Un net parfum de déception flottait chez les maires au sortir du discours de clôture de François Bayrou – certains élus étant même sortis, excédés, de la salle, comprenant que ce discours émaillé d’anecdotes personnelles et de digressions géopolitiques ne leur apporterait aucune réponse. François Bayrou n’a d’ailleurs même pas lu le discours qui lui avait été préparé – comme il l’a lui-même remarqué –, ce qui a eu pour conséquence que la seule annonce qu’il avait à faire… n’a pas été faite à la tribune. C’est quelques minutes plus tard, lors d’un point presse, que François Bayrou a annoncé aux journalistes que le programme Petites villes de demain, qui prend fin en 2026, serait pérennisé.
Un peu plus tôt dans la matinée, lors d’une conférence de presse consacrée aux finances, les dirigeants de l’APVF avaient à nouveau insisté sur la « saine gestion » des collectivités par les élus. Les élus ont présenté le traditionnel Regard financier sur les petites villes, réalisé avec La Banque postale, qui montre cette année un ralentissement de la hausse des dépenses des petites villes (strate 5 000 à 25 000 habitants), et met en lumière que l’essentiel de la hausse des dépenses est dû à la masse salariale. Christophe Jerretie, président du Comité d’orientation des finances locales de La Banque postale, a insisté sur le fait que l’augmentation des dépenses RH et l’augmentation des taxes foncières « ne dépendent pas des maires », puisque la revalorisation du point d’indice comme celle des bases foncières sont des décisions prises par l’État ou par le législateur.
Pour l’année en cours et les suivantes, l’APVF a calculé que la hausse des cotisations CNRACL va coûter « un milliard d’euros » aux petites villes sur quatre ans, et que le Dilico, prélèvement forcé imposé par l’État sur un certain nombre de collectivités, va toucher 710 petites villes pour un montant de presque 70 millions d’euros.
Autre enseignement de cette étude : de plus en plus de communes sont désormais contraintes de piocher dans leur trésorerie pour financer les investissements, ce qui est « nouveau ».
Chiffre très intéressant : l’APVF a calculé l’évolution des dépenses sur les dernières années (2019-2024) en euros courants mais aussi en euros constants – c’est-à-dire hors inflation. Le résultat est parlant : si les dépenses totales (fonctionnement et investissement) ont augmenté de 17,2 % en euros courants, elles ont au contraire diminué de 0,3 % en euros constants. Autrement dit, hors inflation, les communes, jugées toujours plus dépensières, ont au contraire affiché une remarquable stabilité de leurs dépenses.
Les élus ont évoqué la fameuse « année blanche » envisagée par les services de Bercy lors des récentes rencontres entre gouvernement et associations d’élus – sans savoir d’ailleurs ce que recouvre exactement ce terme. Ils ont rappelé que cela fait des années, entre baisse nette des dotations et gels divers et variés, qu’ils gèrent leurs finances « à l’os » : « Les efforts qu’on nous demande, cela fait des années qu’on les fait », a rappelé Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine.
La tonalité a logiquement été la même lors de la clôture des Assises, avec la lecture de la résolution finale par le sénateur Loîc Hervé et le discours de clôture du président de l’association, Christophe Bouillon.
Dans sa résolution, l’APVF rappelle que les maires « ne sont pas dans le déni » et connaissent parfaitement la situation financière du pays, mais refusent « les procès » en excès de dépense, alors qu’ils font des efforts quotidiens pour tenir leurs budgets malgré les normes de plus en plus coûteuses et les « mauvaises surprises » venues d’en haut, comme la hausse massive des cotisations CNRACL. La résolution s’oppose de façon « absolue » à tout nouveau gel des dotations, « qui conduirait à l’augmentation de la dette », les collectivités étant dans ce cas contraintes de davantage emprunter pour financer leurs investissements…. ou à renoncer à assurer certains services publics.
Christophe Bouillon, dans son discours final, a poursuivi sur ce thème : « Une année blanche pour les communes, c’est une année noire pour les habitants. » Plutôt que ponctionner encore les collectivités, le président de l’APVF a appelé à cesser d’imposer de nouvelles normes ou à les compenser – proposant d’instaurer un « article 40 » en la matière : il s’agit d’une référence à l’article 40 de la Constitution, qui rend irrecevable tout amendement créant une charge sans créer une recette équivalente. Plagiant une formule fameuse de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, Christophe Bouillon a lancé au gouvernement : « Tu casses, tu répares. Tu décides, tu payes. Tu transfères, tu compenses ! ».
Christophe Bouillon a rappelé que les maires sont « des hommes et des femmes qui s’engagent et qui veulent être utiles, qui répondent toujours présent (…), mais qui ont besoin de sentir le souffle de l’État à leur côté. » Reprenant l’image de « l’Himalaya » à franchir, utilisée par François Bayrou lors de sa déclaration de politique générale, le président de l’APVF a rappelé que les montagnes se gravissent « grâce à la solidarité de la cordée ». « Ce n’est pas en saignant les communes qu’on guérira la France : c’est grâce à cette solidarité de cordée ».
En réponse, le Premier ministre a donc choisi de ne pas lire le discours qui avait été posé sur son pupitre mais de parler « en vérité », en roue libre. Il a souhaité d’emblée prendre le contrepied de la « petite musique » sur « l’épuisement et le ras le bol » des maires : « Les maires sont pour la plupart heureux de remplir les responsabilités qui sont les leurs et majoritairement ils se représenteront. » Il a également cherché à relativiser les démissions de maires : « On dit que les maires démissionnent en masse ? 450 maires ont démissionné l’an dernier, cela ne fait que 1 % d’entre eux », s’est avancé le Premier ministre.
François Bayrou a repris l’idée d’un « article 40 » lancée par Christophe Bouillon, se disant « d’accord » avec cette idée… même si cela n’a pour l’instant rien d’évident, dans la mesure où continuent de se multiplier les normes coûteuses ces derniers jours – il suffit de prendre l’exemple du récent décret « chaleur » ou des déclarations gouvernementales sur l’obligation d’installer de la vidéosurveillance aux abords des écoles.
Puis, le Premier ministre s’est lancé dans une longue démonstration sur l’état dramatique des finances publiques, provoquant quelques remous parmi les maires, dont certains n’ont pas caché leur agacement de subir « une leçon » sur une situation qu’ils connaissent parfaitement. Quoi qu’il en soit, l’axe du Premier ministre était clair : tout le monde est d’accord pour constater que les finances publiques sont dans un état catastrophique, mais personne ne veut porter lui-même l’effort – François Bayrou a décrit les ministres qui « chaque jour » viennent frapper à sa porte pour lui dire que les économies ne peuvent toucher leur ministère. S’il a reconnu que les collectivités ne sont pas responsables du déficit public – « je n’ai jamais prétendu le contraire », a-t-il rappelé –, elles devront tout de même « participer » : « Sachant vers quelle impasse on va,sachant quel est l’iceberg qui vient devant notre navire, (…) tout le monde doit participer, sinon nous échouerons ».
Le Premier ministre n’a donné aucune autre indication sur la forme que prendra cette « participation » des collectivités, s’en tenant à sa ligne : les arbitrages seront annoncés mi-juillet. Il a même, lors du point presse, balayé non sans un certain agacement une question de Maire info sur la perspective d’une « année blanche » – déclarant qu’il ne commentait pas les « rumeurs journalistiques qui font couler des tonnes d’encre ». Pourtant, ce projet a été tout à fait officiellement évoqué devant les associations notamment lors de la Conférence financière des territoires, et n’est une « rumeur »… que dans la mesure où elle a été propagée par le gouvernement lui-même.
Au sortir de ce discours, plusieurs maires ne cachaient pas leur déception, les qualificatifs utilisés allant d’« affligeant » à « désolant » en passant par « vide ». « C’est une fin de non-recevoir, confiait un élu à Maire info, on nous demande toujours plus alors que la dette des collectivités représente 8 % de celle de l’État… ».
Faute de réponse du Premier ministre à leurs questions, les maires ont donc encore un mois à attendre pour commencer à savoir à quelle sauce ils vont être mangés.
Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 16 juin 2025.
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