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Élections : les cadres dirigeants des collectivités expriment leurs craintes

La relation élus-cadres dirigeants est un élément clé qui fait partie intégrante de la fonction publique territoriale. « C'est le moteur du fonctionnement d'une collectivité et des politiques locales », pour Raphaëlle Pointereau, directrice de l'Inet et directrice générale adjointe du CNFPT, en préambule des 28e Entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS), le grand raout annuel des managers territoriaux organisé par le CNFPT et l’école des cadres territoriaux qu’il chapeaute, l’Inet (Institut national des études territoriales, l’équivalent de ENA/INSP aujourd’hui pour le versant territorial).

Facteur de stabilité... ou d'instabilité

Facteur de stabilité... ou d'instabilité, un binôme maire-directeur général des services (DGS) ou secrétaire générale de mairie (SGM) est une relation complexe que même les plus concernés ont du mal à définir. Et pour cause, s'il s'agit d'une relation professionnelle, celle-ci repose sur une relation humaine, en face à face, qualifiée parfois de binôme, de tandem, de duo, de couple, de partenariat, etc. Le politologue, psychanalyste et professeur émérite à l’Université de Strasbourg, Philippe Breton, remet dans le contexte : « Dans l'Antiquité, le magistrat assurait à la fois le rôle politique et l'administration. » De là provient peut-être la difficulté de définir cette relation si particulière.

La dissociation des rôles se superpose à une dissociation temporelle qui revient à devoir faire preuve de « bilinguisme » pour Valentin Rabot, vice-président de l'Eurométropole de Strasbourg (522670 habitants, Bas-Rhin, 33 communes), chargé du personnel, de la politique des ressources humaines et du dialogue social. « Les élus sont sur du court terme quand l'administration s'inscrit dans du long terme, mais les deux doivent partager la stratégie. Il faut arriver à comprendre la langue de l'autre, dans la confiance et le respect. » Ainsi que dans « la reconnaissance mutuelle », de l'élu vers le cadre, mais aussi, du cadre vers l'élu, ce qui « est trop peu souvent le cas », estime l'élu qui conseille de tenir des points réguliers et de remettre de « l'émotion, de la vulnérabilité, et une forme d'humilité » dans cette relation.

Ne pas se taire

Renforcer le dialogue élus/dirigeants constitue en tout cas un levier d’efficience de l’action publique. « L’administration est là pour mettre en œuvre le projet politique », rappelle Murielle Fabre, maire de Lampertheim, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, chargée de la Culture, secrétaire générale de l’AMF et ancienne directrice générale des services en collectivité. Autant donc bien s’entendre.

Mais bien s’entendre ne signifie « pas se taire », estime Patrick Pincet, DGS de la ville de Lille. Le DG « doit tout dire à son maire et en a même le devoir, y compris quand il s’agit de lui dire qu’il fait une bêtise. Mais il faut le faire en tête à tête pour ne pas remettre en cause son autorité ». Un point de vue partagé par Murielle Fabre : « J’attends de l’administration qu’elle dise ce qu’elle a à dire. J’attends de la transparence et de la sincérité. En cas de désaccord, j’attends qu’elle me dise pourquoi, ses arguments. Et ensuite on dialogue. » Si les arguments sont pertinents, Murielle Fabre assure qu’elle peut alors changer d’avis car « ce que l’on partage avec les agents, c’est l’utilité [de l’action publique] pour les habitants ».

Un cadre, une méthode, des relations claires

Comment bien travailler ensemble ? Le Syndicat national des directions générales des collectivités territoriales (SNDGCT) a apporté quelques conseils lors d’un atelier consacré au sujet et construit sur la base d’une étude menée auprès des DGS en 2024 sur leur quotidien, leur posture et leur relation avec les élus (1545 répondants de DG issus à 80 % des communes dont 50 % dans des moins de 10000 habitants). Principal enseignement, dès le début de la relation, « apprendre à se connaître et poser un cadre de travail, une méthode et clarifier les relations ».

Pour Alaric Berlureau, DGS de Saint-Sulpice-la-Pointe (9674 habitants, Tarn), cela signifie faire preuve « d’assertivité, c’est-à-dire savoir dire les choses en restant sur les faits mais s’autoriser à tout dire. Avoir une alchimie avec le maire, ce n’est pas être dans l’émotion. Il y a besoin de poser un cadre de travail, de clarté. Il ne faut pas qu’il y ait de non-dits dans la relation. Si le maire va voir les équipes, pas de problème s’il me le dit. Quand un collaborateur va le voir pour se plaindre du DGS, il me renvoie le cadeau [sic]. Le fonctionnement doit être très fiable. Comme cela les agents ne peuvent pas jouer et la confiance est là ». Pour sa collègue Karine Icard, DGS mutualisée de Luberon Monts de Vaucluse Agglomération et de la ville de Cavaillon, il ne s’agit pas « de simples relations interpersonnelles. La coopération se construit. Pour cela, il faut des espaces de dialogue réguliers » où les choses sont dites et les « feedbacks » réguliers.

« Le DG a un rôle d’entonnoir », décrypte par ailleurs Anne-Sophie Dournes, DGS de la ville de Saint-Denis (115 237 habitants, Seine-Saint-Denis), qui se résume à une sorte de filtre entre « le cheminement itératif vers une décision », toute la réflexion qu’il a pu y avoir entre le maire et son DGS dans le cadre de leurs échanges en tête-à-tête et la décision que le DG doit mettre en œuvre et donc communiquer à ses équipes.

Quand la politique percute les valeurs

Les ETS ont aussi abordé les questions des valeurs individuelles parfois perturbées par la décision politique. Autrement dit, que se passe-t-il quand le cadre dirigeant n’est pas tout à fait aligné avec son maire ? Si les principes de neutralité, de loyauté résument assez ce que doivent être ces relations de travail si particulières, des tensions peuvent toutefois apparaître quand la relation percute les valeurs. Un basculement politique lors des élections peut en être à l’origine. « Si on n’accepte pas la décision pour des raisons liées à nos valeurs, il vaut mieux partir. Le statut nous le permet », estiment les DG. La décharge de fonctions, la mutation demeurent autant de possibilité confortables… si elles demeurent choisies.

Les transitions en cours (écologique notamment) peuvent parfois exacerber certaines tensions et toucher la corde plus sensible des valeurs individuelles, surtout si des décisions pourraient nuire à l’environnement. Murielle Fabre clarifie les choses : « Les maires doivent respecter la loi, sans quoi ils s’exposent à des sanctions juridiques, pénales… Un DG peut aussi refuser d’appliquer une décision manifestement illégale ».

La question pourrait toutefois se poser autrement après 2027, craignent les dirigeants administratifs, notamment si le cadre de référence qu’est l’État de droit venait à bouger. Que devraient-ils faire si cette référence commune venait à créer par exemple des discriminations, des inégalités d’accès au service public, ou plus ? Beaucoup se posent la question, mais personne ne souhaite pour le moment chercher la réponse. « Faisons en sorte que cela n’arrive pas », conclut une DGS. Le souvenir de 1940 hante tous les esprits et les conversations…

Bénédicte Rallu pour Maires de France, article publié le 15 décembre 2025.


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Référence : BW42929
Date : 16 Déc 2025
Auteur : Maire-Info


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