Entretien avec Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse : « Le contrôle tatillon de l’Etat est antinomique avec la décentralisation »
Le président de la République évoque l’idée d’un « nouveau souffle de décentralisation ». Mais sans en dire beaucoup plus pour l’instant. Mi-mars, il a reçu à l’Elysée les associations d’élus locaux. Selon Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse, président de Grand Bourg Agglomération et membre du comité directeur de l’AMF, une telle réforme doit passer avant tout par « la confiance et l’autonomie financière », le reste étant du « mécano juridique ». A cette condition, « les élus sont prêts », affirme le président délégué de Villes de France. Dénonçant des services de l’Etat trop tatillons, il défend également plus de souplesse dans l’exercice des politiques publiques.
Dans le cadre du volet territorial d’une éventuelle réforme des institutions, Emmanuel Macron appelle à « une vraie décentralisation. Qu’en pensez-vous ?
Après un premier quinquennat n’ayant pas marqué de vrai intérêt et considération pour les élus locaux, hormis durant la crise sanitaire avec le couple maire-préfet, l’idée que le président de la République s’intéresse à la décentralisation mérite réflexion. Mais tout dépend de quoi on parle. Les associations d’élus locaux ne sont pas favorables à une remise à plat globale et à big bang territorial.
Le premier sujet est de revenir à l’esprit de la décentralisation des lois Defferre qui faisait confiance aux élus locaux avec l’idée de politiques publiques mieux mises en œuvre que par l’Etat. Rétablir cette confiance, que l’Etat n’a pas vis-à-vis des élus locaux, passera par plus de souplesse et de marges de manœuvre données aux collectivités et aux EPCI pour s’organiser et exercer leurs missions. Elles sont devenues le lieu de mise en œuvre de la plupart des grandes politiques publiques.
Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui ?
Les élus locaux ne supportent plus la tendance depuis une quinzaine d’années d’un Etat n’ayant plus les moyens de mettre en œuvre mais voulant nous contrôler en permanence. Il faut sortir de ce rapport infantilisant. Ce contrôle tatillon apparaît antinomique avec la décentralisation en niant la confiance. De plus en plus de lois indiquent que nos compétences doivent s’exercer de la même façon partout en France. Cela sans souplesse et sans organisation locale possible. Ces rigidités se sont accrues et deviennent insupportables. De grâce, retrouvons de l’air ! La souplesse dans l’exercice de nos compétences n’empêche pas de rendre compte, d’expliquer ce qui a été fait et de faire des évaluations. Il faut nous donner un contrat d’objectifs, avec les moyens juridiques et financiers, et la latitude pour y parvenir.
Comment cette souplesse doit-elle se traduire pour l’intercommunalité ?
Je suis favorable au PLU-I partout où il y a des enjeux en permettant de donner une vision cohérente sur un territoire. Dans l’agglomération que je préside, 140 000 habitants et 74 communes, qui est très vaste, un PLU-I sur l’ensemble du territoire n’a pas de sens. Ce qui en aurait serait d’en faire un sur les 25 communes nécessitant une coordination. Aujourd’hui ce n’est pas possible car le PLU-I c’est tout le monde ou personne ! Le constat est le même sur les autres compétences. Une telle logique est totalement inadapatée.
Le besoin de différenciation est vraiment à l’ordre du jour avec le besoin de donner plus de souplesse aux collectivités, et en particulier aux EPCI pour déterminer au sein d’un petit socle de compétences obligatoires, ce qu’ils veulent faire et leur champ d’intervention. Il faut sortir de l’idée du jardin à la française. Sortir de ce mythe technocratique est la condition pour avancer.
Quelles sont, selon vous, les conditions nécessaires ?
Un cadre est nécessaire mais à condition de disposer de davantage de marges de manœuvre pour s’organiser et permettre aux services publics d’être plus efficaces et adaptés à la spécificité des territoires. Nous n’avons pas besoin d’un chaperon nous disant quoi faire et ne pas faire. L’archétype est France services avec l’affectation minimum de deux ETP par structure, partout en France. J’avais chez moi un projet mais sans besoin de créer d’ETP car nous mutualisions les personnels de services publics déjà présents. Du coup, je n’ai pas fait de demande !
Nous souhaitons de la latitude dans la façon de mener les politiques publiques. En parallèle, il serait normal que Parlement assigne des objectifs aux collectivités et cela en leur donnant des moyens. C’est au président de la République de changer l’état d’esprit et d’accepter les évolutions qui seront proposées par les associations d’élus.
Vous insistez également sur l’autonomie financière des collectivités.
En effet car l’autre condition indispensable à la décentralisation est la garantie de nos ressources. Et cela avec une visibilité pluriannuelle sans une remise en cause permanente par chaque loi de finances. Il faudrait un pacte financier de cinq ans, au début de chaque mandature, en contrepartie des politiques publiques mises en œuvre. Il n’y a pas de compétences sans moyens. Nous devons avoir une garantie d’évolutivité de nos ressources. Un impôt supprimé doit se traduire par une garantie automatique et évoluant comme la ressource fiscale d’origine.
Il n’est plus possible de dire que les collectivités sont le lieu de mise en œuvre de politiques publiques importantes, de leur donner sans cesse de nouveaux objectifs et de faire cela à budget constant. On ne peut pas nous reprocher de dépenser l’argent qu’on nous demande de dépenser ! Il y a là une certaine schizophrénie de la part de l’Etat ! Le discours sur le trop de dépenses des collectivités n’est plus supportable. La liste est longue des dépenses nouvelles transmises par l’Etat sur lesquelles nous n’avons pas de maîtrise. On ne crée pas des postes pour le plaisir mais pour disposer d’une ingénierie locale afin de mettre en œuvre les politiques que la Nation a décidé de nous confier.
Faut-il un Etat local plus fort ?
C’est indispensable avec des préfets de département ayant davantage de responsabilités sur les services de l’Etat. Il faut aussi moins d’agents d’exécution mais plus d’agents de catégorie A. Ces compétences manquent dans des préfectures de chef-lieu de département moyen comme le mien. Les administrations centrales n’ont pas assez tiré les conséquences de la nouvelle manière de mener les politiques publiques. Ce qu’il nous faut ce sont de vrais partenaires pouvant nous accompagner et nous rappeler parfois les règles et les objectifs. Mais cela ne veut pas dire « le préfet décide et le maire exécute ». Par ailleurs, il y a certains sujets sur lesquels nous demandons de partager la gouvernance avec l’Etat comme par exemple sur le dispositif Territoires d’industrie avec un pilotage tripartite préfet, maire ou président d’EPCI et chef d’entreprise ne signifiant pas d’avoir un patron et deux exécutants !
Que pensez-vous de l’idée de faire de l’EPCI une collectivité de plein exercice ?
J’y suis totalement opposé car cela serait contreproductif en envoyant un signal agressif vis-à-vis des communes. Si je suis partisan du développement de l’intercommunalité, car c’est elle qui porte les grands sujets, ce n’est pas la loi qui doit le décider mais les élus. Les maires choisiront de mettre en commun tout ce qu’ils jugent pertinent car c’est eux qui l’auront décidé. Les communes nouvelles constituent un succès car elles ont été choisies librement par les élus.
Le renforcement de l’EPCI ne peut pas se faire contre les communes, il doit se nourrir de l’intérieur par leur apport. Il constitue plus qu’un simple syndicat en étant au service des communes mais aussi d’un projet collectif. En se transformant en collectivité, il deviendrait un organisme différent qui irait à l’encontre du projet intercommunal. C’est par la discussion entre les maires que l’intercommunalité va s’enrichir de nouvelles compétences, trouver un équilibre et devenir le lieu d’expression d’un projet de territoire. La contrainte ne marchera pas. En faisant confiance aux maires, on verra bien qu’elle représente l’intérêt d’un territoire et de ses habitants, et ne constitue pas un danger pour la commune mais au contraire une chance.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
Photo : Jean-Francois Debat © Bourg en Bresse
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