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Simplification normative : le levier prometteur d’un pouvoir préfectoral de dérogation accru

La délégation aux collectivités du Sénat vient de remettre un rapport qui vise à pérenniser et étendre le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. Pointant un dispositif limité et complexe mais aussi une certaine « frilosité » des préfets, il formule dix recommandations. Mobilisée dans la lutte contre l’inflation normative, la délégation a aussi réalisé une nouvelle enquête auprès des élus locaux. Plus d’un sur deux ressent une aggravation de la situation. Par leur complexité ou leur contradiction, les normes ont impacté négativement des projets pour 66% des élus. Avec pour conséquence des coûts plus élevés, des reports voire des abandons de projets. Autre constat : les élus connaissent très peu le pouvoir de dérogation aux normes du préfet, et quand c’est le cas, ils en disent le plus grand bien.

Dans son combat pour lutter contre l’inflation normative, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat actionne tous les leviers. Le 13 février, elle a adopté à l’unanimité le rapport des sénateurs Rémy Pointereau et Guylène Pantel sur le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes (1), remis le 19 février au ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau.

Ce pouvoir permet au préfet de déroger à des décrets du Premier ministre ou des arrêtés ministériels. Expérimenté à partir de 2017, il a été généralisé en 2020. Mais depuis cette généralisation, seulement 628 arrêtés de dérogations ont été pris par les préfets de département et 152 par les préfets de régions. A noter que 90% de ces arrêtés concernent les collectivités.

Un dispositif méconnu des élus

« Trop encadré, le dispositif ne produit pas les effets attendus, son utilisation est limitée et inégale », regrette la délégation sénatoriale. Explications des rapporteurs : une liste trop limitative de sept domaines (2), la complexité des dix critères à remplir pour justifier une dérogation ; la frilosité des préfets, souvent réticents à déroger aux normes en raison de leur culture administrative et des risques contentieux ; la lourdeur de la procédure.

En outre, seulement 16% des élus locaux (38% des présidents d’EPCI) connaissent le dispositif, selon une enquête de la délégation, dont les résultats ont été présentés le 30 janvier. Parmi ces élus, pas plus de 14% l’ont utilisé alors que 72% de ceux l’ayant fait l'ont jugé efficace. Dans les domaines pour lesquels le pouvoir de dérogation est jugé prioritaire, la construction, le logement et l’urbanisme arrivent en tête (29% des répondants).

Dix recommandations sénatoriales

Sachant que le gouvernement affiche la volonté de développer le recours au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes, le rapport veut faire œuvre utile en formulant dix recommandations pour pérenniser et étendre le dispositif. Selon les sénateurs, la plupart pourraient être mises en œuvre rapidement. Objectif affirmé : redonner le pouvoir d'agir aux élus locaux, grâce à une meilleure prise en compte des situations locales et cela dans tous les domaines de l'action publique. Le rapport préconise tout d’abord d’associer les élus locaux à l’exercice du pouvoir préfectoral en remplaçant la commission départementale de conciliation des documents d’urbanisme par une conférence de dialogue dotée d’un périmètre plus large.

Autre recommandation : former et informer les services préfectoraux et les élus sur les potentialités du droit de dérogation aux normes.

Renforcer l’autorité du préfet

Les sénateurs proposent aussi de supprimer la liste limitative des sept domaines au profit d’un principe général de possibilité de dérogation du préfet, pour les décisions individuelles relevant de sa compétence. De plus, il serait donné une assise constitutionnelle à ce pouvoir de dérogation aux normes en disposant que le préfet est chargé « du respect des lois mais également de leur application ».

Par ailleurs, pour qu’il soit réellement le patron des services déconcentrés, la délégation demande une nouvelle fois de consolider son autorité sur tous les services de l’Etat, y compris les opérateurs locaux et les agences. Le nommer délégué territorial de toutes les agences lui permettrait de déroger à des normes relevant de services qui échappent aujourd’hui à sa compétence (ARS, rectorats, Ademe, OFB…).

Même si le contentieux administratif relatif à l’exercice de ce pouvoir est quasi inexistant, les sénateurs recommandent d’analyser le risque pénal et, si besoin, de sécuriser l’acte de dérogation préfectoral. Enfin, le rapport plaide pour utiliser le droit de dérogation comme « un signal d’alerte permettant de détecter des normes trop complexes, inutiles ou inefficaces ».  

Logement et urbanisme : une mission du Conseil d’Etat

Face aux fortes attentes des élus pour simplifier les règles relatives à la construction, au logement et à l’urbanisme, le président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), Gilles Carrez, a annoncé, le 30 janvier, devant la délégation sénatoriale, qu’un travail spécifique allait être engagé sur le sujet par le Conseil d’Etat, suite à une saisine du Premier ministre. La première tâche sera de définir un périmètre sur l’élaboration de tous les schémas (Scot, PLU, ZAC complexes…). « Le Conseil d’Etat va mener une mission rapide de deux ou trois mois afin de formuler une série de préconisations », indique Gilles Carrez. Sur cette base, le CNEN et les associations d’élus formuleront à leur tour des propositions de simplification réglementaire. « Il y aura aussi une approche de ‘délégalisation’ (3) qui nécessite de saisir le Conseil constitutionnel, lequel donne son accord rapidement dans 90% des cas », souligne le président du CNEN qui veut ainsi « éviter de repartir dans un processus législatif compliqué et long ».

Critique de la lourdeur administrative

53 % des élus locaux ressentent une aggravation des normes depuis trois ans, le chiffre grimpant à 59% pour les maires et même à 67% pour les présidents d’EPCI. Tel est l’un des résultats de l’enquête de la délégation sénatoriale, menée en novembre et décembre 2024 avec IPSOS (réponses de 2613 élus locaux). Mais à la même question, posée dans la précédente étude de 2023, les élus locaux avaient répondu à 80%. « Une lueur d’espoir », selon Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation sénatoriale. « Sondage après sondage, ils continuent néanmoins de nous dire que ce sujet figure en tête de leurs priorités », a-t-il reconnu, lors de la présentation de l’enquête, organisée le 30 janvier à l’occasion d’une matinée sur la simplification des normes pesant sur les collectivités. Parmi les items les plus cités par les répondants figurent la lourdeur administrative ou la complexité liée à la dématérialisation et à la numérisation.

Impact négatif des normes sur les projets

Par leur complexité ou leur contradiction, les normes ont impacté négativement certains projets pour 66% des élus (69% des maires et 78% des présidents d’EPCI). Avec pour conséquence de supporter un coût plus élevé (59% des élus et 82% des présidents d’EPCI), de devoir les modifier (44%), les reporter (40%) voire les abandonner (26%).

Lors d’expériences négatives, seulement 20% des élus (41% des présidents d’EPCI) affirment avoir été bien accompagnés par l’Etat pour résoudre les difficultés rencontrées liées aux normes. De façon surprenante, ce ne sont pas les élus des toutes petites communes qui se sentent les moins bien accompagnés (21% de oui) mais ceux des grandes villes (13%).

Dans un souci de simplification, 79% des élus se disent favorables à la mise en place d’un guichet unique en préfecture pour faciliter leurs démarches.

Assises de la simplification le 3 avril

Selon Rémy Pointereau, « une forte volonté politique doit permettre d’améliorer la situation ». Très prochainement, une mission sera mise en place sur les surcoûts de construction pour les collectivités, liés aux normes. Toute l’activité de la délégation sénatoriale va nourrir les Assises de la simplification qui se tiendront au Sénat le 3 avril. Elles feront le bilan de la charte de la simplification, signée le 16 mars 2023 entre le gouvernement et le Sénat. Et, surtout, elles devraient « déboucher sur des recommandations concrètes qui pourraient se traduire dans plusieurs propositions de loi pour simplifier le travail des collectivités », souligne le vice-président de la délégation.

Philippe Pottiée-Sperry

 

(1) Rapport « Le pouvoir préfectoral de dérogation, un outil au service des territoires ? », consultable sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/notice-rapport/2024/r24-346-notice.html

(2) Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien économique, des associations et des collectivités ; aménagement du territoire et politique de la ville ; environnement, agriculture et forêts ; construction, logement et urbanisme ; emploi et activité économique ; protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; activités sportives, socio-éducatives et associatives.

(3) Quand une loi a été adoptée dans un domaine relevant du règlement, la procédure de délégalisation (article 37, al. 2 de la Constitution) permet au gouvernement d’en modifier les dispositions. Cette procédure évite un recours systématique à la voie parlementaire pour modifier des textes de forme législative, mais de nature réglementaire.

Référence : BW42503
Date : 24 Fév 2025
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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