Maire de Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire, regroupement de 15 communes pour 12 000 habitants) et co-président du groupe de travail de l’AMF sur les communes nouvelles, Philippe Chalopin préside également son comité de réflexion, mis en place en avril dernier, pour « amplifier le mouvement ». Relativisant la baisse de leur création compte tenu des différentes crises vécues durant ce mandat municipal, il plaide pour faire évoluer le régime des communes nouvelles avec plus de souplesse et d’adaptation à chaque contexte local. Avec l’appui de regards extérieurs d’universitaires, d’experts ou de parlementaires, le comité doit tenir sa prochaine réunion en septembre. « Nous souhaitons que nos travaux puissent déboucher sur une proposition de loi », affirme Philippe Chalopin.
La baisse de création de communes nouvelles vous inquiète-elle ?
Je tiens à relativiser cette prétendue baisse des regroupements de communes. Il y a plusieurs explications à cela dont le début, très compliqué, du mandat municipal, en 2020, avec le Covid-19. Les élus qui avaient des projets de communes nouvelles ont été happés par d'autres préoccupations en devant gérer une crise sanitaire inédite. Durant un an, beaucoup d'exécutifs n’ont même pas pu se réunir en présentiel. Cette période difficile nous a fait perdre deux années. Ensuite, les communes ont travaillé d’arrache-pied sur les projets pour lesquels les nouvelles équipes avaient été élues. Là encore, il a bien fallu deux ans. Nous arrivons alors en 2024 avec quelques soubresauts de créations de communes nouvelles sur des projets mûris depuis un certain temps et aptes à déboucher comme par exemple celui de Hesdin le 1er janvier 2025.
En outre, nous allons rapidement être bloqués par la règle interdisant la création d’une commune nouvelle moins d’un an avant les élections municipales. Tout ce contexte montre bien que nous ne disposions pas d’une fenêtre de tir favorable alors que les projets de regroupement existaient bel et bien.
La crise énergétique a-t-elle constitué un frein supplémentaire ?
Elle n’a pas aidé en effet mais dans le même temps cette période a permis de relancer la réflexion. Il ne faut pas oublier que la commune nouvelle constitue une solution face à une crise et aux difficultés des communes. Je rappelle qu’en 2014-2015, il y a eu beaucoup de créations car le président François Hollande avait engagé une cure d'austérité et une réduction des dotations des communes. Quand on dispose de moins de moyens, on essaie alors de mutualiser. En fait, c'est lorsqu’il existe des difficultés que la commune nouvelle retrouve tout son intérêt. A l’inverse, lorsque vous disposez de larges marges de manœuvre, vous n'avez pas de raison de vous regrouper.
Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
Nous sommes tout de même à 804 communes nouvelles qui regroupent 2575 communes et 2,6 millions d'habitants. C’est un bon résultat car depuis la loi de décembre 2010, il n’y a eu en réalité que dix ans d’effectivité en retirant les périodes de crises. Un autre phénomène va jouer en faveur de la commune nouvelle avec les dix ans de la loi « Notre ». Beaucoup de communes vivent mal leur existence au sein des intercommunalités et ne s'y retrouvent pas en étant bloquées sur certains sujets. De plus, elles ne sont pas suffisamment représentées dans les intercommunalités XXL. Quand vous êtes 80 communes, l’EPCI a de la puissance financière mais pas de proximité. Cette situation conduit donc des communes à réfléchir pour se regrouper. Il ne s’agit pas d’opposer les communes à l’intercommunalité mais de permettre la conduite de projets communaux.
Par ailleurs, la période actuelle montre la raréfaction des femmes et des hommes prêts à s'engager et à devenir élus dans des conditions de plus en plus compliquées. Je suis inquiet face au risque d’un grave problème de vocation en 2026. Pour les toutes petites communes, sans moyens pour accompagner le maire, la commune nouvelle peut constituer une solution. Je rappelle que beaucoup d’entre elles ne regroupent que deux communes. La commune nouvelle constitue un outil utile pour les plus petites d’entre elles mais aussi pour les plus grandes qui souhaitent porter des projets d’envergure. Dans un contexte financier et réglementaire qui ne cesse de se complexifier, pour aller chercher des subventions, porter des projets ou gérer les agents, il faut disposer de plus de moyens et de technicité. La commune nouvelle permet cela. A Baugé-en-Anjou, grâce à la commune nouvelle, j’ai pu avoir un poste de DGS, puis de DGA Ressources et bientôt d’un second DGA.
Un comité de réflexion a été installé en avril dernier. Quelle est sa finalité ?
A la demande du président de l'AMF, David Lisnard, nous nous sommes demandés si au-delà, de notre groupe de travail sur les communes nouvelles, il ne fallait pas aller vers d'autres ressources et personnes qui nous permettent de réfléchir sur le dispositif, son évolution et sa compréhension. L’objectif est de bâtir une vision plus globale sur l’avenir des communes nouvelles afin d’amplifier la dynamique. Il a ainsi été décidé d’élargir le cercle à d’autres regards qui permettent un recul, notamment universitaire avec la présence de Michel Verpeaux, professeur d’Université émérite et spécialiste de la chose publique. Nous associerons également des géographes, des économistes, des politologues et des sociologues.
Ce travail va permettre d’enrichir le débat mais aussi d’alimenter notre data car il y a des besoins spécifiques au niveau de la statistique, de l’Insee ou de la toponymie. Nous avancerons sur la nécessité de faire évoluer le régime de la commune nouvelle. Sont également associés à nos travaux des parlementaires spécialistes de ces questions. Les sénateurs voient dans la commune nouvelle une façon de moderniser la commune alors que les députés la perçoivent plus comme un instrument fort de décentralisation. Des communes regroupées, mieux armées tout en conservant leur identité, pourront répondre à une commande de décentralisation renforcée. Sinon, c’est l’intercommunalité qui prendra ce rôle alors qu’elle ne possède pas le statut de collectivité et doit rester un outil au service des communes.
Le fait que les récents rapports Woerth et Ravignon consacrent un volet spécifique à la commune nouvelle, dont une partie financière incitative pour favoriser leur création, montre bien tout l’intérêt de cette solution basée sur le volontariat local.
Sur quoi doivent déboucher vos travaux ?
Vu le contexte politique actuel, la réunion du comité, prévue initialement en juillet, est reportée en septembre. Il faut de la stabilité pour pouvoir avancer.
Malgré des évolutions législatives bienvenues, au fil des années, le cadre unique actuel n’apparaît plus adapté. Nous avons besoin de plus de souplesse dans la création de communes nouvelles pour mieux s’adapter à chaque contexte et éviter certains points de blocage. Les préoccupations ne sont pas les mêmes pour un regroupement de deux ou de quinze communes. En outre, la question du nombre d’élus et de leur nécessité varie selon la superficie du territoire. Il faut revoir aussi la place des communes déléguées. Par exemple, chez moi, sur un territoire plus de 26 000 hectares, j’ai besoin de la présence de maires délégués dont le rôle de proximité est essentiel.
Au final, tout le travail du comité de réflexion débouchera sur un rapport et contribuera au dépôt d’une proposition de loi pour simplifier le cadre juridique et permettre des adaptations.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
Crédit photo : ©Baugé-en-Anjou
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