Service public de l’emploi : ce que va changer France Travail
Le rapport de préfiguration de France travail va alimenter le projet de loi « Plein emploi » qui sera présenté début juin. Objectif : la création d’un nouveau service public de l’emploi, début 2024, pour ne plus seulement « laisser venir » mais aussi « aller vers » les demandeurs d'emploi. Ce chantier impliquerait de mobiliser entre 2,3 et 2,7 milliards d'euros sur la période 2024-2026. Au-delà de la transformation de Pôle emploi, la création de France travail doit aboutir à la construction d'un réseau réunissant l'Etat, les collectivités et les partenaires sociaux. Un comité sera créé à chaque niveau territorial d’intervention. La question de la gouvernance continue d’inquiéter le bloc communal qui s’interroge également sur sa place exacte dans le nouveau dispositif.
Le rapport de la mission de préfiguration de France Travail (1) a été remis par le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, le 19 avril, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt. Malgré l’engagement de nombreux acteurs (Etat, régions, départements, communes, opérateurs publics, acteurs associatifs et privés), « la complexité du système engendre son lot d’écueils, pour les demandeurs d’emploi, les entreprises et les professionnels de l’accompagnement », souligne Thibaut Guilluy.
Généraliser les inscriptions
Il préconise l’inscription généralisée, le plus tôt possible, auprès de l'opérateur France Travail. Objectif : « ne plus perdre en route des personnes » et établir rapidement un diagnostic de la situation du demandeur d'emploi, suivi ensuite par un référent. Tous les publics sans emploi seront concernés : jeunes, seniors ou allocataires du RSA. Il s’agit d’éviter les ruptures et d’orienter vers l’emploi, la formation ou un parcours d’accompagnement.
L’inscription se fera en ligne, sur un portail commun ou auprès du réseau des guichets physiques des opérateurs France Travail et de ses partenaires.
Un contrat d’engagement unique
Autre proposition : s’appuyer sur un vaste réseau physique rendant accessible France Travail par un maillage « à moins de 5 ou 10 km de chez soi » sur tout le territoire. Dans le détail, les guichets seraient les 931 agences et points-relais Pôle emploi actuels, les guichets des autres opérateurs (450 Missions locales et 7000 points de contact, 98 Cap emploi) et ceux des partenaires volontaires (Caf, France services, départements, PLIE, Maisons de l’emploi, CCAS, associations…).
Le rapport Guilluy préconise également la création d’un « contrat d’engagement unique », fusionnant les différents contrats existants, afin notamment de mieux graduer les sanctions.
Généraliser les démarches d’aller vers
Il plaide en outre pour « un plan d’investissement massif de l’Etat sur la formation aux côtés des régions » dans le cadre d’une contractualisation pluriannuelle, priorisant l’insertion des publics éloignés de l’emploi et ciblant les métiers en tension. Par ailleurs, la généralisation des démarches d’aller vers passera par une meilleure liaison avec les acteurs de proximité (associations de lutte contre l’exclusion, clubs de sport, associations de quartier, clubs de prévention, CCAS…).
La prévention des ruptures passera aussi par une logique d’« aller chercher » : aide à la recherche du premier emploi des jeunes en dernière année de lycées professionnels ou d’université, appui à l’insertion sur le marché du travail des primo-arrivants…
Parcours intensifs « 15-20 heures »
Le rapport Guilluy recommande d’intensifier l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi, en particulier des allocataires du RSA. Ceux-ci devront s'inscrire à Pôle emploi, seuls 40% d’entre eux l’étant actuellement. Il propose des parcours intensifs avec 15 à 20 heures d’activités d'insertion par semaine. Sujet polémique, ces activités « ne seront pas des heures de travail mais des immersions d'entreprises, des stages, de la formation », est-il précisé. Thibaut Guilluy défend « un choc de l'insertion » passant par un conseiller « qui ait vraiment du temps pour pouvoir les accompagner dans leur parcours de retour à l'emploi ».
Depuis début avril, le gouvernement expérimente l'accompagnement renforcé des allocataires du RSA dans 18 départements (2). Le dispositif devrait être généralisé d’ici 2027.
Gouvernance territorialisée
Face à la complexité actuelle, le haut-commissaire à l’emploi promet une nouvelle gouvernance et collaboration assurées par l’État, les collectivités et les partenaires sociaux. Retoquant la recentralisation, jugée « peu adaptée à la diversité des situations et au besoin de proximité », son rapport ne veut pas non plus d’une nouvelle décentralisation « qui ne ferait qu’empirer l’émiettement des compétences et la dispersion des efforts ».
Il plaide pour « une gouvernance simplifiée et territorialisée de l’écosystème de l’emploi, de la formation et de l’insertion » afin de sortir d’une logique de silos et d’agir au plus près du terrain. Elle serait donc « plus opérationnelle et davantage pilotée par les résultats ».
Quatre niveaux de comités France Travail
S’appuyant sur trois opérateurs (Etat, et collectivités et ensemble de partenaires), le regroupement des instances existantes (plus de vingt) se fera au sein de quatre comités France Travail co-présidés par l’Etat et les collectivités. Objectif : élaborer et suivre des plans d’actions adaptés à chaque territoire, en respectant les compétences de chacun.
Il y aura un comité par échelon territorial d’intervention (bassin de vie, départemental, régional, national). Au niveau du bassin de vie, le comité France Travail local sera « l’échelon opérationnel d’identification des besoins et de la mise en œuvre des actions ». Parmi ses partenaires figureront la région, le département, le bloc communal et les CCAS.
Concernant la gouvernance infra-départementale, Olivier Dussopt a estimé, devant les députés, le 2 mai, « que les élus locaux doivent pouvoir déterminer quel est le niveau de collectivité le plus à même d’assurer le co-pilotage avec l’Etat ».
Les missions locales satisfaites
Parmi les réactions au rapport Guilluy, on attendait la réaction des missions locales qui ont pu craindre durant la concertation une certaine mise sous tutelle de l’Etat. La réaction de ces structures, présidées par des élus locaux, est beaucoup plus positive que celle des régions qui regrette l’absence de clarification des compétences et le choix d’« un entrelacs d’acteurs et de compétences », avec le risque d’une « recentralisation ».
L’Union nationale des missions locales (UNML) se félicite ainsi du rapport qui fait « de l’approche globale de l’accompagnement, portée par les missions locales, un principe fondamental de tous les parcours d’insertion des personnes éloignées de l’emploi ». Elle estime que leur rôle dans l’accompagnement des jeunes est « reconnu et conforté ». De plus, l’UNML juge que France Travail doit permettre d’aller plus loin dans « la clarification de l’articulation des interventions des différents acteurs en misant sur les complémentarités et en limitant les phénomènes de concurrence contreproductifs ». Par ailleurs, elle souhaite que la dématérialisation soit une voie d'accès supplémentaire et non pas une substitution aux accès physiques, en soulignant ici l’atout de ses 7000 points d’accueil.
Quelle place pour la commune et l’EPCI ?
En partie critique, Régions de France salue néanmoins la gouvernance proposée pour France Travail, avec la co-présidence Etat-Région aux niveaux régional et local. Satisfaction également de l’effort d’investissement et de la reconduction d’un plan d’investissement « massif » Etat-Régions pour la formation des demandeurs d’emploi à partir de 2024.
En revanche, l’association regrette la confusion entre l’opérateur et le réseau France Travail. Selon elle, « les comités France Travail présidés par des élus doivent être les seuls responsables des décisions stratégiques qui s’imposeront à l’opérateur ». Une position qui rejoint celle de l’AMF ayant souligné, fin janvier en recevant Thibaut Guilluy, « l’importance que le bloc communal soit associé au pilotage national et territorial de France Travail ». Elle s’inquiète aussi que la place de la commune et l’EPCI, « en prise avec les enjeux de proximité », soit « absente ou diluée dans ces instances ». De même, France urbaine estime qu’il faut « préciser et renforcer le rôle pivot des intercommunalités ». Et d’ajouter que « les compétences mobilisées pour lever les freins à l’emploi et renforcer l’aller vers relèvent des communes et des intercommunalités ».
Pour sa part, Départements de France estime que le rapport de préfiguration « va dans le bon sens ». Mais l’association demande que les montants prévus pour l’extension du dispositif soient pérennes. Autres points de vigilance : la place des départements, les systèmes d’information, le copilotage ou les sanctions.
Philippe Pottiée-Sperry
(1) Rapport de préfiguration de France Travail : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/mission-de-prefiguration-france-travail-rapport-de-synthese-de-la-concertation-avril-2023.pdf)
(2) Aisne, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Côte-d’Or, Creuse, Eure, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Loiret, Mayenne, Métropole de Lyon, Nord, Pyrénées-Atlantiques, Réunion, Somme, Vosges, Yonne, Yvelines.
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