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Risque inondation : « Il faut redonner au local une liberté totale d’action » pour Sébastien Leroy

Maire de Mandelieu-La Napoule (06) et coprésident de la mission prévention des risques de l’AMF, Sébastien Leroy se déplace dans toute la France pour dresser un état des lieux. Face à une « situation particulièrement grave » qui va encore s’accentuer avec la multiplication des événements climatiques, il tire la sonnette d’alarme. Son constat est sévère : une réglementation inadaptée et déconnectée, l’absence de stratégie et de moyens, un fonctionnement dans la réaction et pas dans l’anticipation, des outils sous-dimensionnés (PPRI, PAPI, Fonds Barnier), une taxe Gemapi à revoir totalement… Concernant l’échelle intercommunale, le vice-président de la communauté d'agglomération Cannes Lérins estime que le PICS ne doit pas être obligatoire mais laissé à la disposition des élus.

Quel est votre diagnostic sur la situation actuelle des risques ?

La situation est particulièrement grave. Les événements climatiques se multiplient avec une forte montée en puissance de leur intensité. Et cela va encore s’accentuer. Des territoires jamais frappés vont l’être et ceux qui l’ont déjà été le seront davantage. Ma commune a été ravagée par trois inondations majeures en quatre ans, chacune avec un scénario différent.

Nous allons vers beaucoup plus de périodes sans eau, avec des risques forts de sécheresse, et de périodes de pluies plus courtes mais bien plus violentes. Dans les territoires urbanisés, la nature va reprendre ses droits et aucun aménagement ne pourra l’empêcher. Les évolutions sont brutales, en arrivant très vite et de façon très puissante.

Nous ne sommes donc pas prêts ?

Non car il n’existe pas de réelle prise de conscience au niveau national de l’état de la situation, avec aucune stratégie pour affronter les crises qui s’annoncent. Nous ne sommes pas prêts. La doctrine et le système français apparaissent totalement obsolètes. On fonctionne toujours dans la réaction et pas dans l’anticipation.

Si les relations de travail sont plutôt bonnes entre les maires et les services locaux de l’Etat, ceux-ci sont dépourvus en termes d’effectifs et de moyens d’action. Et surtout il y a une dispersion extrême de l’autorité. Le préfet ne l’a plus face aux différents services de l’Etat qui ne travaillent pas ensemble et souvent se contredisent. Les délais sont rallongés et les actions parfois paralysées. Face à cette complexité, le maire, pourtant au centre de la gestion de crise, se retrouve dans une situation inextricable alors qu’il est responsable juridiquement, politiquement et moralement. Ne tenant pas compte des particularités de chaque territoire, le droit français est déconnecté et inefficace.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il y a urgence à faire évoluer la législation pour refonder l’intégralité du système. Vu ce qu’il s’est passé ces trois dernières années, nous devrions être tous autour de la table, les élus locaux, l’Etat et le Parlement, pour mettre en œuvre une réforme en profondeur. Mais cette volonté n’existe pas.

Pour être mieux armés, les élus doivent retrouver une liberté d’agir et d’investir. Aujourd’hui nous n’avons ni l’un ni l’autre. Nous n’y arriverons pas tant qu’on n’aura pas redonner au local, c’est-à-dire au couple maire-préfet, une liberté totale d’action avec un contrôle qui ne soit plus a priori avec des études qui durent des années mais a posteriori. Il faut redonner au maire la liberté d’aménager son territoire et de rendre des comptes. Pour sa part, le préfet devrait avoir autorité sur tous les services de l’Etat.

Les outils existants (PAPI, PPRI, Fonds Barnier) vous semblent-ils adaptés ?

Le PAPI (programme d'actions de prévention des inondations) n’est en réalité qu’une convention financière. Tant qu’il n’est pas achevé, la collectivité prend tout en charge. De plus, sa signature ne signifie pas de pouvoir faire les ouvrages nécessaires. Pour arranger le tout, le PAPI va encore se complexifier avec l’obligation européenne de faire une étude environnementale préalable globale. Cela va beaucoup ralentir le process et sera à la charge de la collectivité avec des coûts exorbitants. Une fois la convention financière signée démarre alors la phase des études, notamment environnementales, qui prennent des années. En moyenne, le temps d’obtenir toutes les autorisations nécessaires et de valider le PAPI s’élève à dix ans ! Avec le risque que l’ouvrage ne soit plus adapté aux nouvelles exigences. Tout cela est paralysant pour les élus.

Pour sa part, le PPRI (plan de prévention des risques d'inondation) constitue un document important pour le maire et le préfet qui acte le risque tel qu’il s’est déjà produit. Mais cet outil reste aux mains de l’Etat qui n’en tire pas toutes les conséquences, ce qui est très grave. Les injonctions contradictoires ne manquent pas. Par exemple, le maire peut être sanctionné s’il ne construit pas assez de logements sociaux. La loi SRU est pernicieuse en poussant à construire sur des zones déjà identifiées inondables.

Concernant le Fonds Barnier, c’est un dispositif intéressant mais avec des critères très rigoureux et peu applicables. Même s’il y a eu des assouplissements après la tempête Alex de 2020, il reste largement sous-doté par rapport aux besoins. Il est dimensionné pour de petites opérations mais pas pour de plus importantes comme par exemple dans le Pas-de-Calais.

La taxe Gemapi est-elle suffisante pour répondre aux enjeux en présence ?

La taxe Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) n’est plus du tout adaptée aux dépenses que vont devoir affronter les collectivités avec des coûts ayant considérablement augmenté. Elle constitue en réalité un transfert de fiscalité de l’Etat sur les collectivités, fait de façon assez malhonnête, car il nous transfère dans le même temps toutes les charges dont la gestion des digues domaniales pour des raisons purement financières.

Aujourd’hui, augmenter la taxe Gemapi signifierait d’accroître la pression fiscale sur le contribuable local. Il faut repenser totalement le système et l’Etat doit prendre toute sa part au niveau financier.

L’échelle intercommunale avec le PICS est-elle pertinente ?

Les PICS (plans intercommunaux de sauvegarde) peuvent avoir un intérêt dans les territoires ruraux avec beaucoup de petites communes. Ils l’ont beaucoup moins quand il y a de plus grandes villes disposant de moyens permettant d’être plus efficace. Il faudrait donc que le périmètre du PICS soit libre et laissé à la volonté des élus en ayant le choix de faire ou pas avec l’intercommunalité. Une fois encore, cela ne doit pas être imposé partout de façon uniforme car cela ne marche pas et peut même être contreproductif.

De plus, le danger du PICS est que les communes aient l’illusion de ne plus rien avoir à faire car l’EPCI gèrerait tout. C’est faux car il ne se substitue pas à l’obligation pour chacune d’avoir un PCS (plan communal de sauvegarde). Le maire reste responsable en premier lieu. Le moindre manquement à ses obligations de prudence et d’anticipation du risque est susceptible d’entraîner immédiatement la recherche de sa responsabilité pénale. Le maire a donc le devoir absolu de s’informer du risque et de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la protection de son territoire, quitte à mettre l’Etat devant ses responsabilités.

Comment avance le groupe de travail de l’AMF sur la prévention des risques et la gestion de crise ?

Mis en place il y a près de deux ans, il se déplace dans toute la France à la rencontre des maires pour les sensibiliser, établir un état des lieux, recenser leurs moyens d’action... Certains élus sont totalement démunis. Sur une dizaine de départements, nous avons mis en place des sites pilotes. Avec un référent sur les risques qui fera le relais entre le maire et l’Etat (préfecture et DDTM) pour assurer un échange régulier sur l’évolution des risques, la méthodologie et les moyens nécessaires. L’AMF proposera aussi un kit d’assistance. En plus d’un soutien technique et logistique, nous réfléchissons à une task-force nationale pour aider dans la durée les territoires ayant été dévastés.

Il y aura un point sur nos travaux lors du prochain congrès des maires et, en fin d’année, nous présenterons des propositions d’évolutions législatives et financières.

 

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

Crédit photo ©Sylvain Delaissez

 

Référence : BW42150
Date : 11 Mars 2024
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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