Inclusion numérique : 20 mesures « pragmatiques » pour réduire les disparités territoriales
La crise sanitaire a encore plus mis en lumière le rôle essentiel des outils numériques dans la vie des Français et les répercussions de la fracture numérique sur l’accès à l’emploi, à l’éducation ou aux services publics. Pour accompagner la dématérialisation des démarches administratives (objectif de services publics « 100% dématérialisés » d’ici fin 2022 fixé par le gouvernement), l’État s’était engagé à réduire l’exclusion numérique à travers une stratégie publiée en 2018. Rappelant ce contexte, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat pointe un bilan « alarmant » dans un rapport publié début avril. En réponse, il formule vingt recommandations qui se veulent « simples et pragmatiques au profit des acteurs locaux ».
Méconnaissance des dispositifs nationaux
Selon une enquête réalisée par la Banque des territoires en 2020, 51% des personnes interrogées avaient déjà renoncé à effectuer une démarche en ligne, dont 68 % à cause de leur manque de clarté. Citant ces chiffres, la commission sénatoriale a également lancé une consultation en ligne auprès des élus locaux (1668 répondants dont 80% d’élus communaux et 17% intercommunaux). Objectif : identifier les obstacles rencontrés dans l’élaboration de projets locaux d’inclusion numérique et des pistes pour y remédier. Parmi les résultats figure une méconnaissance importante des dispositifs nationaux d’inclusion numérique, surtout de la part des maires ruraux, dont une bonne part ne connaît même pas l’existence du pass numérique ou des Hubs territoriaux pour un numérique inclusif. Les sondés sont nombreux à demander des efforts de pédagogie de la part de l’État sur les enjeux de l’inclusion numérique et les solutions à mettre en œuvre.
Engagement de l’État « insuffisant »
Les écarts persistent entre les territoires en pointe sur le numérique et les autres, notamment en zone rurale, dans lesquels l’exclusion numérique peut accroître un sentiment de relégation. Jugeant l’engagement de l’État encore « parcellaire et insuffisant », la rapporteure Patricia Demas (LR) appelle à faire de l’inclusion numérique « une priorité nationale », dotée de financements pérennes.
Le rapport formule ainsi vingt recommandations qui s’articulent autour de trois axes : renforcer le pilotage de la politique nationale d’inclusion numérique (nécessité d’un cadre clair pour les acteurs locaux), mettre en cohérence la gouvernance locale, accentuer les efforts pour combler la fracture numérique dans les territoires (accès aux réseaux internet et accompagnement des usagers éloignés du numérique).
Besoin d’une une feuille de route nationale
Le rapport sénatorial évoque « un manque de clarté et de lisibilité » de la politique nationale d’inclusion numérique, dans son pilotage et à travers les dispositifs existants. Et de pointer le pass numérique et les Hubs territoriaux qui « ne sont pas appropriés par tous les territoires ». Autre critique : les appels à projets (AAP) et à manifestation d’intérêt (AMI) pour financer les projets d’inclusion numérique « sont difficiles à anticiper ». « Une commune rurale comme la nôtre a le sentiment d’entendre parler chinois avec l’inclusion numérique », indique ainsi le témoignage d’un élu recueilli par la consultation en ligne du Sénat.
Les sénateurs préconisent la définition d’une feuille de route nationale sur l’inclusion numérique, avec des objectifs clairs et un calendrier pour les atteindre. Regrettant l’insuffisance des financements apportés par les AAP, les AMI et le plan de relance, ils demandent des fonds nationaux pérennes.
Un rôle de chef de file pour l’intercommunalité ?
Les interventions territoriales sur l’inclusion numérique sont brouillées par un fonctionnement en silo entre acteurs publics (chaque échelon de collectivité est fondé à agir), associatifs et privés. Autre point faible : l’éclatement des sources de financement.
La solution passe-t-elle par la désignation d’un chef de file ? « Une fausse bonne idée » répondent les sénateurs car cela enverrait le signal aux autres collectivités qu’elles sont moins concernées. Selon eux, chaque échelon peut apporter sa valeur ajoutée et il est difficile d’imposer un schéma de gouvernance unique sur l’ensemble du territoire, sans tenir compte des dynamiques locales. Ils plaident donc pour la souplesse avec des « coalitions locales permettant de renforcer la coordination entre les acteurs ».
Néanmoins, selon la consultation en ligne, les élus sont majoritairement favorables à la désignation d’un chef de file et 60% désignent l’intercommunalité comme la plus pertinente pour cela (20% pour le département et 3% pour la région).
Renforcer le rôle d’appui des Hubs territoriaux
Autre constat : les outils de planification locale ne prennent pas assez en compte l’inclusion numérique. Le rapport propose donc de créer des commissions territoriales de l'inclusion numérique pour coordonner les interventions locales mais aussi d’intégrer un volet dédié dans les schémas directeurs d’aménagement numérique.
Il insiste aussi pour renforcer les Hubs territoriaux dans leur rôle d’appui aux collectivités, en soulignant leur manque actuel de coordination de l’offre de médiation numérique, notamment dû à une logique de rentabilité économique, comme l’a souligné le dernier rapport du Défenseur des droits sur la dématérialisation des services publics (mars 2022).
Améliorer l’inclusion numérique dans tous les territoires
Pour permettre l’accès partout aux réseaux internet, le Sénat défend le recours aux technologies sans fil ou hertziennes (THD radio, satellite et 4G fixe) pour les logements ne pouvant pas bénéficier de la fibre. Il demande de garantir l'existence du fonds de financement des raccordements complexes à la fibre, voire de l’augmenter si besoin, et de prolonger jusqu’en 2025 l'objectif du guichet « Cohésion numérique des territoires » pour assurer à tous l'accès au très haut débit.
Au-delà, les sénateurs insistent sur les moyens à accorder aux collectivités pour la mise en place de projets d’accompagnement des personnes éloignées du numérique. Selon la consultation en ligne, 52% des élus ne disposent pas d’un service de médiation numérique sur leur commune ou à proximité. Parmi les solutions, il faudrait favoriser l'utilisation de la DETR pour l'acquisition d'équipements numériques afin d’accompagner les usagers. Sachant que les 4000 conseillers numériques ne sont pris en charge par le Plan de relance que pour deux ans, le Sénat demande que leur financement soit prolongé au moins jusqu'en 2025. Il préconise également d’enrichir la plateforme « ressources » des collectivités de l’ANCT ou de développer l'offre de formation à l'inclusion numérique des agents territoriaux.
Mieux distribuer le pass numérique
Enfin, constatant un mauvais déploiement du pass numérique depuis sa mise en place en 2019 (seulement 100 000 pass utilisés contre un objectif d’un million), les sénateurs invitent à corriger les difficultés identifiées par les collectivité, les usagers et les formateurs numériques. Cela passerait par la simplification de sa procédure d’acquisition, le rallongement de sa durée d’utilisation par l’usager ou encore la mise en place d’une chaîne de distribution au niveau local entre les différents acteurs pour un meilleur suivi des bénéficiaires.
Philippe Pottiée-Sperry
Consulter le rapport du Sénat : http://www.senat.fr/rap/r21-588/r21-5881.pdf
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