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Le Sénat plaide pour un moratoire sur les décrets ZAN

Interpellation du gouvernement, consultation des élus locaux, table-ronde avec les associations d’élus, propositions pour définir « un modèle fiscal et financier »… Sur le sujet brûlant du ZAN (zéro artificialisation nette des sols), les sénateurs sont sur tous les fronts ces dernières semaines. Ils défendent notamment une réécriture des décrets ZAN qui, selon eux, ne respectent pas l’esprit de la loi « Climat » du 22 août 2021. Sur la même position, Alain Chrétien, vice-président de l’AMF et maire de Vesoul, dénonce « une mesure dogmatique et technocratique » et demande au gouvernement de revoir rapidement sa copie. Il s’alarme également de « l’incertitude juridique qui pointe sur tous les documents d’urbanisme ».

« Les élus déplorent l’absence de concertation et le fossé existant entre l’esprit de la loi et la rédaction des décrets ». Fort de ce constat sévère sur le sujet du ZAN, les groupes Les Républicains et Union Centriste du Sénat ont demandé au gouvernement, début août, un moratoire suspendant les décrets d’application pour les réécrire en respectant l’esprit de la loi. Bruno Retailleau et Hervé Marseille, les présidents de ces deux groupes, estiment que « sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, les collectivités ont besoin de réalisme, de clarté et de stabilité ».

 

Absence de consultation des collectivités

Ne contestant pas la nécessité de l’objectif de sobriété foncière, la majorité sénatoriale défend la réécriture des deux décrets du 29 avril dernier sur le ZAN afin que la loi « Climat » « soit pleinement respectée ». Elle estime en effet que les décrets « s’éloignent nettement de la loi » et « mettent en péril les équilibres trouvés au Parlement ». Rappelons également le recours déposé par l’AMF, devant le Conseil d’Etat, sur ces deux décrets, notamment aux motifs du manque de concertation, de l’absence d’étude d’impact, d’une approche de recentralisation rigide ou encore d’une fragilisation juridique des documents de planification (Scot, PLU). La majorité sénatoriale dénonce « l’absence de consultation des collectivités locales, pourtant concernées au premier chef, et la distance prise par le gouvernement avec l’esprit et parfois même la lettre de la loi [qui] constituent de vives sources d’inquiétude ».

Manque de moyens humains et techniques
Les résultats de la récente consultation des élus locaux (réponses de 1245 élus) organisée par la commission des affaires économiques du Sénat sont « sans appel », selon Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Rendus publics début juillet, ils montrent que 72% des élus estiment n’avoir pas été assez informés des obligations de la loi « Climat ». Au-delà du manque d’information, seuls 18% affirment disposer des moyens humains et techniques pour mettre en œuvre les dispositions d’urbanisme de la loi. Par ailleurs, 63% des élus considèrent que la méthode de déclinaison verticale des objectifs ne permet pas de prendre en compte les spécificités locales.

Une autre inquiétude forte concerne l’obligation de révision de l’ensemble des documents d’urbanisme pour y intégrer les objectifs ZAN. Ainsi, les élus anticipent que 73 % des PLU ou cartes communales devront être révisés dans les années à venir. « Pourtant, aucune aide financière ni technique n’est prévue pour les communes et EPCI en dépit du budget conséquent qu’il faudra mobiliser », déplorent les sénateurs.

Enfin, 67% des élus jugent les objectifs de la loi « Climat » inconciliables avec le développement économique de leur collectivité.

Ouverture de Christophe Béchu

Le gouvernement semble prêt à bouger. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, s’est ainsi déclaré ouvert « à la réécriture d’une partie » des décrets ZAN, au Sénat lors des questions au gouvernement du 13 juillet. Il répondait à la sénatrice (UC) Françoise Gatel qui dénonçait « des décrets d'application quasi kafkaïens, qui déforment l'esprit de la loi ». Le ministre insiste néanmoins pour respecter l’objectif fixé par la loi « Climat » « d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 ». Satisfaite, la majorité sénatoriale demande au gouvernement d’accélérer et d’instaurer rapidement un moratoire sur ces décrets ZAN jusqu’au 1er septembre 2023 pour procéder à leur réécriture.

Par ailleurs, Christophe Béchu a fait un autre geste envers les élus, dans une circulaire du 4 août, en demandant aux préfets de temporiser sur la mise en œuvre du ZAN. « La réforme ne pourra commencer à s'appliquer qu'à l'issue des concertations et de la mise en conformité des documents de planification (Sraddet, Scot, PLU) », souligne-t-il. Le ministre demande aux préfets « de veiller à ne pas imposer dès à présent une réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers de manière uniforme ». Christophe Béchu indique aussi qu’il adressera prochainement aux préfets de nouvelles instructions pour « faciliter la mise en œuvre de cette réforme ».

Incertitude juridique sur les documents d’urbanisme

Autre initiative du Sénat : la table-ronde organisée, le 27 juillet, par sa commission des affaires économiques, sur le déploiement des objectifs du ZAN dans les documents d'urbanisme des communes et des EPCI. « Personne ne remet en cause la démarche de sobriété foncière mais c’est la méthode qui suscite beaucoup d’inquiétude et de réticence », insiste Sophie Primas, présidente de la commission. La table-ronde a réuni plusieurs associations d’élus : AMF, AMRF, Intercommunalités de France et France urbaine.

Dénonçant « une mesure dogmatique et technocratique qui ne tient pas compte des différences entre territoires », Alain Chrétien, vice-président de l’AMF et maire de Vesoul, s’alarme de « l’incertitude juridique qui pointe sur tous nos documents d’urbanisme et s’ajoute à la complexité, la déconnexion et les coûts du ZAN ». Selon lui, « la problématique du ZAN s’oppose aux trois objectifs de liberté, confiance et subsidiarité défendus par l’AMF ». De plus, elle arrive dans un contexte de fortes inquiétudes financières, rappelle Alain Chrétien qui demande au gouvernement de « prendre du temps collectivement pour réécrire les décrets ZAN pour que celui-ci ne soit pas subi mais approprié par l’ensemble des politiques d’aménagement local ».

Contractualisation

Annette Laigneau, vice-présidente de Toulouse Métropole en charge de l'urbanisme, et représentante de France urbaine, estime que « la loi impose une approche trop descendante et injonctive à l’égard des territoires ». Et de prôner « une démarche basée sur la contractualisation et partant des projets de territoire ». France urbaine propose que les objectifs de réduction du rythme d’artificialisation des sols soient fixés au sein des conventions de sobriété foncière, adossées aux CRTE. « Elles permettraient d’intégrer l’ensemble des acteurs du territoire et de mobiliser les moyens techniques et financiers, notamment ceux pouvant être mis à disposition par l’Etat », explique Annette Laigneau.

Alain Chrétien partage cet intérêt pour la contractualisation en jugeant qu’elle permettrait « de faire de la différenciation et d’avoir un traitement au cas par cas selon les territoires ». Mais en s’interrogeant sur le bon périmètre à retenir pour le contrat : CRTE, Scot, PLU-I ? « Attention de ne pas créer une France à deux vitesses, l’une contractuelle et l’autre solitaire », prévient-il.

Définir un modèle fiscal et financier

Autre volet traité par le Sénat : l'absence de modèle économique du ZAN. Ainsi, un rapport de sa commission des finances, piloté par le sénateur Jean-Baptiste Blanc et publié fin juin, juge urgent de définir « un modèle fiscal et financier accompagnant l’objectif de réduction de l’artificialisation ». Il estime que « certains dispositifs budgétaires et fiscaux nationaux vont dans la bonne direction, mais demeurent insuffisants ». Ainsi, la présentation des crédits budgétaires ne permet pas de déterminer exactement le montant des crédits budgétaires contribuant à l’objectif ZAN. Et de plaider pour mieux identifier, dans les documents budgétaires, les dépenses de toutes natures contribuant à cet objectif et préciser le dispositif de performance.

Parmi une dizaine de propositions, le rapport suggère d’introduire un critère ZAN dans les aides attribuées par le fonds national des aides à la pierre (FNAP) ou de mieux identifier dans le budget de l’État les dépenses contribuant à atteindre l’objectif ZAN ou, au contraire, qui y sont défavorables. Il propose aussi de prévoir un indicateur de performance consacré à l’utilisation des crédits de l’État en faveur de l’objectif ZAN.

Refus d’un impôt ZAN

Les questions du financement et des conséquences financières du ZAN ont également été abordées lors de la table-ronde réunissant les associations d’élus qui ont souligné l’inquiétude des élus en particulier sur les risques de spéculation foncière. Pour plus de lisibilité et d’efficacité, France urbaine appelle l’Etat à prévoir « des moyens financiers suffisants pour la mise en œuvre réelle de ses objectifs ».

« C’est surprenant de créer un outil et de se demander ensuite comment on le finance », tient à souligner Alain Chrétien. A l’instar des autres élus, il refuse catégoriquement toute perspective d’un impôt ZAN. Indiquant « les limites des exonérations fiscales (ZRR, ZRCV) », il souligne le succès du fonds friches qui, selon lui, ne doit pas être réservé territorialement et continuer d’être financé nationalement. Et de proposer : « La taxe d’aménagement serait probablement le vecteur fiscal le plus efficace pour financer le fonds friches ».

Rencontre avec Elisabeth Borne

Lors d’une rencontre de David Lisnard, président de l’AMF, avec la Première ministre, le 5 août, celui-ci a notamment insisté sur « la nécessité » de réécrire les décrets ZAN et demandé le report d’un an de l’adoption des Sraddet. Un délai « indispensable », selon lui, pour « éviter la mise en place d’un système qui ferait des territoires les plus ruraux ou les plus vertueux en termes de réduction passée de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, la variable de compensation des territoires les plus urbains, au détriment d’un développement territorial équilibré ». Pas de réponse pour l’instant d’Elisabeth Borne sur le sujet qui s’est néanmoins déclarée « consciente de la nécessité de trouver les bonnes modalités de concertation ».

 

Philippe Pottiée-Sperry

 

 

 

Référence : BW41348
Date : 1 Sep 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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