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Stéphane Delautrette, député de la Haute-Vienne : « Il faut défendre et renforcer le rôle des collectivités »

Nouveau président de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, Stéphane Delautrette met en avant son passé d’élu local et rural. Compte tenu des nombreuses démissions de maires, il plaide pour l’adoption rapide d’un texte facilitant l’engagement local à l’approche des municipales. Fustigeant des coupes budgétaires « scandaleuses » et « dramatiques » pour l’investissement local, le député de la Haute-Vienne défend également un nouvel acte de décentralisation comme une réelle autonomie financière et fiscale des collectivités. En matière d’intercommunalité, il prône une liberté de choix laissée aux maires mais sans remettre en cause ce qui existe déjà.

Vous avez été élu, début octobre, président de la délégation aux collectivités et à la décentralisation de l’Assemblée nationale. Quelles sont vos priorités ?

Tout d’abord, avant d’être élu député en 2022, j'aime rappeler que j’ai été maire d’une commune de moins de 700 habitants pendant 15 ans, président d'une petite intercommunalité et de l'association départementale des maires de Haute-Vienne, et vice-président du département. Ce parcours d'élu local et rural m'a inévitablement conduit, quand je suis arrivé au Palais Bourbon, à suivre les sujets ayant trait aux collectivités. Membre depuis deux ans de la délégation aux collectivités, j’ai décidé de me présenter à sa présidence.

Parmi mes premières priorités figure la poursuite du travail initié lors de la précédente législature sur les difficultés à constituer des listes représentatives, notamment des femmes et des jeunes, à l’approche des municipales. Il est urgent de s’attaquer à tout ce qui fait barrage à l'engagement local. Durant les auditions de la mission d’information sur le statut de l’élu, nous avions vu la grande difficulté à concilier vie professionnelle et vie de famille pour les femmes, avec notamment la question de la maternité et de l'exercice d'un mandat. De même, des étudiants demandaient de pouvoir à la fois poursuivre leurs études et exercer un engagement local.

Que proposez-vous ?

J’ai déposé une proposition de loi (PPL) en 2023 à l'occasion du Congrès des maires. Le travail de la mission de la délégation aux collectivités a lui aussi débouché sur une PPL, cosignée par tous les groupes politiques, et portée par Violette Spillebout et Sébastien Jumel. Compte tenu de l’importance du sujet, et des démissions de maires et d’élus en cascade, nous avons redéposé avec Violette Spillebout, dès cet été, une nouvelle PPL agrégeant nos deux textes antérieurs. Nous faisons le tour des ministres pour donner une chance à cette PPL consensuelle d’être adoptée rapidement, avant les prochaines municipales. J’ai déjà pu évoquer cette urgence avec les ministres Catherine Vautrin et Françoise Gatel qui voient de l’intérêt dans notre démarche.

Comment jugez-vous les restrictions budgétaires pour les collectivités prévues dans le projet de loi de finances pour 2025 ?

Elles sont scandaleuses d’autant qu’en réalité, on est plus près des 10 Md€ que des 5 Md€ annoncés par le gouvernement Barnier. Il faut en effet ajouter le coût de la non indexation des dotations sur l’inflation depuis deux ans et la coupe de 1,5 Md€ dans le Fonds vert alors qu’il y a urgence à investir davantage dans la transition écologique. Il ne faut pas non plus oublier les conséquences de la hausse prévue de quatre points des cotisations patronales des employeurs territoriaux, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, pour combler le déficit de la CNRACL.

Je comprends le tollé des associations d’élus car l’impact sur l'investissement local va être dramatique. Ces mesures ont été prises par des personnes n’ayant jamais eu de responsabilités locales. Je crains que les petites communes, qui avaient un projet d’investissement sur le mandat, soient obligées de l’abandonner. Cela va impacter la vie quotidienne des habitants et l'économie locale en touchant le secteur du bâtiment déjà pas très en forme. Je pense en particulier aux travaux de rénovation énergétique des écoles et des bâtiments communaux alors que l’Etat incite fortement les élus à les faire. Une nouvelle injonction contradictoire !

Quelle sera votre position durant le débat parlementaire ?

Je serai porteur d'amendements pour revenir sur toutes les coupes budgétaires touchant les collectivités. Sur ce sujet, il devrait y avoir un consensus des différents groupes politiques pour peser face au gouvernement. Durant le débat parlementaire, on doit pouvoir parvenir à infléchir sa position sur certaines décisions. Mais les supprimer totalement, je n’y crois guère.

Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, ne veut pas d’une « grande réforme » sur les compétences locales. Qu’en pensez-vous ?

La loi « 3DS » n’a pas permis grand-chose. Il faut réellement un nouvel acte de décentralisation face à un Etat en situation d’échec et des collectivités qui pourraient mieux faire, avec plus d’efficience. Ce qui n’empêcherait pas l’Etat de continuer à jouer son rôle régalien et de vigilance.

Je suis d’accord pour mieux faire aboutir les transferts de compétences et clarifier le qui fait quoi, mais attention à la manière d’opérer car cela peut avoir des conséquences graves pour le bloc communal. Il y aurait un vrai danger à demander à chaque niveau de collectivité de rester dans son couloir car bon nombre de projets aboutissent justement grâce aux financements croisés.

Qu’attendez-vous de la mission confiée par la ministre à Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières ?

Sur plus de simplification, on ne peut être que d’accord. Mais cela dépend aussi de quoi on parle. S’attaquer à l'enchevêtrement des compétences signifie en réalité bien souvent de justifier les restrictions budgétaires. Concernant les départements, l’Etat a du mal à accepter leur rôle d’accompagnement des communes sur certains investissements. Mais s’ils le font, c'est pour assurer la solidarité territoriale que l’Etat assure de moins en moins.

La vraie question est de redonner de l'autonomie financière et fiscale aux collectivités. Un sujet essentiel même si cela ne doit pas fournir un alibi à l'Etat pour se désengager complètement de l'accompagnement financier des collectivités. Un juste équilibre est nécessaire.

Faut-il revenir sur certains transferts de compétences aux EPCI, notamment en matière d’eau et d'assainissement comme l’a annoncé le gouvernement ?

Les élus veulent avant tout de la stabilité, sans une nouvelle réforme qui remette en question la relation commune-EPCI et revienne encore sur les compétences à transférer. L'intérêt de l'intercommunalité, c'est au contraire de travailler ensemble. Il faut laisser aux élus la possibilité de s'organiser librement à l'échelle de leur territoire. Les transferts doivent être le fruit d'une volonté locale de travailler ensemble sur tel ou tel sujet. Ce qui sera vrai sur un territoire ne le sera pas sur un autre. Mais cette liberté de choix ne doit pas remettre en cause ce qui existe déjà.

S’agissant du transfert eau et assainissements aux communautés de communes, même si certaines communes n’y étaient pas favorables, les études et les diagnostics ont déjà été lancés car le 1er janvier 2026 c’est demain. Cela représente beaucoup d'argent investi. Je ne suis donc pas convaincu de l’intérêt de revenir sur ce transfert, ce qui n’empêche pas de réfléchir aux difficultés existantes et d’identifier des solutions auprès des EPCI ayant pris la compétence par anticipation.

Vous avez été co-rapporteur d'une mission flash sur les communes nouvelles ayant rendu ses conclusions en octobre 2023. Comment relancer le mouvement ?

Les communes nouvelles constituent une bonne solution car il s’agit d’une démarche volontaire des élus concernés pour répondre aux besoins de leur population. Mais cela reste un processus très long et compliqué. Dans les remontées de maires lors des auditions de la mission, il ressortait la nécessité de renforcer les moyens financiers et en ingénierie pour les accompagner. La durée de la dotation d'amorçage devrait passer de trois à cinq ans pour être plus en phase avec le temps nécessaire pour initier une telle démarche. Par ailleurs, il faut mieux faire connaître le dispositif, notamment à l'approche des municipales.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

Crédit photo ©Assemblée nationale – 2024

Référence : BW42361
Date : 24 Oct 2024
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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