit pas s’il y aura avec le transfert des moyens financiers et humains pour instruire les demandes. C’est pourtant indispensable car il ne faut pas reproduire ce qui s’est passé avec le transfert du droit des sols aux EPCI avec les instructeurs restés à l’Etat.
La position de l’AMF est d’ouvrir la possibilité d’une délégation à la pierre à un plus grand nombre d’intercommunalités, sur la base du volontariat et à condition que l’Etat transfère bien les moyens.
Que demandez-vous sur le foncier qui devient de plus en plus stratégique ?
Il est nécessaire de partir des besoins et que chaque territoire puisse défendre sa cause au niveau régional. Il existe des outils d’aménagement comme les EPF (établissements publics fonciers) qu’il serait utile de généraliser sur tout le territoire. Ils permettent de porter le foncier pendant un certain nombre d’années là où les communes ne le peuvent plus financièrement. Ces outils sont indispensables pour travailler à la fois sur la consommation foncière mais aussi parfois mener des opérations de type bail réel solidaire (BRS). Compte tenu du renchérissement du coût du foncier, causé par le ZAN, le BRS constitue une vraie solution à développer.
Il faudrait aussi faciliter l’accès du foncier de l’Etat ou de la SNCF, qui en a beaucoup autour des gares, et cela à des prix raisonnables. Par ailleurs, les maires demandent une simplification des procédures d’acquisition de foncier sur les biens sans maître, les biens en état d’abandon manifeste ou des expropriations, avec davantage de pouvoirs. Cela leur permettrait de récupérer du foncier qui manque de plus en plus.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
(1) AMF, ANEL (Association nationale des élus du littoral), ANEM (Association nationale des élus de la montagne), ANETT (Association nationale des élus des territoires touristique), France urbaine, Intercommunalités de France.
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