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Entretien avec Géraldine Chavrier, universitaire et consultante : « La nécessité de disposer d’un pouvoir de décision et pas juste de gestion »

Entretien avec Géraldine Chavrier, universitaire et consultante : « La nécessité de disposer d’un pouvoir de décision et pas juste de gestion »

« La commune constitue le repère psycho-affectif des citoyens, encore plus fort en période de crise ». Cette proximité explique l’unanimité des élus comme des candidats à la présidentielle en faveur de la commune, estime Géraldine Chavrier, professeure des universités en droit public à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et avocate. Les propositions exprimées, durant la campagne électorale, par Territoires unis et chaque association d’élus, traduisent, selon elle, une maturité juridique des collectivités. L’objectif serait à présent de mettre fin à la décentralisation de gestion et de modifier son mode de fonctionnement. Défendant la nécessité d’une nouvelle réforme, elle plaide pour réviser les notions constitutionnelles de libre administration et d’autonomie financière. Par ailleurs, l’universitaire juge « assez innovante » la loi « 3DS » qui concrétise le principe de différenciation et contient des outils en faveur de la subsidiarité ascendante.

Quelle place la décentralisation a-t-elle occupé dans la campagne présidentielle ?

Lors de la journée des libertés locales, organisée par Territoires unis le 15 mars, j’ai été très surprise de l’impréparation de la plupart des candidats sur ce sujet. Pourtant depuis 2010, il y a eu beaucoup de réformes concernant les collectivités territoriales. Plus surprenant encore, les conséquences du passé ne sont pas tirées en revenant aux mêmes questions ayant donné de mauvaises réponses comme la réduction du nombre d’échelons. Les deux finalistes Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’inscrivent dans ce sens avec pour ce dernier l’idée de réinstaurer le conseiller territorial. Cela serait une très mauvaise réponse à un vrai problème en remettant en cause le fait régional alors qu’il ne cesse de croître. Tous les candidats ont réagi à la perte de proximité causée par de trop grandes régions et intercommunalités mais les réformes proposées seraient encore pires !

La commune constitue le repère psycho-affectif des citoyens, encore plus fort en période de crise. Cette proximité explique l’unanimité des élus en faveur de la commune. La mise en avant actuelle de la ruralité se comprend par la défense de la commune et non par la remise en cause des grandes villes et des métropoles.

Comment jugez-vous les propositions formulées par les associations d’élus ?

Très intéressantes, les propositions de Territoires unis, comme de chaque association d’élus, portent sur le mode de fonctionnement de la décentralisation. Il s’agit de mettre fin à la décentralisation de gestion pour avoir de vraies responsabilités de pouvoir de décision. Toutes ces plateformes ont en commun de demander une subsidiarité ascendante, une coproduction de la décision avec un pacte de confiance, une visibilité financière avec une réforme du contenu des principes de libre administration et d’autonomie financière, mais aussi le retour à une fiscalité locale maîtrisée. Les élus ne veulent pas forcément plus de compétences mais mieux de compétences. L’objectif est une réforme essentielle du mode de fonctionnement de la décentralisation et non pas une série de détails comme l’ont fait toutes les lois jusqu’à présent.

Cette évolution traduit-elle, selon vous, une plus grande maturité des collectivités ?

Elles sont parvenues, en effet, à une certaine maturité leur faisant percevoir sur le terrain tout ce qui empêche une vraie décentralisation. Elles sont demandeuses de solutions organisationnelles passant par une réforme de la Constitution sur les principes de libre administration et d’autonomie financière comme sur le pouvoir réglementaire local. Elles ont pris conscience de la nécessité de disposer d’un pouvoir de décision et pas juste de gestion.

Aujourd’hui, les collectivités veulent pouvoir gérer elles-mêmes leurs compétences, en fonction des particularités de leurs territoires et des besoins de leurs populations. Par rapport aux autres Etats européens, où les collectivités disposent souvent d’un pouvoir législatif et d’un pouvoir réglementaire fort, elles n’ont quasiment pas de pouvoir normatif. En France, on a toujours laissé penser que le principe d’unité de l’Etat empêchait le partage du pouvoir de décision alors qu’il n’interdit que le pouvoir législatif et pas du tout le pouvoir réglementaire.

Concernant le chef de filat, il a été vécu au départ comme la tutelle d’une collectivité sur une autre. D’autant plus qu’il s’agissait d’une décentralisation téléguidée par l’Etat prescrivant ce qu’il fallait faire. Puis la coproduction sur les territoires s’est installée naturellement entre les collectivités, sans demander l’autorisation au législateur. Elles ont appris à travailler ensemble. Cette coproduction constitue de l’intelligence territoriale.

Comment jugez-vous la loi « 3DS » ?

Elle peut sembler décevante mais cela était obligatoire car à droit constitutionnel constant, il n’était pas possible de faire mieux. Je la trouve assez innovante en concrétisant réellement le principe de différenciation. Elle donne ainsi un pouvoir d’initiative aux départements et aux régions pour proposer des adaptations législatives et réglementaires sur l’exercice de leurs compétences et de leur fonctionnement. De même, les communes peuvent transférer de façon différenciée des compétences à un EPCI.

La loi contient également des outils en faveur de la subsidiarité ascendante, comme le demandent les associations d’élus, qui traduisent une certaine confiance donnée aux collectivités. Elles vont pouvoir décider un peu plus de leurs propres compétences. Par exemple, les EPCI pourront déléguer des compétences aux départements et aux régions. Pour le réseau routier national non concédé, le choix est laissé entre le département et la région, sans décider à leur place. S’agissant du pouvoir réglementaire local, dans certains domaines, le décret du Premier ministre ne sera plus nécessaire comme pour la CTAP (conférence territoriale de l’action publique) où les collectivités choisiront elles-mêmes son organisation.

Il ne s’agit donc pas d’une loi uniquement « technique » ?

On ne peut pas dire qu’elle est juste lourde et technique. Il existe de vrais potentiels dans certains de ses 271 articles. Même si la loi « 3DS » ne va pas assez loin, elle concrétise néanmoins certains principes et contient plusieurs propositions d’expérimentation. De plus, elle répond à certaines difficultés comme pour le logement social en prenant plus en compte les réalités locales grâce au contrat de mixité sociale. Sur le ZAN (zéro artificialisation nette), le calendrier a été assoupli. En matière d’eau et d’assainissement, il n’y a pas eu de renoncement au transfert mais les syndicats infra-communautaires peuvent se maintenir par délégation.

Une nouvelle réforme de la décentralisation vous semble-t-elle nécessaire ?

Il faut absolument réviser les notions constitutionnelles de libre administration et d’autonomie financière. Pour l’instant, la première ne signifie pas grand-chose et cela permet au législateur de prendre des mesures contraires à la décentralisation sans jamais être censuré par le Conseil constitutionnel. Protéger la libre administration est plus important que d’avoir de nouvelles compétences. Concernant l’autonomie financière, nous avons un principe constitutionnel qui ne veut rien dire car la loi organique relative à cette autonomie l’a vidé de son sens. La réforme de cette loi apparaît indispensable car une décentralisation sans moyens financiers autonomes et sans prévisibilité financière n’est pas réelle.

Etes-vous confiante sur une évolution dans ce sens ?

Depuis une dizaine d’années, ces notions infusent. Le président Macron a essayé de réformer la Constitution notamment sur le volet différenciation. Parmi les deux finalistes à l’élection présidentielle, Marine Le Pen ne veut pas de nouvelle loi de décentralisation. Pour sa part, Emmanuel Macron semble plus ouvert car il envisage de supprimer des échelons ce qui nécessitera une révision constitutionnelle. A cette occasion, il serait possible d’améliorer les principes de libre administration et d’autonomie financière. Il pourrait aussi entendre la demande de l’AMF d’inscrire plus fortement dans la Constitution la commune et sa clause générale de compétence. Par ailleurs, Emmanuel Macron a annoncé la possibilité d’une organisation à la carte entre les communes et les intercommunalités.

Sur les chances de voir aboutir ces réformes, je reste d’un optimisme raisonnable car il n’est pas certain qu’elles osent toucher au cœur même de la décentralisation et au principe d’autonomie financière. Au contraire, un effort financier complémentaire serait demandé aux collectivités. En revanche, l’espoir existe plus sur l’évolution du principe de libre administration.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

Photo G-Chavrier - Arnaud Février - AMF

 

Référence : BW41199
Date : 15 Avr 2022
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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