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Collectivités locales : Sébastien Lecornu affiche de bonnes intentions... bien tardives

Le temps n’est plus, pour l’instant du moins, aux déclarations incendiaires d’un Bruno Le Maire expliquant que les collectivités locales étaient responsables presque à elles seules du dérapage des finances publiques. Sébastien Lecornu, vendredi lors d’un déplacement à Mâcon puis, ce week-end, dans un entretien à plusieurs titres de la presse régionale, a dit souhaiter « faire confiance aux acteurs locaux », sur tous les sujets, et affiche une volonté décentralisatrice… dont on est en droit de se demander s’il la mettra en œuvre davantage que ses prédécesseurs à Matignon.

Opération désamorçage

Interrogé sur sa « méthode », le Premier ministre dit espérer pouvoir s’appuyer sur ce que l’on appelle encore le « socle commun » à l’Assemblée nationale, à savoir la coalition du bloc central (Renaissance, MoDem et Horizons) et des Républicains. Cette alliance, rappelle le Premier ministre, comprend 210 députés et représente donc « la première plateforme politique à l’Assemblée nationale », bien qu’elle ne soit pas majoritaire, loin de là. Pour pouvoir faire adopter un budget – de préférence sans usage du 49-3, souhaite le Premier ministre – il faudra donc obligatoirement faire des concessions à une partie de la gauche. Problème : ces concessions, si elles vont trop loin notamment sur le terrain de la fiscalité, pourraient suffire à faire exploser le « socle commun », comme l’ont d’ores et déjà annoncé Les Républicains ces derniers jours. Le Premier ministre reconnaît lui-même que « ce sera difficile », ce qui est une litote tant cette équation a des allures de quadrature du cercle. 

Sébastien Lecornu veut apparemment commencer par décrisper un peu le débat social et rassurer les Français – ce qui est une gageure lorsque l’on sait qu’il démarre ses fonctions avec une cote de popularité de 16 %, soit quatre points de moins que celle de François Bayrou à son arrivée à Matignon. C’est pourquoi il a annoncé renoncer à la suppression des deux jours fériés voulue par son prédécesseur, véritable chiffon rouge pour l’opinion publique.

C’est avec la même intention que Sébastien Lecornu, dans le même entretien à la presse régionale, annonce son intention d’en finir avec « les privilèges encore accordés à vie » à certains anciens ministres. Une façon de répondre à l’idée très largement répandue que les dirigeants de l’État demandent aux Français des efforts qu’ils ne sont pas prêts à faire eux-mêmes. La mesure, toutefois, sera essentiellement symbolique – le coût de ces « privilèges » ne s’élevant qu’à quelques millions d’euros par an. 

« Grand acte de décentralisation »

Plus ambitieuse est la volonté affichée par le Premier ministre de relancer la décentralisation, avec une forme de mea culpa sur l’action des précédents gouvernements : pour Sébastien Lecornu, qui fut l’un des animateurs du Grand débat national post-Gilets jaunes, il aurait fallu, « à la sortie du Grand débat », « renverser la table en disant que le moment était venu de repenser l’organisation de l’État ». Cela n’a pas été fait, et aujourd’hui « le centralisme parisien exaspère une grande partie (…) des maires, des fonctionnaires qui rendent le service public avec courage ». 

Le Premier ministre va donc, annonce-t-il, présenter au Parlement un projet de loi qui sera « un grand acte de décentralisation ». Et ses mots ne peuvent que résonner agréablement aux oreilles des principales associations d’élus qui en ont fait leur slogan depuis des années : « faire confiance aux élus » et « liberté locale ». Le Premier ministre propose de « faire simple » : « Quand on sait qui commande, on sait à qui demander des comptes ». « Trop d’acteurs interviennent sur les mêmes sujets », explique-t-il dans son interview – répétant ainsi ce qu’il avait dit la veille, oralement, de façon beaucoup plus lapidaire : « Il y a trop de cuisiniers dans la cuisine ». 

Le Premier ministre reprend donc pour l’instant à son compte, une idée qui figure en bonne place dans les résolutions du congrès de l’AMF depuis des années : l’État doit se recentrer sur ses compétences régaliennes, et de nouvelles responsabilités doivent être données aux acteurs locaux. Expliquant par exemple que pour clarifier les responsabilités, « les administrations doivent être sous l’autorité directe soit des ministres, soit des préfets, soit d’un élu local ». 

On notera cependant que toutes ces bonnes intentions ne sont assorties d’aucune précision, dans cette longue interview, sur la question la plus cruciale : avec quels moyens ? Si c’est en effet une chose que de décentraliser et de donner plus de compétences aux collectivités, c’en est une autre de leur transférer les moyens d’exercer ces compétences, voire, mieux encore, de leur permettre de décider elles-mêmes de leurs recettes, via l’impôt local – à rebours de la politique menée de « recentralisation financière » menée depuis des années par l’exécutif, qui consiste à raboter, chaque année un peu plus, la liberté fiscale des collectivités. 

On doit aussi relever que ce « grand acte de décentralisation » n’est pas une volonté nouvelle chez les macronistes : il est promis, en réalité, depuis 2017. Mais en huit années, il n’a jamais été réalisé. Est-il réaliste de croire que ce qu’Emmanuel Macron et ses ministres n’ont pas fait en huit ans, à l’époque où ils jouissaient de la majorité absolue à l’Assemblée nationale et où les finances publiques étaient bien moins dégradées, ils vont le faire aujourd’hui, dans un contexte d’instabilité politique totale et à moins de 6 mois des élections municipales ? Il est, hélas, permis d’en douter.

Le Premier ministre a annoncé que les « consultations » sur ce projet de loi de décentralisation commenceront « dès cette semaine ». Les associations d’élus attendent donc un rendez-vous.

Maison France santé

Autre annonce qui a suscité beaucoup de commentaires : l’objectif d’ouvrir « 5 000 maisons France santé » d’ici 2027. Calquées sur le modèle des maisons France service, ces structures, a expliqué le Premier ministre à Mâcon, samedi, devraient permettre à chaque Français d’avoir « une offre de soins de proximité par bassin de vie », « autour de 30 minutes » du domicile de chaque habitant. 

Cette annonce a aussitôt suscité davantage de questions qu’elle n’a recueilli de réponses. Le Premier ministre parle-t-il de nouvelles structures, ou s’agit-il plus simplement de la reprise des annonces faites par l’ancien ministre de la Santé François Braun en 2023 (4 000 maisons de santé pluridisciplinaires en 2027) ? Ces dernières sont déjà au nombre de plus de 2 200, à quoi il faut ajouter les 2 500 centres de santé existant sur le territoire, le plus souvent à l’initiative des élus locaux. 

Ce sont donc déjà presque 5 000 structures de proximité qui existent – et l’on ignore si Sébastien Lecornu a autre chose en tête qu’un simple changement de nom. 

Par ailleurs, les syndicats de médecins n’ont pas tardé à réagir à ces annonces pour rappeler avec bon sens que la question n’est pas tant d’ouvrir des maisons de santé que de trouver des médecins pour y exercer, faute de quoi elles seront « des coquilles vides », explique par exemple le syndicat MG-France. L’un des porte-parole de ce syndicat, Jean-Christophe Nogrette, a rappelé dans la presse que pour faire fonctionner une maison de santé, il faut au moins deux médecins – soit 10 000 médecins pour 5 000 maisons France santé, dans le cas où il s’agirait de créations. « Où va-t-on les trouver ? ». 

Il faut donc attendre des précisions sur ces annonces, précisions qui n’interviendront sans doute pas avant que le Premier ministre ait trouvé un gouvernement, et donc un ministre de la Santé. 

Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 15 septembre 2025.


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Référence : BW42775
Date : 15 Sep 2025
Auteur : Maire-Info


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