Espace Associations départementales


Entretien avec Sandrine Rui, sociologue : « Il faut faire participer les habitants au bon niveau de décision »

Crédit Photo Sandrine Rui ©A. Pequin

Entretien avec Sandrine Rui, sociologue : « Il faut faire participer les habitants au bon niveau de décision »
Sociologue et vice-présidente de l’université de Bordeaux, Sandrine Rui décrit un paysage complexe de la démocratie participative : un développement important des dispositifs, une implication souvent faible des citoyens, un sentiment croissant de défiance mais aussi un réel appétit de participation. Pas évident de s’y retrouver ! Elle conseille donc aux élus de faire évoluer les dispositifs, d’écouter mais aussi d’entendre les habitants, d’afficher un objectif de co-construction tout en prenant au final les décisions. Par ailleurs, elle plaide pour investir davantage le champ de l’intercommunalité avec des espaces de participation pour « fabriquer du territoire » et impliquer les habitants au bon niveau de décision.

Quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui de la démocratie participative ?
Depuis une trentaine d’années, elle s’est beaucoup développée et imposée dans les pratiques et les textes, notamment pour la procédure de débat public suite à des oppositions citoyennes aux grands chantiers d’infrastructures. Si progressivement une culture de la participation s’est forgée, il existe néanmoins un paradoxe car les citoyens estiment souvent qu’on ne répond pas assez à leur demande de participer. Autre paradoxe : leur implication souvent faible dans les structures de concertation mais qui s’explique par un travail lourd exigeant du temps et de l’engagement. Il faut donc renouveler les dispositifs qui doivent être plus souples et moins institutionnalisés. Les élus doivent savoir s’adapter afin de répondre à un appétit de participation qui est réel.

L’engagement sur la durée apparaît donc plus difficile ?
Un essoufflement apparaît quand la concertation s’installe trop dans le temps, comme pour les conseils de quartier. Au bout d’un moment, le risque est ne plus avoir que les seuls acteurs associatifs organisés. Parmi les autres dispositifs, les budgets participatifs et les conventions citoyennes, ayant un objectif précis sur une durée limitée, fonctionnent mieux. Les citoyens restent néanmoins méfiants, mais aussi exigeants. Il faut éviter le sentiment de frustration : « on m’écoute mais on ne tient pas compte de mon avis ». La prise en compte de leur parole permettra de lutter contre la défiance et les doutes. Quand un dispositif affiche clairement l’objectif de co-construction, les élus rendent ainsi plus visible l’enjeu de la participation, et cela donne plus de résultats. Les citoyens doivent ressentir que leur travail sert à quelque chose même si c’est ensuite aux élus qu’il appartient de décider.

Le thème de la participation a-t-il eu une place lors des dernières municipales ?
Il est à présent installé et porté politiquement, surtout dans les grandes villes. En dessous de 10 000 habitants, les élus s’estiment assez proches des habitants pour connaître leurs demandes. Aujourd’hui, un candidat ne peut plus se présenter sans avoir un discours sur la participation. Lors des dernières municipales, en réponse au mouvement des Gilets jaunes, il y a eu une volonté nouvelle, notamment dans des villes comme Bordeaux ou Nantes, de penser ses frontières avec les territoires limitrophes. Il s’agissait d’écouter et d’associer leurs habitants afin d’éviter les fractures et d’appréhender la bonne échelle territoriale. Dans une métropole, beaucoup de personnes n’en sont pas les habitants mais juste des usagers, notamment pour y travailler. L’élargissement de la surface de participation doit en tenir compte. La convention citoyenne de Nantes Métropole a ainsi associé ces habitants des communes limitrophes et cela a bien fonctionné.

L’intercommunalité aborde-t-elle assez cette démarche ?
La distribution des compétences a beaucoup bougé ces dernières années. L’intercommunalité devient un échelon important de participation qu’il faut investir. Des structures existent déjà comme le conseil de développement mais cela ne suffit plus. Il faut un espace dédié pour « fabriquer du territoire » et lui donner du sens. Sinon c’est le risque de malentendus et de mécontentements des citoyens exprimés au mauvais niveau de compétence. Les participations communale et intercommunale doivent mieux s’articuler pour que les citoyens s’impliquent là où les décisions se prennent.

Le ressort d’un projet participatif peut être un conflit causé par un projet, source de nuisances par exemple (une éolienne, une déchetterie…), ayant contre lui les riverains et les associations. Cette mobilisation sur un point particulier peut les amener ensuite à s’intéresser à d’autres sujets et à s’inscrire dans une démarche plus large de participation.

Y-a-t-il un besoin de professionnalisation ? 
Certains élus pensent qu’une simple consultation publique reste suffisante. Mais il faut de la méthode avec une phase de préparation qui s’appuie sur une ingénierie participative. Les citoyens doivent également être associés en amont pour comprendre le processus, partager les outils et les règles du jeu, tout en évitant le risque du débat sur le débat ! En clair, cela ne s’improvise pas. Une équipe municipale a besoin de se faire accompagner si elle ne possède pas les ressources en interne. Ces vingt dernières années, la plupart des grandes villes se sont dotées d’un service dédié, doté de compétences et d’expertise.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

Référence : BW40739
Date : 10 Mai 2021
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


Partager :

La reproduction partielle ou totale, par toute personne physique ou morale et sur tout support, des documents et informations mis en ligne sur ce site sans autorisation préalable de l'AMF et mention de leur origine, leur date et leur(s) auteur(s) est strictement interdite et sera susceptible de faire l'objet de poursuites.