L’issue des débats fait peu de doute : en écoutant les orateurs qui se sont succédé à la tribune, lundi soir, lors de la discussion générale sur la proposition de loi créant un statut de l’élu, il y a tout lieu de penser que ce texte sera adopté à l’unanimité, vendredi.
Deux ministres se sont exprimés en ouverture des débats – François Rebsamen et Françoise Gatel – pour se réjouir et dire leur « fierté » de voir enfin aboutir un texte qui « exprime la reconnaissance de tous les Français envers leurs élus locaux », comme l’a déclaré l’ancien maire de Dijon. « Cette proposition de loi tend à redonner à chacun de nos concitoyens, quelle que soit sa situation personnelle, familiale, professionnelle, quels que soient son âge, les moyens et l’envie de s’engager : c’est là tout le sens de la promesse républicaine », a complété Françoise Gatel.
Tous les orateurs, toute tendance politique confondue, ont déclaré leur soutien à ce texte, avec toutefois quelques nuances – plusieurs orateurs, plutôt du côté de la gauche, ont regretté que la reconnaissance d’un statut de l’élu ne s’accompagne pas de moyens financiers et intervienne au moment où la liberté d’agir des élus locaux est de plus en plus « bridée ». La plupart des orateurs ont également repris les chiffres des récentes enquêtes du Cevipof et de l’AMF, d’une part sur la confiance des Français envers les maires, d’autre part sur le nombre de maires démissionnaires, en hausse pendant ce mandat (lire Maire info du 2 juillet).
Le premier débat a eu lieu sur la question de la revalorisation des indemnités des maires. Il est apparu très vite dans la discussion que la version adoptée par le Sénat – à savoir une revalorisation uniforme de 10 % des indemnités, quelle que soit la strate – ne satisfaisait personne à l’Assemblée nationale : les députés estiment qu’une telle revalorisation uniforme présente l’inconvénient de sanctuariser les différences de traitement entre maires de petites et de grandes communes. Pour mémoire, actuellement, le maire d’une commune de moins de 500 habitants peut toucher au maximum une indemnité de 1048,78 euros, tandis qu’un maire d’une ville de plus de 100 000 habitants peut aller jusqu’à 5 960,25 euros.
Le gouvernement a également pointé le fait que la revalorisation uniforme souhaitée par le Sénat aurait, pour les communes, un coût de plus de 66 millions d’euros.
Une demi-douzaine d’amendements a été présentée pour proposer d’autres solutions, toutes allant dans le sens d’une augmentation inversement proportionnelle à la taille de la commune – autrement dit, une augmentation de l’indemnité plus importante dans les petites communes que dans les grandes. Le gouvernement a proposé une augmentation de 8 % pour les plus petites communes, décroissant jusqu’à 4 % pour les plus grandes. D’autres ont suggéré de rester à 10 % pour les petites communes, mais de ne procéder à aucune augmentation pour les grandes.
C’est finalement un amendement du MoDem qui a été adopté, mais de façon indirecte : l’amendement MoDem a été retiré au profit de celui du gouvernement, mais repris à son compte par le groupe LFI… et adopté. Il présente une solution médiane, bien qu’assez proche de celle du gouvernement : une revalorisation dégressive, allant de 7,84 % pour les communes de moins de 500 habitants, à 1,38 % pour celles de plus de 100 000. Cette solution diviserait par deux le coût de la mesure (34,5 millions d’euros) et atténuerait légèrement le rapport entre les indemnités les plus basses et les plus élevées.
Si cette solution subsiste dans le texte final, l’indemnité serait portée aux montants suivants :
Un autre débat a eu lieu sur l’écrêtement des indemnités. Pour mémoire, en cas de cumuls de mandat, le Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit qu’un élu ne peut percevoir un total d’indemnités supérieur à « une fois et demie le montant de l’indemnité parlementaire », soit 8 897,93 euros. Au-delà de cette somme, les indemnités sont écrêtées.
Cette règle concerne non seulement les fonctions d’élus, mais également les fonctions non électives qui y sont liées, comme le fait d’être membre du conseil d’administration d’un établissement public local. La proposition de loi suggère d’alléger la règle, en ne réservant la limite de 8 897,93 euros qu’au seul cumul de mandats électifs.
La discussion sur cet article a permis un débat sur l’écrêtement, certains députés proposant de diminuer le plafond, en le passant à 7 912 euros ; d’autres, du MoDem, suggérant une mesure plus radicale mais permettant plus de « transparence » : l’interdiction du cumul des indemnités, en ne permettant à un élu titulaire de plusieurs mandats que de percevoir l’indemnité la plus élevée : par exemple, un conseiller municipal qui serait également conseiller communautaire et député ne toucherait que l’indemnité de député.
Ces propositions ont toutes été rejetées.
Un autre débat assez âpre a eu lieu à propos de l’article 3 du texte. Celui-ci – répondant à une revendication ancienne des associations d’élus, notamment l'AMF – vise à faire bénéficier les élus locaux de l’octroi de trimestres supplémentaires pour le calcul de leur retraite.
Cet article 3, adopté par le Sénat et validé par la commission des lois de l’Assemblée nationale, ne paraît pas excessivement généreux : il prévoit que les maires, adjoints, présidents ou vice-présidents de conseils régional ou départemental, notamment, bénéficient d’un trimestre supplémentaire par mandat complet, dans la limite de 8 trimestres supplémentaires au maximum.
Pour mémoire, un tel dispositif existe déjà notamment pour les sapeurs-pompiers volontaires.
Ce dispositif appliqué aux maires, pour relativement modeste qu’il fût, a provoqué l’ire du gouvernement et du bloc central, qui ont estimé qu’il représentait une mesure « exorbitante du droit commun » et une dépense publique impossible à assumer. Le gouvernement a présenté un amendement de suppression de cette disposition.
Du côté des partisans de ce dispositif, les députés ont fait valoir qu’il s’agissait d’une mesure de « reconnaissance de l’engagement des élus locaux et du temps passé ». La fonction d’élu doit être « plus attractive », ont fait valoir ces députés. « Lorsque l’on est élu, parfois on travaille moins ou on ne travaille plus, et cela a un impact sur la durée de cotisation », a expliqué Élisa Martin (LFI).
Manifestement agacée, la ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a fait un long plaidoyer contre cette mesure. « J’entends ce qui a été dit sur l’investissement en temps des élus, (…) mais cette mesure créerait une nouvelle charge qui aggrave le déficit de notre système de retraite de plus de 45 millions d’euros par an. Cet article reviendrait à faire financer par la jeune génération des droits supplémentaires pour une catégorie spécifique. Ceci n’est pas acceptable. »
La ministre – ainsi que d’autres orateurs Ensemble pour la République ou MoDem – a rejeté la comparaison avec les sapeurs-pompiers, en arguant que les élus, eux, touchent déjà une indemnité « leur ouvrant des droits à la retraite », et peuvent même désormais cotiser volontairement à l’assurance vieillesse si nécessaire.
Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) a lui aussi demandé la suppression de ce dispositif, déclarant que « nos comptes publics brûlent et que la représentation nationale regarde ailleurs ». « Vous voulez aggraver le déficit de nos comptes publics ? », a-t-il lancé aux défenseurs du dispositif. « Tout cela n’a aucun sens ! ».
Les membres du groupe macroniste ne sont toutefois pas tous d’accord sur ce sujet. La députée Violette Spillebout, par exemple, a défendu le dispositif, estimant que certes « nous sommes à un moment difficile pour financer cette mesure, mais que la reconnaissance des élus est le cœur de cette proposition de loi ». Stéphane Delautrette, président de la Délégation aux collectivités territoriales, a lui aussi vivement défendu le système de bonification des retraites. « De quoi parle-t-on ? Ce texte est censé relancer des vocations, susciter de l’engagement. Les élus ne demandent pas de privilèges, ils demandent de la reconnaissance ! Les élus passent en moyenne 34 heures par semaine au service du contribuable dans leur mairie ! Préférez-vous les remplacer par des fonctionnaires ? Cela coûterait beaucoup plus cher que cette mesure ! ».
C’est cette vision qui l’a emporté : les amendements de suppression du dispositif ont été rejetés, lors d’un scrutin public. 130 députés ont voté contre la suppression de cette majoration de trimestres, et seulement 32 pour. Une fois encore, les rangs plus que clairsemés dans le camp gouvernemental n’ont pas permis à l’exécutif de faire triompher ses positions.
Les débats continuent pendant trois jours encore, l’adoption définitive du texte, en première lecture, devant se faire vendredi. La deuxième lecture aura lieu, selon toute vraisemblance, fin septembre.
Franck Lemarc pour Maire-info, article paru le 9 juillet 2025.
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