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Transfert des digues domaniales : « une insécurité politique, financière et juridique » pour Xavier Dupont

Les conditions du transfert des 550 km de digues domaniales aux intercommunalités dotées de la compétence Gemapi, dont la date butoir était le 29 janvier dernier, suscitent beaucoup de mécontentements. Informations incomplètes données par l’Etat au dernier moment, ouvrages souvent en mauvais état, divergences d’interprétations, financements très insuffisants… « Tout cela alors qu’il s’agit de la sécurité des populations face au risque d’inondation », interpelle Xavier Dupont, maire de Rillé (Indre-et-Loire) et président de la communauté de communes Touraine Ouest Val de Loire (38 communes, 35 000 habitants). En première ligne dans une région particulièrement concernée, il pointe l’Etat qui « n’a jamais été transparent sur ce dossier » et « transfère la charge sans les moyens ».

Pouvez-vous nous resituer le transfert des digues domaniales aux intercommunalités ?

La loi « Maptam » du 27 janvier 2014 a transféré la compétence Gemapi [gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations] aux EPCI avec un délai de dix ans pour ceux ayant des digues domaniales sur leur territoire. Les conventions de transfert de gestion de ces digues avec l’Etat devaient donc être signées avant le 29 janvier dernier.

Dans un premier temps, les intercommunalités se sont surtout concentrées sur la partie Gema – le grand cycle de l’eau. Celles concernées par un transfert des digues ne percevaient pas toujours bien l’importance de l’enjeu. Cela a été le cas dans mon EPCI car nous possédons 35 km de digues pour 35 000 habitants ! En voyant le ratio d’un million d’euros à investir par km de digue, nous nous sommes alarmés très tôt.

Que jugez-vous de plus critiquable dans les conditions de ce transfert ?

Dès 2014, l’Etat aurait dû poser un état des lieux précis et une connaissance des ouvrages à transférer. Ce qui n’a pas été fait. Il y a même eu beaucoup d’approximations dans certains endroits avec aussi des habitudes de travail variables d’une DDT à l’autre.

Au-delà de son rôle d’accompagnement, l’Etat aurait dû être dans une posture normale de délégant pour déléguer proprement et nous fournir un état des lieux physique et financier précis de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire. Dans les conventions de transfert, issues des décrets de novembre dernier, ce n’est toujours pas limpide. Le webinaire organisé par l’AMF en décembre dernier a bien montré de très gros écarts entre territoires comme dans les discours de l’Etat sur la préparation du transfert.

L’Etat n’a donc pas rempli son rôle ?

Non et il joue même avec la sécurité des populations. Aujourd’hui, personne n’est prêt à cause d’un périmètre et d’un régime financier qui ne sont pas les bons comme d’une impréparation physique et technique. Comme il s’agit d’un transfert de gestion et non de compétence, l’Etat reste propriétaire mais nous confie toutes les responsabilités et cela sans moyens financiers supplémentaires. Il nous transfère la charge sans les moyens. S’y ajoute la responsabilité pénale du président de l’EPCI si une inondation découle d’un mauvais entretien des digues. Cela explique aussi la forte inquiétude des élus.

Concernant la gestion de crise, l’Etat n’a pas profité de la période de transition pour proposer aux agents des collectivités des formations sur la surveillance des levées. Chez nous, c’est l’EPL (Etablissement public Loire) (1) qui vient de le faire.

Considérez-vous l’échelle intercommunale adaptée pour gérer la compétence Gemapi ?

Dès le départ, retenir cette échelle n’a pas été pertinent par rapport à la géographie des vals qui est beaucoup plus large. Quand l’Etat instaure une taxe Gemapi, qui peut avoir du sens sur la partie Gema, cela ne l’a plus du tout pour la partie prévention des inondations. Cela revient à faire surpayer des contribuables EPCI pour la protection contre un risque qui est régalien et normalement fléché sur le Fonds Barnier. Le constat est le même pour les contrats d’assurance !

Le périmètre de gestion et de planification n’est pas le bon. La loi aurait dû mettre la compétence au niveau des EPTB [établissements publics territoriaux de bassin] ou de structures dédiées sur l’échelle du val. Ma communauté de communes a fait le choix d’un système de délégation de gestion avec notre EPTB qu’est l’EPL. A cheval sur six régions, il a inventé un système de plateformes, plus proches des territoires, pour l’entretien du quotidien, la gestion et la surveillance.

Comment avez-vous anticipé le transfert des digues ?

L’intelligence n’est pas venue de la loi mais du terrain. Nous nous sommes unis pour travailler à l’échelle de l’EPL, ce qui nous a sauvé par rapport aux autres EPCI restés isolés. L’EPL avait anticipé ce transfert de gestion, bien que n’ayant pas la compétence, en élaborant un projet d’aménagement et d’intérêt commun, équivalent d’un schéma de gestion des digues. Il a permis d’identifier les linéaires de digues, domaniales et non domaniales, et un niveau de protection moyen mais aussi de pouvoir extrapoler les besoins en investissement et en fonctionnement. Nous avons ainsi disposé d’une base de travail commune entre EPCI puis d’une base de négociation avec l’Etat.

Sur la Loire, pas moins de 60 intercommunalités se situent le long du linéaire de protection. Certains ouvrages sont très importants avec des digues pouvant faire jusqu’à sept mètres de hauteur à certains endroits. Travailler à l’échelle de l’EPL nous a permis la mise en chantier en 2016 du PAIC (projet d’aménagement d’intérêt commun pour la gestion des infrastructures de protection contre les inondations sur le bassin de la Loire et ses affluents) qui a été validé en 2021.

A-t-il pu estimer le montant des travaux nécessaires ?

Le PAIC a identifié un besoin de 350 millions d’euros pour une programmation de travaux sur vingt ans afin d’avoir un niveau de protection suffisant des digues à l’échelle du Val de Loire. Et il s’agit d’une estimation basse !  Cela signifie donc un déficit très important et anormal sur les investissements au moment du transfert. S’agissant du fonctionnement, l’estimation, basse là aussi, s’élève à 2500 euros par km, et cela sans aucune compensation de l’Etat ni transfert de personnels. Sa seule réponse est toujours de renvoyer sur la taxe Gemapi !

Mais comment va-t-on faire ? Cela va nous obliger à des arbitrages budgétaires très douloureux pour payer la mise en sécurité au détriment des services à la population. Mieux vaut être un EPCI qui n’est pas au bord de la Loire et sans digues ! Là encore, l’Etat n’a rien prévu alors qu’il aurait fallu mettre en place une solidarité entre EPCI selon leurs moyens.

Voilà dans quelle situation d’insécurité politique, financière et juridique ont été mis les élus locaux ! Je connais un EPCI qui va tenter un contentieux. De plus, certains élus vont refuser le classement.

Quelle solution préconisez-vous ?

Le minimum serait de trouver une compensation financière à hauteur de 100% en investissement et en fonctionnement. La solidarité nationale doit répondre à de tels enjeux. Il n’est pas normal de faire appel à la taxe Gemapi – de surcroit largement insuffisante – pour financer la prévention des inondations devant rester de la compétence de l’Etat. Il faudrait amender la loi « Maptam » pour donner un réel appui réglementaire à l’accompagnement des territoires concernés. Si rien n’est fait, nous risquons vraiment d’avoir un jour une catastrophe.

Sur toutes nos demandes, nous n’avons toujours pas de réponses de l’Etat. A cela s’ajoute un autre problème majeur : l’Etat était assez conciliant avec les règles qu’il s’imposait à lui-même, mais demain ça risque de ne plus être la même chose. Je pense notamment aux logements encastrés depuis longtemps dans les systèmes d’endiguement qui créent des points de fragilité. L’Etat n’a jamais rien fait mais demain il pourrait nous demander d’intervenir, d’exproprier et de détruire les maisons pour renforcer la digue. Il existe d’autres bombes à retardement de ce type.

 

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

(1) L’EPL est un établissement public territorial de bassin (EPTB). Ayant le statut de syndicat mixte, il se compose de six régions, 16 départements et 22 villes et EPCI du bassin versant de la Loire, ainsi que de six syndicats intercommunaux d'aménagement de la Loire et de ses affluents.

 

Crédit Photo ©CCTOVAL

 

Référence : BW42112
Date : 8 Fév 2024
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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