Espace Associations départementales de maires


Municipales 2026 : regards croisés de trois politologues

Scrutin de liste paritaire dans les communes de moins de 1000 habitants, engagement local en baisse et difficultés pour constituer les listes, impact de la proximité de la présidentielle de 2027, niveau de la participation électorale, place de l'intercommunalité dans la campagne… Autant d’interrogations à moins de huit mois des élections municipales, qui se tiendront en mars 2026, pour lesquelles trois universitaires et politologues apportent leurs éclairages avec des réponses et des analyses souvent différentes.

A l’approche des municipales de mars 2026, les candidats potentiels comme les analystes se posent à juste titre de nombreuses questions. La grande nouveauté réside dans l’instauration d’un scrutin de liste paritaire dans les communes de moins 1000 habitants (loi du 21 mai 2025), soit plus de 80% des communes françaises.

Un mode de scrutin plus moderne et mieux adapté ?

Visant à simplifier le mode de scrutin, à répondre à la crise de l’engagement local et à renforcer la parité, parviendra-t-il à remplir ces objectifs ? « Il s’agit d’une grande nouveauté et d’un réel progrès avec le même régime pour l’ensemble des communes », estime Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la Chaire TMAP (Territoires et mutation de l’action publique) à Sciences-Po Rennes. Un progrès également souligné par Martial Foucault, professeur des universités à Sciences Po Paris, directeur de l'IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire) et chercheur au CEVIPOF : « C’est la fin du panachage et des situations parfois ubuesques où un maire ne recevait pas le plus grand nombre de suffrages, pouvant affaiblir sa légitimité au sein du conseil pour gouverner la commune ».

Pour sa part, Géraldine Chavrier, professeure des universités en droit public à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, se réjouit de la disparition d’« un mode de scrutin pittoresque qui demeurait un ovni dans le droit français ».

Difficultés à constituer des listes ?

Tous s’accordent à reconnaître les bienfaits en termes de parité du nouveau mode de scrutin. « Alors que les femmes ne représentaient que 20% des maires en 2020, ce seuil devrait fortement grimper en 2026, tout comme le nombre de conseillères municipales (aujourd’hui de 40%) », se félicite Martial Foucault. S’il dit comprendre les craintes de certains élus pour convaincre des femmes à s’engager, le chercheur au CEVIPOF juge néanmoins qu’« il n’y a pas de raisons objectives d’imaginer une déshérence des femmes pour s’investir dans la vie de leur commune ». Romain Pasquier préfère rester prudent : « il demeure des inconnues compte tenu des contraintes du scrutin de liste et de la parité qui risquent d’être plus compliquées dans les toutes petites communes ».

Martial Foucault ne manifeste quant à lui aucune inquiétude « sur la capacité des 34 900 communes à constituer des listes complètes. « Le potentiel d’engagement pour la vie municipale reste très fort », argumente-t-il, en citant l’enquête AMF-CEVIPOF, qu’il a conduite en juillet, montrant que 24% des Français sont intéressés et prêts à s’engager. Selon lui, le vrai problème concerne « la trop forte sous-représentation des jeunes élus (seuls 4% des maires ont aujourd’hui moins de 40 ans) alors qu’un engagement avant l’âge de 40 ans garantit une implication sur le long terme dans le conseil municipal ».

Une hausse des listes uniques ?

Géraldine Chavrier n’est pas sur la même ligne en considérant que « la crise des vocations et la médiatisation sur les difficultés d’exercice d’un mandat municipal (agressions, violences, démissions…) risquent de conduire beaucoup de candidats à sérieusement s’interroger avant de se lancer ». Autre observation de la professeure de droit public : la loi du 21 mai 2025 devrait aboutir à bien plus de communes n’ayant qu’une liste unique, en rappelant que c’était déjà le cas, en 2014, pour 44% des petites communes. « Avoir une seule liste ne constitue pas forcément un problème, sachant qu’elle sera de cohésion en regroupant les bonnes volontés grâce à l’apprentissage de la culture de négociation entre différentes sensibilités politiques, ce qui manque justement au niveau national », pronostique-t-elle en décrivant les municipales comme « une école de la démocratie ».

S’agissant des apports de la proposition de loi sur le statut de l’élu (indemnités, vie professionnelle et exercice du mandat, candidats étudiants…), en cours de discussion au Parlement, elle estime que « ces mesures vont aider juste un peu ». Mais en insistant sur la nécessité de communiquer fortement sur le nouveau dispositif pour le faire connaître.

Quel impact de la proximité avec la présidentielle ?

« La tenue du scrutin municipal un an avant l’élection présidentielle aura probablement un impact important, considère Romain Pasquier, avec plusieurs questions à la clé comme la progression ou pas du RN, la possibilité d’alliances à gauche ou entre droite et extrême droite ». Prédisant une politisation et une nationalisation fortes, il pense que les élections de mars 2026 « pourraient jouer un rôle de laboratoire sur ce qui passera avant le premier tour de la présidentielle mais aussi dans l’entre-deux tours ». Le politologue rennais reconnaît aussi que « les bilans locaux vont compter avec une prime au sortant toujours significative ».

Martial Foucault ne partage pas le même point de vue en estimant que le calendrier municipal n’aura que peu d’incidence sur le résultat de l’échéance présidentielle de 2027. « L’offre politique n’est pas la même et 90% des communes verront des listes apartisanes en lice », avance-t-il. Autre argument mis en avant : « les enjeux débattus lors d’une campagne municipale, à l’exception de la sécurité, ne correspondent pas à ceux d’une campagne présidentielle ». Il concède juste que « les résultats des grandes villes pourront donner des indications sur le rapport de forces politiques des appareils partisans ».

Moins de parrainage de maires en 2027 ?

Géraldine Chavrier évoque un autre impact, passé jusqu’à présent sous les radars, sur le parrainage des candidats à la présidentielle, sachant qu’environ 70% des parrains sont des maires. « Depuis qu’il est devenu public, le parrainage a connu une baisse importante, constate-t-elle. Dans les communes de moins de 1000 habitants, où les maires soutenaient auparavant des candidats dans un intérêt démocratique, la situation va devenir très compliquée avec des risques élevés sur la cohésion de l'équipe municipale ». Conséquence ? « La perte probable d’un vivier important de parrains pouvant empêcher certains candidats de premier plan à se présenter, s’alarme-t-elle, avec le danger de créer du désordre public dû à une incompréhension de notre système démocratique ».

Face à ce casse-tête, elle propose « la remise en cause de la publicité des noms des parrains tout en améliorant encore la transparence relative au parrainage ». « Pour cela, il faut une réelle prise de conscience des risques et aller vite car une modification de la loi organique est nécessaire », précise l’universitaire.

Quel niveau de participation ?

« Même si les municipales connaissent parmi les meilleurs taux de participation, ceux-ci s’érodent au fil des scrutins », observe Géraldine Chavrier. Et de craindre que cela s’aggrave encore en 2026 compte tenu de « la perte de sens de la démocratie représentative ». « Nous sommes de plus en plus dans une démocratie de contestation et de moins en moins de participation », regrette-t-elle en constatant que le phénomène touche aussi la commune et son maire. « Avec la montée des violences, des agressions ou des menaces, le lien affectif de beaucoup de Français avec leur maire commence à se déliter, analyse-t-elle. Avec son équipe, il représente la première figure de l'autorité publique qui est justement de plus en plus contestée ».

Pour sa part, Martial Foucault apparaît bien moins pessimiste : « Si l’érosion de la participation est un phénomène mondial auquel la France n’échappe pas, le scrutin législatif de juin 2024 a démontré la capacité de mobilisation lorsque l’élection présente un enjeu décisif ». Et de considérer que « par rapport au niveau de confiance très élevé et constant des Français à l’endroit de leurs élus municipaux, les risques de faible participation sont faibles pour mars 2026 ».

Entre ces deux positions, Romain Pasquier pense que la participation « va repartir à la hausse mais sans forcément retrouver le niveau de 2014 ». Selon lui, cela pourrait être le cas si « une forte politisation à un an de la présidentielle constitue un booster pour intéresser l’électorat ».

Quelle place de l’intercommunalité dans la campagne ?

« Aujourd’hui, les enjeux de la campagne municipale écrasent tout débat sur les compétences assurées par les EPCI », déplore Martial Foucault, en s’inquiétant « du manque de légitimité démocratique des établissements intercommunaux ». Il pointe le système du fléchage, « une énigme démocratique », avec des élections communautaires « très mal connues des citoyens et qui pâtissent d’un manque de compréhension et de visibilité de leur mode de scrutin ». Selon Romain Pasquier, la place de l’intercommunalité dans la campagne « ne sera pas inexistante mais en filigrane car les candidats vont parler de compétences intercommunales mais à une échelle communale ».

L’enseignant à Sciences-Po Rennes regrette cette ambiguïté avec des « programmes essentiellement construits sur des compétences intercommunales, mais sans le dire et l'expliciter, ce qui générera ensuite de la frustration lorsque les maires seront interpellés par leur population ».

Quid du fléchage et d’une profession de foi ?

Pour sa part, Géraldine Chavrier critique surtout l’absence de dépôt d’une profession de foi par les candidats à l’intercommunalité ». Elle plaide ainsi pour « réformer la loi car cette profession de foi permettrait de faire connaître l’intercommunalité et d’expliquer son bilan et ses projets ».

Enfin, elle regrette que dans la loi du 21 mai 2025, le gouvernement se soit opposé à étendre le fléchage aux communes de moins de 1000 habitants. « Cela aurait pourtant permis de continuer à démocratiser l'intercommunalité », estime-t-elle. La crainte de transformer à terme les EPCI en collectivités lui semble constituer un faux débat. « On ne va plus revenir sur le fait communal, argumente-t-elle. Il n’est plus en danger. L'intercommunalité représente une confédération et non pas une fédération, qui ne remet donc pas en cause le niveau communal ».

Pierre Plessis

Référence : BW42741
Date : 21 Juil 2025
Auteur : Pierre Plessis pour l'AMF


Partager :

La reproduction partielle ou totale, par toute personne physique ou morale et sur tout support, des documents et informations mis en ligne sur ce site sans autorisation préalable de l'AMF et mention de leur origine, leur date et leur(s) auteur(s) est strictement interdite et sera susceptible de faire l'objet de poursuites.