En réponse au courrier du 19 septembre 2025 du Premier ministre, l'AMF rend public le courrier de David Lisnard, Président de l'AMF, et André Laignel, 1er vice-Président délégué de l'AMF, daté du 2 octobre 2025.
Monsieur le Premier ministre,
Par le courrier que vous nous avez adressé le 19 septembre dernier, vous nous faites part de votre intention de soumettre au Parlement un « grand acte de décentralisation, de clarification et de liberté locale », ainsi que de votre souhait de nous associer à cette réforme. Nous vous en remercions.
L’AMF, dont l’objet même est de promouvoir les libertés locales, propose depuis longtemps un nouvel acte de décentralisation, moins fondé sur un transfert de compétences nouvelles que sur des mesures concrètes de renforcement de la liberté et du pouvoir d’agir des maires et présidents d’intercommunalité, après quinze ans de recentralisation.
La liberté et la responsabilité locales sont un gage d’efficacité de l’action publique, qui suppose de retrouver des relations de confiance entre l’Etat et les collectivités.
Les dernières réformes concernant les collectivités locales, à l’instar des lois NOTRe, Maptam et 3DS, n’ont pas permis de libérer l’action des collectivités. Elles ont à l’inverse conduit à ajouter de la complexité dans l’organisation locale en créant de nouvelles strates et de nouvelles contraintes.
Ces dernières années, malgré les multiples annonces sur la décentralisation, y compris par le Président de la République, les libertés locales ont continué de reculer, avec la suppression de fiscalités locales, des prélèvements continus de l’Etat sur les dotations des collectivités et les nouveaux mécanismes de ponction sur les budgets locaux, ou encore avec la multiplication des normes et procédures de contrôle encadrant et renchérissant l’action des collectivités.
Aussi, en préalable de tout travail sur le contenu d’une réforme de l’organisation des pouvoirs publics, nous tenons à réaffirmer les principes structurants de la décentralisation pour l’AMF :
- La subsidiarité : la décentralisation suppose d’inverser la logique du transfert de compétences. Toutes les politiques publiques devraient relever des collectivités, hormis les domaines réservés à l’Etat, limitativement définis.
La collectivité la plus proche des citoyens devrait toujours être la première compétente à agir, et lorsqu’ elle ne peut exercer la compétence, celle-ci est exercée à l’échelon supérieur ;
- Le respect de la clause de compétence générale des communes : il s’agit du corollaire de la subsidiarité. Pour qu’elle soit effective, la clause de compétence générale des communes doit être garantie dans la durée et donc consacrée par la Constitution ;
- La libre administration des collectivités est aujourd’hui un principe constitutionnel sans contenu ni effectivité. A la différence des autres principes constitutionnels, il n’a depuis 1958 jamais fait l’objet d’une définition précise qui aurait permis d’en tracer les limites et d’en assurer le contrôle. Conformément à ce que prévoit l’article 34 de la Constitution, l’adoption d’une loi organique définissant précisément ce que recouvre la libre administration doit trouver sa place dans l’ambitieuse intention dont vous nous avez fait part ;
- L’autonomie financière et fiscale des collectivités, dont les critères sont devenus obsolètes, notamment en matière de définition des ressources propres des collectivités constitue un élément majeur de l’indispensable définition du principe de libre administration. Il ne peut pas y avoir de décentralisation sans responsabilité financière et fiscale des collectivités. C’était la volonté du législateur en 2003, que l’Etat a étouffée volontairement dans un long processus de recentralisation financière qui atteint aujourd’hui des sommets inégalés ;
- Un véritable pouvoir règlementaire local. Cela implique d’abord que les lois soient moins nombreuses, qu’elles se contentent de fixer des grands objectifs ou des dispositions d’ordre public, et ensuite que l’administration centrale s’abstienne de sur-encadrer leur application par des textes toujours plus nombreux et tatillons. Il s’agit ainsi de permettre à chaque collectivité d’adapter la norme aux spécificités de son territoire ;
- Le contrôle des moyens et des normes affectant les collectivités. Malgré l’intention affichée du Gouvernement et du Parlement de mettre un terme à l’inflation normative, les règles qui contraignent et entravent l’action des collectivités ne cessent de croître. Il faut un système d’encadrement, par exemple en dotant le CNEN d’un pouvoir réel de contrôle de la production de normes. Il en va de même pour le contrôle effectif des ressources financières dont disposent les collectivités, qui devrait être confié au CFL disposant de prérogatives étendues.
Indépendamment de la présentation d’un nouvel acte de décentralisation, vous pouvez, Monsieur le Premier ministre, mettre en œuvre immédiatement des mesures de liberté locale pour concrétiser votre intention :
- En instaurant un moratoire sur toutes les contraintes nouvelles non financées s’appliquant aux collectivités et adoptées ou programmées malgré l’objectif de réduction de dépenses fixé par le Gouvernement, et en supprimant les normes les plus pénalisantes et coûteuses ;
- En faisant cesser toute ponction sur les budgets locaux, dès la prochaine loi de finances.
Ces mesures applicables immédiatement sont d’autant plus urgentes que le contexte politique et parlementaire, incertain car sans majorité, ne facilitera pas l’adoption rapide d’une réforme d’ampleur sur l’organisation des pouvoirs publics.
L’AMF reste à la disposition du Gouvernement pour travailler sur tous ces points.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Premier ministre, l’assurance de notre haute considération.
André LAIGNEL David LISNARD
Premier Vice-Président délégué Président de l'AMF
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