Saluant « une réelle volonté politique d'avancer sur la simplification », notamment au travers du « Roquelaure de la simplification », le maire de Charleville-Mézières et président d’Ardenne Métropole rappelle le coût de l’impact des normes pour les collectivités à près d’un milliard d’euros par an (rapport remis au gouvernement en mai 2024). Sa mission, confiée par les ministres François Rebsamen et Amélie de Montchalin, a été élargie et dotée de plus de moyens. Commande publique, gestion RH des collectivités, gestion comptable et financière, finances locales, décentralisation… Boris Ravignon balaye les différents volets de sa mission et détaille ses propositions de simplification avec à la clé des gisements d’économies.
Le Roquelaure de la simplification, lancé le 28 avril dernier, reprend une partie des propositions de votre rapport de mai 2024. Comment réagissez-vous ?
Tout d’abord, je suis très heureux de voir qu'il existe désormais une réelle volonté politique d'avancer sur la simplification. Cette préoccupation n’est pas nouvelle. La commande faite pour le rapport que j’ai remis en mai 2024 était de mieux comprendre les normes pesant sur les collectivités, dénoncées à juste titre par les élus locaux. Elles traduisent une marque de défiance de l’Etat vis-à-vis des collectivités, des coûts très élevés et souvent inutiles ainsi que des normes parfois absurdes. Je rappelle qu’une bonne partie de nos propositions viennent du terrain. Selon le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), l’impact net des normes pour les collectivités s’élève, entre 2009 et 2023, à plus de 14 Md€. Sur le flux de normes, on n'arrête pas d'en ajouter avec des coûts extrêmement importants.
Quels sont les objectifs de votre mission ministérielle ?
Une nouvelle mission m’a été confiée, le 18 février, par les ministres François Rebsamen et Amélie de Monchalin. Je dispose désormais d’une équipe renforcée par l’IGA (Inspection générale de l’administration) et un maître des requêtes du Conseil d’Etat. Notre objectif est d’approfondir les propositions de simplification dans les domaines de la commande publique, de la gestion de la fonction publique territoriale ou de la gestion comptable et financière. Ma mission consiste également à préparer et présenter des mesures de simplification, soumises aux discussions interministérielles. De nouvelles mesures pourraient être rendues publiques d’ici l’été. Ce travail alimentera certaines propositions de loi comme celle sur le pouvoir de dérogation aux normes. Autre véhicule législatif utile : le projet de de loi simplification de la vie économique avec des amendements sur la commande publique.
Ma lettre de mission comporte aussi deux autres volets : les relations financières entre l’Etat et les collectivités et le besoin de clarification de la décentralisation face à un enchevêtrement des responsabilités que l'Etat n'a pas vraiment transférées aux collectivités. Il a juste donné des morceaux de compétences et des bouts de financement. Il faut reprendre la copie de manière globale, ce que devrait faire la mission dans la deuxième partie de l’année.
Sur le sujet de la commande publique, quelles sont vos préconisations ?
Ce sujet coûte très cher. D'abord, pour les collectivités qui passent des marchés avec des coûts procéduraux d’une grande complexité. Nous les avons chiffrés autour de 7000 € pour un marché à procédure adaptée (Mapa) et 11 000 € pour une procédure formalisée. La passation des marchés grève les coûts de fonctionnement des collectivités. Il y a aussi le coût important pour les entreprises avec un formalisme très lourd. Pour mettre en concurrence les entreprises afin de permettre un choix au meilleur prix, on décourage en définitive les entreprises de répondre et on aboutit à moins d'intensité concurrentielle. Résultat : un achat par la commande publique beaucoup plus cher que par un achat de gré à gré. On n’a pas arrêté d’ajouter de la complexité à la complexité.
Aujourd’hui, nous devons vraiment nous poser la question de l'utilité des normes. Au-delà de la sécurisation des acheteurs et du risque de favoritisme, qu’il faut bien sûr préserver, il devient urgent de simplifier les procédures. Nous proposons notamment de remonter les seuils en dessous desquels on peut passer des de marchés sans formalisme imposé en les remontant, par exemple, de 40 000 à 150 000 €. Les collectivités auraient ainsi plus de liberté pour mettre en concurrence, négocier avec leurs fournisseurs et faire baisser les prix. C’est indispensable car nous avons tous compris qu’il faut faire des économies et cela encore plus dans les années à venir.
En matière de gestion RH des collectivités, quel est le levier possible de simplification et d’économies ?
Sur ce sujet, je dois préciser qu’il ne s’agit absolument pas de faire des économies sur la rémunération des fonctionnaires. Cela concerne l'organisation de la gestion de la fonction publique territoriale. Dans les collectivités, la moindre décision individuelle, notamment lorsqu’un agent franchit un échelon, nécessite de faire un arrêté, devant être contresigné par l'agent à la DRH sinon ça n’a pas de valeur ! On multiplie cela par le nombre d'agents et par le nombre d'actes individuels. De plus, certains actes doivent rentrer dans un processus de dialogue social extrêmement corseté avec des commissions évaluant et examinant les propositions. S’y ajoute parfois l’obligation de passer par des délibérations du conseil municipal. Bref, tout cela a un coût de gestion extrêmement élevé, deux à trois plus que pour un salarié du privé – entre 1000 et 1500 € par an contre seulement 500 €.
En s’alignant sur le coût du privé en termes de gestion, nous aurions un potentiel de 2 Md€ d’économies chaque année pour les collectivités. Il s’agit d’un chantier systémique auquel le ministre Laurent Marcangeli s’intéresse de près.
La simplification du contrôle de légalité devrait-il également concerner la gestion RH ?
Aujourd’hui, la préfecture demande notamment aux collectivités la transmission de tous les actes d'embauche d'agents. L’idée serait de resserrer ce contrôle sur les emplois les plus importants que sont les collaborateurs de cabinets ou les emplois fonctionnels. L'Etat affecte des moyens de contrôle pour quantité d'actes de recrutement du quotidien des collectivités. Face à ce gâchis de ressources humaines, il doit recentrer ses missions de contrôle. Une circulaire prochaine demandera aux préfets d’alléger l’intensité des contrôles. Mais il faudra aller plus loin, ce qui nécessitera une modification de la loi.
Vous proposez une fusion des dotations de soutien à l'investissement. Mais derrière le souci de simplification, cela inquiète les plus petites communes. Comment réagissez-vous ?
Je propose d’aller plus loin compte tenu de la transformation du système de subventions d'investissement de l'Etat faisant des maires des mendiants de la République. Nous passons un temps fou à aller voir le préfet pour la DSIL, la DETR, le Fonds vert, la DPV… Même chose pour les différents régimes d'aides de la région, du département – quand il a encore un peu d’argent – ou des fonds européens. Il faudrait sortir de ce système en majorant la DGF de cet argent en investissement. L’idée serait de mieux financer les collectivités qui pourraient dégager de l’autofinancement et financer ensuite, seules, leurs investissements. Pour les communes les plus pauvres, l’objectif intermédiaire, retenu par François Rebsamen, pourrait être de simplifier et de fusionner les différentes dotations pour n’en avoir plus qu'une.
Au-delà, il faut réfléchir à mieux financer en fonctionnement les collectivités par les dotations, pour leur faire gagner du temps en sollicitation et en instruction. Dans mon rapport, j’ai chiffré à près de 1 Md€ le temps passé par les fonctionnaires des collectivités et de l’Etat pour instruire les dossiers de demandes de subventions. Il y a un biais pour ceux n’ayant pas l’ingénierie nécessaire pour monter un dossier. La simplification doit permettre d’être plus juste à l'égard des collectivités plus petites.
En quoi consiste le volet de votre mission sur la gestion financière et comptable ?
Il faut une comptabilité qui retrace rigoureusement la façon dont les budgets sont dépensés afin de pouvoir rendre compte auprès des citoyens. Néanmoins, entre les services financiers des collectivités et de l’Etat, est-on vraiment obligé de refaire les mêmes contrôles ? Il faudrait les faire une seule fois et ne plus devoir transmettre toutes les pièces justificatives systématiquement au comptable public pour éviter justement de refaire tous les contrôles déjà réalisés par les collectivités. Il existe un potentiel important d’allègement de la gestion de la dépense publique et des comptabilités publiques. Il faut revoir l’ensemble du processus et nous avons déjà plusieurs pistes. Si je peux comprendre la prudence de la DGFIP sur ce sujet complexe, nous devons néanmoins améliorer le rapport entre le coût et l'efficacité de l’organisation actuelle.
Avec les lois de décentralisation de 1982 et 1983, le contrôle a priori des actes des collectivités a été supprimé, sauf en matière financière. Il faudrait passer à un contrôle a posteriori, nécessaire car l'utilisation de l'argent public doit continuer de s'entourer de précautions, personne ne le nie. Il s’agirait d’alléger le contrôle et d’éviter les doublons. La DGFIP évalue elle-même à près de 1,5 Md€ le coût des contrôles et des comptabilités par ces 16 000 agents sur tout le territoire.
Comment améliorer les relations financières entre l’Etat et les collectivités ?
Nous dressons tous le constat d’un système à bout de souffle, très marqué par les enjeux du passé et pas ceux d’aujourd’hui. Au fil des réformes, l’autonomie fiscale de certains niveaux de collectivités a disparu. Certains de mes collègues déplorent la perte de la taxe d'habitation. Le département et la région ne disposent plus d'impôts avec un pouvoir de taux. Ce qui empêche ceux en grande difficulté d’augmenter les impôts pour boucler leurs budgets. La situation n’est plus tenable et nous devons réfléchir aux fortes demandes des élus locaux de plus de prévisibilité. Le budget 2025 est à peine voté que l’épreuve de force recommence pour le budget 2026 pour connaître nos capacités à investir. Il faut sortir des bras de fer à répétition entre l'Etat et les collectivités.
L’Etat tient les deux bouts d'un même problème : demander aux collectivités de participer au rétablissement des comptes publics mais sans alourdir les charges qui pèsent sur elles, en simplifiant et en allégeant pour leur permettre de faire des économies au quotidien. La mission va travailler durant l’été sur ce sujet des relations financières entre l’Etat et les collectivités.
Propos recueillis par Pierre Plessis
Photo ©Charleville-Mézières
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