Lorsqu’il s’est agi de trouver un moment pour débattre de la proposition de loi réformant le mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille, le gouvernement a su trouver, en avril, une fenêtre dans l’agenda de l’Assemblée nationale, pourtant très chargé. Il n’en va visiblement pas de même avec la proposition de loi sur le statut de l’élu, qui ne concerne pourtant pas trois villes seulement mais l’ensemble des communes du pays.
La proposition de loi « portant création d’un statut de l’élu local » a été adoptée le 7 mars 2024 au Sénat, il y a plus d’un an donc. Aboutissement de plusieurs années de travail et d'une large concertation avec les associations d'élus, ce texte vise à apporter un certain nombre de réponses à « la crise de l’engagement local », notamment en améliorant les conditions matérielles et sociales de l’exercice du mandat, ainsi que la protection des élus locaux, et en s’attaquant à un certain nombre « d’irritants ».
Le texte, porté initialement par l’ancienne sénatrice Françoise Gatel, devenue depuis ministre chargée de la Ruralité, décline un certain nombre de mesures simples et de bon sens : augmentation des indemnités de fonction des élus communaux, fixation « par principe » des indemnités de fonction au maximum légal des exécutifs locaux, bonification de la retraite de certains élus locaux, amélioration des modalités de remboursement des frais de déplacement, du congé, de la formation et de la protection fonctionnelle, création d’un statut d’élu-étudiant, sécurisation de la situation de l'élu local ayant cessé d'exercer son activité professionnelle, clarification des obligations déontologiques…
En séance, au Sénat, d’autres mesures ont été ajoutées, dont la revalorisation des indemnités de fonction des adjoints, la création, par voie d’une circulaire, d'un « statut de l’élu local », la suppression de l'incompatibilité entre le mandat communautaire et un emploi salarié au sein d'une des communes membres de l'EPCI, l'extension du champ des autorisations d’absence…
Au final, c’est un texte assez complet d’une quarantaine d’articles qui a été adopté, faisant l’unanimité au sein de la chambre haute.
Et depuis… rien. Certes, l’Assemblée nationale a été dissoute entretemps et les aléas politiques que l’on sait ont largement bouleversé le calendrier législatif, mais on ne voit pas bien ce qui a empêché les gouvernements successifs, celui de Michel Barnier comme celui de François Bayrou, de mettre ce texte à l’ordre du jour, malgré les promesses maintes fois réitérées – par Michel Barnier au congrès de l’AMF, par François Bayrou lors de sa déclaration de politique générale (« mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l'eau, l'assainissement, le statut et la protection des élus »). Mais de mois en mois, l’inscription à l’ordre du jour du texte sénatorial a été sans cesse repoussée, malgré les demandes insistantes de Stéphane Delautrette, président de la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, qui, le 1er avril dernier, dans les locaux de l’AMF, lançait : « On a un texte sénatorial, on a des ministres qui sont en soutien de ce texte, comme Françoise Gatel et François Rebsamen, et on n’arrive pas à le faire inscrire à l’agenda de l’Assemblée nationale – sachant qu’il y a urgence : si on ne le fait pas avant l’été, c’est mort pour les prochaines élections ! ».
Le gouvernement a fini par promettre que le texte serait inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en mai. Ce n’est pas le cas. Lors de la dernière conférence des présidents du Palais-Bourbon, qui s’est tenue le 13 mai, l’ordre du jour a été fixé jusqu’au début du mois du juin… et toujours pas de trace de la proposition de loi sur le statut de l’élu.
D’où la réaction des associations d’élus qui, la semaine dernière (le 12 mai), ont envoyé un courrier collectif au Premier ministre pour lui demander instamment de remédier à ce retard. Huit associations (1) et les deux délégations aux collectivités territoriales du Sénat et de l’Assemblée nationale rappellent le contexte : les maires aujourd’hui en fonction n’ont « jamais été aussi hésitants à se représenter », à dix mois des élections municipales, « les freins à l’engagement dans la vie publique locale sont encore nombreux ». Les associations disent leur soutien au texte sénatorial qui doit être « conforté » et « enrichi » à l’Assemblée nationale, « en capitalisant sur les propositions des associations et les travaux menés par la délégation aux collectivités territoriales ».
Mais pour cela, il doit être inscrit – et les associations disent leur crainte « d’un nouveau report de ce texte », crainte qui a été confirmée entretemps. « L’examen de ce texte doit impérativement intervenir avant l’été pour s’appliquer aux prochaines élections », martèlent les associations, qui rappellent qu’il ne s’agit pas « d’accorder des avantages aux élus, mais de faire en sorte que l’accès à la fonction d’élu ne devienne pas un privilège ».
Le lendemain de l’envoi de ce courrier, mardi 13 mai, Stéphane Delautrette a encore interpellé le gouvernement à ce sujet, à l’occasion de la séance de questions au gouvernement : « Les élections municipales se tiendront dans moins d’un an. Il est urgent de permettre à tous nos concitoyens, dans leur diversité, quel que soit leur parcours, d’être candidats à des fonctions locales. Aussi, ma question est simple : inscrirez-vous à l’ordre du jour de nos travaux, avant l’été, la proposition de loi sur le statut de l’élu local ? Votée à l’unanimité au Sénat, soutenue par les associations d’élus, elle fait consensus sur nos bancs ! ».
Patrick Mignola, ministre chargé des Relations avec le Parlement, a rétorqué que plusieurs textes d’importance sur les élus locaux avaient été discutés et adoptés depuis le début de l’année – ce qui est exact – dont le texte très important sur l’extension du scrutin de liste paritaire à toutes les communes. Mais le texte sur le statut de l’élu, a-t-il reconnu, ne sera pas inscrit d’ici la fin de la session parlementaire ordinaire, qui s’achève le 30 juin. Ce qui est d’autant plus étonnant qu’en revanche, la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues a bien été, elle, inscrite à l’ordre du jour pour le mardi 3 juin. Cette proposition de loi est certes importante, mais elle n’est certainement pas attendue par les élus avec autant d’impatience que le texte sur le statut de l’élu.
Il reste donc une chance pour voir ce texte débattu avant l’été : c’est la tenue d’une session extraordinaire en juillet, pas encore officiellement décidée par le Premier ministre et le président de la République – à qui il revient de signer le décret. Patrick Mignola l’a promis : si un telle session extraordinaire devait se tenir, le texte sur le statut de l’élu serait « en haut de la liste ».
Hier, sur France inter, le ministre a répété son espoir de voir le Premier ministre arbitrer en faveur d’une session extraordinaire en juillet, voire en septembre. Le statut de l’élu sera-t-il « en haut de la liste » dans ce cas ? Patrick Mignola ne l’a pas évoqué hier – il n’a parlé que d’un texte sur l’emploi des séniors. Et encore faut-il espérer que d’ici la fin de la session ordinaire, tous les grands textes prévus d’ici là aient vu leur examen achevé : fin de vie, simplification économique, refondation de Mayotte, agriculture, programmation énergétique… Chacun de ces textes faisant l’objet de plusieurs centaines, quand ce n’est pas plusieurs milliers d’amendements, l’embouteillage ne fait que s’aggraver, de semaine en semaine, au Palais-Bourbon.
Il reste à espérer que la question du statut de l’élu n’en fasse pas les frais. Ce serait un bien mauvais signal d’encouragement vis-à-vis des élus locaux, alors qu’en septembre, on va « entrer dans le dur » des élections municipales avec le début de la constitution des listes de candidats.
(1) AMF, Départements de France, Régions de France, l’AMRF, l’APVF, Villes de France, France urbaine et Intercommunalités de France.
Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 19 mai 2025.
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