Le maire de Lens et président de la communauté d'agglomération de Lens-Liévin (CALL) souligne la complémentarité qui doit exister entre la commune et l’intercommunalité. Sylvain Robert estime que la campagne des municipales doit permettre d’expliquer ce fonctionnement bien particulier à la population tout en rappelant le repère important que représente la commune au quotidien. En matière de décentralisation, le co-président de la commission Aménagement de l’AMF insiste pour que l’Etat ne s’en serve pas juste comme « un moyen de transférer des charges sur les collectivités ». L’élu plaide pour une philosophie et une conduite qui soient claires sur le sujet. Il défend aussi une décentralisation qui s’accompagne d’une réelle réforme de la fiscalité locale.
Avec l’annonce par Sébastien Lecornu d’un projet de loi sur la décentralisation, déposé en décembre, le sujet revient dans le débat public. Qu’en pensez-vous ?
Ce n'est pas un sujet qui intéresse beaucoup la population. Pourtant, l'organisation territoriale a un impact réel sur elle dans sa vie de tous les jours. Si le sujet est important, il ne doit pas juste se transformer en moyen de transférer les charges de l’Etat sur les collectivités, sans compensations ou alors très partielles dans un premier temps pour vite se décharger complètement sur elles. Sur des compétences comme la sécurité ou la santé, l’Etat se déporte trop souvent sur les collectivités. Faute de réponse de sa part, et compte tenu du repère que représente les communes, les citoyens se retournent donc logiquement vers elles. Problème : nous nous retrouvons à répondre à des questions sur lesquelles nous n’avons ni la compétence, ni les moyens pour pouvoir agir.
Concernant ses compétences régaliennes, l’Etat doit assumer ses responsabilités, ce qu’il fait de moins en moins. La loi Notre a amené un peu de clarté avec la spécialisation, notamment sur la compétence développement économique entre la région et les agglomérations. Sur les mobilités, nous sommes plusieurs à intervenir entre la région, l'agglo, un syndicat mixte quand il existe et l’Etat qui gère le réseau national ferré. Comment simplifier cette situation et renforcer la compétence au niveau des collectivités ? La question n’est pas si simple. En réalité, c'est la teneur et le sens qu'on donne à la décentralisation qui apparaissent importants. Il faut avancer dans cette direction et arrêter de transférer uniquement pour baisser le budget de l'Etat.
Vous insistez également sur le besoin de réformer la fiscalité locale
Oui car un nouvel de décentralisation devrait absolument s'accompagner d’une refonte de la fiscalité locale. La péréquation horizontale n’existe pas réellement. Je fais partie des villes très pauvres sans réel levier fiscal. Nous n’avons pas de résidences secondaires permettant de mettre en place une taxe additionnelle. Vu le nombre de logements sociaux à Lens, seulement un tiers de la population paye la taxe foncière. Si les attentes sont les mêmes qu’ailleurs, ce n’est pas le cas de nos recettes qui nous permettent peu de choses.
Les charges ne sont pas les mêmes selon les villes. Certaines peuvent faire beaucoup grâce à des recettes importantes. A Lens, le taux d'imposition sur la taxe foncière s’élève à 71,14% avec donc peu de recettes, ce qui limite nos capacités d’action. Ce phénomène creuse de plus en plus les écarts entre les territoires. Avec un taux très élevé de logements sociaux, Lens ne dispose forcément pas des mêmes ressources que des villes comme Neuilly-sur-Seine ou Nice.
Avec la suppression de la taxe d'habitation, les collectivités ont encore perdu un levier d’action important. Leur autonomie financière disparaît progressivement à cause de décisions totalement déconnectées de ce que vit une ville au quotidien. Le lien entre les citoyens et les collectivités par l’impôt existe de moins en moins. Ce décalage peut aussi exister dans la baisse de reconnaissance des citoyens vis-à-vis des élus municipaux.
Pensez-vous qu’il faut donner de nouvelles compétences à l’intercommunalité, notamment sur le logement ?
La communauté d’agglomération de Lens-Liévin (CALL) est délégataire des aides à la pierre. Nous faisons partie des communes les plus pauvres de France avec des besoins très importants de rénovation énergétique des logements et une population qui souffre de coûts énormes de l’énergie. Il faut qu’on nous donne les moyens nécessaires pour répondre à cette situation.
D’un autre côté, les communes ont une vraie connaissance de la population. Recevoir des personnes dans nos permanences nous permet de comprendre leurs situations et leurs besoins en matière de logement. Dans le pays, et en particulier dans des territoires comme les nôtres, il existe une demande de logements sociaux en forte augmentation. L'échelon communal, et sa proximité, apporte un plus dans l'accompagnement. Pour sa part, l’échelle de l'agglo est légitime sur la gestion de la cohérence territoriale, de l'approche spatiale et de la constructibilité, et plus globalement sur les règles d’urbanisme. En revanche, sur l'attribution de logements et la relation avec la population, l'échelon municipal reste pertinent en permettant de faire de la dentelle au quotidien avec donc des politiques réellement applicables sur le terrain.
Devant avoir un seul représentant au sein des commissions d'attribution des logements, nous essayons de le faire aux maximum avec les communes. Le représentant de l'agglo, avec 36 communes et 250 000 habitants, ne peut pas connaître tous les dossiers dans le détail ! Sur la compétence logement, les deux échelons ont un rôle à jouer. Pour la relation directe avec la population, la commune est en première ligne.
Y-aurait-il, selon vous, d'autres transferts de compétences à effectuer ?
Cela dépend des catégories d’intercommunalités et des différences de compétences obligatoires entre communauté de communes et communautés d'agglomération car les sujets à traiter ne sont pas toujours les mêmes.
Au-delà des compétences optionnelles déjà prises par la CALL, nous venons de prendre la compétence du réseau de chaleur car il semblait logique de travailler sur ce sujet à l’échelle intercommunale. Autre exemple d’aménagement plus structurant : le déploiement des bornes de recharge pour les véhicules électriques. L’échelle de l’agglo est plus cohérente pour la population afin de ne pas changer d’application et de fournisseur entre chaque commune.
Quel impact aura le contexte politique national et parlementaire sur la campagne des municipales ?
Chez nous, ce contexte aura forcément des répercussions sur la campagne. Le dernier repère au quotidien reste la commune, d’autant plus face à l’instabilité actuelle. Tout devient un peu de sa responsabilité ! Par moments, la surenchère des uns et des autres au niveau national aura un impact au niveau local. La tentation existera de dire que tout est possible. Mais dans nos communes, nous avons les pieds bien ancrés dans la terre, avec l’habitude d'être cohérents et de ne pas faire des promesses qui ne peuvent pas être tenues.
Concernant l’intérêt de participer aux élections, le citoyen regarde-t-il juste le service qui lui est rendu ou se pose-t-il la question de la façon dont il est rendu ? C’est un peu ça le vrai enjeu des élections. Même si ce n’est pas souvent aisé, il faut leur expliquer comment ça fonctionne au niveau des communes mais aussi les actions de l'agglo ayant un impact important sur leur vie quotidienne (eau, déchets, mobilités…). Chez nous, une bonne partie de la population perçoit l’intérêt de l’agglo et connaît ses grandes missions comme les déchets, l’eau et l'assainissement, les transports notamment avec les bus gratuits à partir de début 2026... Quand on évoque la CALL, ça leur parle !
Propos recueillis par Pierre Plessis
Crédit Photo ©Ville de Lens
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